La filière des semences est l’un des fleurons de l’agriculture française. Pourtant, elle risque dans les années à venir de rencontrer de nombreuses impasses techniques. Alors que de plus en plus de molécules sont interdites, aucune alternative n’est développée spécifiquement pour le marché de la semence, ce dernier étant trop petit pour rentabiliser la R&D. C’est pour cela que la Fnams mène, depuis 2018, une expérimentation sans produit phytosanitaire.
Au sein de trois sites d’expérimentation, situés à Loire-Authion (Maine-et-Loire), Condom (Gers) et Castelnaudary (Aude), la Fnams a mis en place des systèmes de culture entièrement dédiés à des productions de semences, sur des rotations de huit ans. « Nos systèmes reposent sur l’alternance entre des cultures de printemps et d’automne, afin de ne pas avoir les mêmes périodes de levée des adventices, ainsi que sur l’alternance des familles botaniques », explique Laura Brun, qui pilote le projet pour la Fnams.
Manque de solutions efficaces
Les rotations comprennent toujours des porte-graines de céréale, protéagineux, fourragère, potagère et betterave sucrière. Les chercheurs ont, par exemple, associé le sarrasin et la luzerne, et le pois avec l’orge. « L’association pois-orge est assez expérimentale, reconnaît Laura Brun. En règle générale, la légumineuse sert la céréale, mais cette fois, nous avons cherché à ce que les céréales servent de tuteur, couvrent le sol et réduisent l’espace où peuvent se développer les adventices, et ce afin de récolter la légumineuse. »
Les chercheurs n’ont eu recours qu’aux produits utilisables en agriculture biologique et au biocontrôle. Ils s’appuient également sur la génétique, pour lutter contre les maladies dont la fusariose, ainsi que sur trois labours en huit ans. « Pour les adventices, le désherbage mécanique est souvent suffisant, estime Laura Brun. Mais notre vrai souci, ce sont les ravageurs. Nous manquons de solutions pour y faire face, notamment pour le pois, qui est victime de la bruche. »
Des pièges olfactifs existent, mais ils ne sont pas suffisamment efficaces sur pois et requièrent de la main-d'œuvre pour être installés dans les champs. Enfin, Agrosem prévoit une réduction de 15 % de la fertilisation azotée. « Les plantes qui sont poussées par la fertilisation sont plus appétentes pour les pucerons, car leurs tiges sont plus fines et leurs tissus plus tendres », détaille Laura Brun. Le non-recours aux pesticides de synthèse et la réduction de la fertilisation permettent, en général, de réduire les charges. Ainsi, en blé, sur les sites du sud de la France, les coûts de production reculent, en moyenne, de 15 à 20 % sur le système Agrosem. Mais dans le Maine-et-Loire, ils sont en hausse, en raison du désherbage manuel.
Gestion du risque collective
« Notre objectif est d’abord d’ordre qualitatif, pointe Laura Brun. Nous voulons respecter les normes habituelles de la production de semences : une faculté germinative supérieure à 80-85 % et une pureté spécifique supérieure à 99 % environ variant selon les espèces. » Les résultats sont satisfaisants en termes de qualité pour les céréales et la betterave, mais les rendements sont moyens.
Pour les cultures plantées, comme les betteraves sucrières et les carottes, la mise au point de la plantation a pris un peu de temps, laissant dans les parcelles de la place aux adventices. Et les résultats de pureté spécifique se sont peu à peu améliorés. Les potagères ont enregistré de bonnes facultés germinatives, mais des rendements souvent limités. Le pois, bien qu’ayant été au final une bonne plante compagne pour l’orge, se solde par un échec, les ravageurs étant trop présents.
Le cycle de financement de six ans de Dephy Expe vient de s’achever, et Agrosem a sollicité le réseau pour poursuivre son projet pour les six prochaines années. « Nous comptons réduire les rotations pour qu’elles ne durent plus que six ans, explique Laura Brun. Lors des visites, des agriculteurs nous ont confié que huit, c’était trop long, et qu’ils ne disposaient pas de débouchés pour toutes les cultures. »
Des techniciens de production des établissements semenciers viennent aussi visiter les expérimentations. « Il est primordial que les semenciers soient présents, pointe l’ingénieure de la Fnams. Tout le monde doit être d’accord pour réduire les phytos, car la gestion du risque est collective. » Les membres d’Agrosem sauront en décembre si le projet est reconduit pour six ans.