Alors que les exploitants agricoles ne représentent plus que 1,5 % des actifs en France, leur vitrine virtuelle est « sans équivalent à d'autres professions » sur YouTube avec un millier de chaînes, relève le sociologue Louis Rénier, qui écrit une thèse consacrée aux « agriyoutubeurs ». FranceAgriTwittos, qui entend chasser l'image du « bouseux » d'hier et promouvoir celle d'une profession « engagée dans la modernité », a été distinguée par la médaille du Salon de l'agriculture, une médaille également décernée cette année à l'ex-ministre Julien Denormandie ou à Christiane Lambert, la présidente sortante du syndicat agricole majoritaire, la FNSEA.
Nombre de twittos sont venus au salon pour rencontrer « en vrai » ceux qu'il ne connaissent qu'au travers de leur photo de profil. « Je ne pouvais pas manquer ce moment », confie Lorine Manceau, alias @lorine_agri, venue des Deux-Sèvres.
Et de 5 ! #FrAgTwSIA2023
— Kévin Moity (@kevmoity) March 1, 2023
2018-2023 : 5 ans de tweet-apéros au @Salondelagri toujours sur le stand de la @FermeDigitale (??), avec toujours plus de monde. De quoi être boosté jusqu'au #SIA2024
Vive la #CommPositive et vive @Fragritwittos pic.twitter.com/oCrFWQ6NfL
« C'est un métier prenant. Si on ne prend pas le temps d'aller vers les autres, on se retrouve rapidement enfermé à la ferme. » À 27 ans, elle élève des chèvres alpines et des vaches Rouge des Prés avec son père. Dans « la communauté », comme elle dit, il y a « beaucoup de femmes, dans un milieu encore très masculin », des éleveuses avec qui partager les instants dorés comme les galères.
Le réseau est salutaire aussi pour Clément Blanchard, alias @Charblan, 28 ans, éleveur de volailles Label rouge en Vendée, qui s'est installé il y a un an, en pleine épidémie de grippe aviaire. Il a dû prêter main forte à ses voisins pour évacuer les volailles euthanasiées. Le lien avec les copains du réseau lui a « permis de beaucoup évacuer » la pression.
« Réparer les torts »
« La famille » ne cesse de s'agrandir. « On était 50 au départ, maintenant on est plus de 500 » au sein de l'association FranceAgriTwittos créée en 2017, raconte son président Denis Beauchamp - alias @GrainHedger, plus de 20 000 abonnés - qui travaille dans une coopérative céréalière de l'Allier.
Une vraie satisfaction pour celui qui voulait « recréer du lien entre le monde agricole et la société » et « éviter l'entre-soi ». Au-delà de sa vocation première, « casser la plaque de verre entre l'assiette et le champ », explique-t-il à l'AFP, elle permet aux agriculteurs d'échanger entre eux sur leur profession. « Ça brise un peu la solitude. » Les « agritwittos » sont céréaliers, éleveurs, véto de campagne, commerciaux ou acteurs de l'agroalimentaire, débutants ou vieux paysans, installés en plaine ou en montagne, partout en France.
« Comment les agriculteurs se sont saisis des réseaux sociaux pour raconter leurs métiers » (replay d'une émission réalisée lors du Sia 2023) :
Leurs messages postés sur Facebook ou Twitter disent le fil des saisons et une vie de passion : « Quand tu sens que ta soirée ciné va peut-être être compromise #ceuxquifontlelait » une nuit où une vache va mettre bas ; « Je vous attends pour traire les brebis » chez un défenseur du Roquefort; « Mais quand diable pleuvra-t-il ? » sur les pâturages du Sud-Ouest. Et des photos en pagaille de champs en fleurs, d'aubes rosées, de lampions dans les vignes.
Ils revendiquent une « communication positive » et directe auprès du grand public, à distance des engagements politiques ou syndicaux. Mais alimentent constamment le débat, inflammable dans une société sensible au bien-être animal, inquiète du respect de l'environnement et exigeante sur la qualité de la nourriture mais pas toujours prête à y mettre le prix.
« Pour certains, c'est difficile à comprendre qu'on puisse aimer les vaches et les manger derrière », raconte @lorine_agri. Nombreux sont ceux qui documentent leur usage des engrais minéraux ou des pesticides, pour « expliquer » mais aussi souvent en cherchant à maintenir un front uni de la « communauté » contre les « environnementalistes ».
Le sociologue Louis Rénier y voit une volonté de « réparer les torts » qui conduit à « un désajustement entre le public visé et le public touché », c'est-à-dire le grand public et « leur public fidèle », qui est « essentiellement agricole », constate-t-il.