Outils d'aide à la décision
Objectif : davantage de démocratisation

Pour que les agriculteurs adoptent massivement les OAD, ceux-ci doivent être à la fois utiles et faciles à utiliser, estime Delphine Bouttet, d’Arvalis-Institut du végétal. (©Arvalis)
Pour que les agriculteurs adoptent massivement les OAD, ceux-ci doivent être à la fois utiles et faciles à utiliser, estime Delphine Bouttet, d’Arvalis-Institut du végétal. (©Arvalis)

 

Qu’ils concernent la fertilisation azotée, les traitements contre les maladies des céréales ou encore – bientôt – les engrais de fond, les outils d’aide à la décision (OAD) en grandes cultures visent tous le même objectif : mieux anticiper pour gagner en efficience et en précision. Certains permettent également de piloter l’irrigation. En grandes cultures, 19 % des exploitations en utilisent (34 % des surfaces couvertes), contre seulement 7 % en polyculture-élevage.

Les OAD, Nicolas Van Ooteghem s’en sert pour gagner en confort de travail et en précision. Il exploite seul 180 ha de grandes cultures à Conty, à 30 km au sud d’Amiens (Somme). Pour la protection contre les maladies, il emploie Xarvio, l’outil développé par BASF, depuis un an sur ses céréales. « Cela me permet de doser les bons produits selon la durée de la pluie et l’humidité, détaille-t-il. Je peux juger de l’intérêt de tel ou tel en fonction de sa rémanence, par exemple. » Mais « l’oeil de l’agriculteur est encore utile, parce qu’on n’a pas toujours pleinement confiance en l’OAD ! » ajoute-t-il. Aide à la décision, pas plus pas moins. En blé, la détection des maladies peut en effet manquer de précision. « Les stades sont à plus ou moins cinq jours, ce n’est pas toujours facile de réajuster, mais ce n’est pas si grave puisque des produits curatifs existent », relativise Matthieu Catonnet, ingénieur conseil productions végétales à la chambre d’agriculture de la Somme.

Efficace en pomme de terre

En pomme de terre, un OAD fait figure de référence : Mileos. L’outil a été développé par Arvalis sur la base d’une modélisation du cycle du mildiou. Il utilise toutes les données météo, les stades de la plante, la variété ou les dates de plantation pour préconiser ou non un traitement, de façon très précise. Depuis une quinzaine d’années qu’il existe, les
"patatiers" l’ont largement adopté. « En termes de réduction du nombre de passages, c’est clairement gagnant, économiquement parlant », appuie Aymeric Lepage, conseiller agroéquipement à la chambre d’agriculture de l’Aisne.

À Mignerette, dans le Loiret, Joël Facy utilise le logiciel en ligne Cerc’OAD, pour le pilotage de ses 50 ha de betteraves sucrières. « Je me connecte à l’extranet de Cristal Union, explique-t-il, je saisis mes parcelles, le risque par rapport à chacune (faible, moyen ou élevé) selon que l’on a eu ou non des attaques importantes de cercosporiose. Après chaque intervention, on rentre les dates et les volumes d’eau, les produits pulvérisés, et le modèle calcule l’évolution de la maladie. Quand on arrive à 100 %, c’est le moment de sortir le pulvérisateur pour une couverture fongicide. » L’agriculteur aurait gagné « facile 5 t/an en moyenne ». Le logiciel lancé par la coopérative sucrière, gratuit pour les planteurs, est né il y a quelques années, mais moins d’un quart des adhérents y fait appel. « C’est pourtant assez simple et rapide à utiliser, assure Joël Facy, il suffit de quelques minutes pour saisir les parcelles. Malheureusement, beaucoup restent sur leur modèle traditionnel, à intervenir systématiquement le 14 juillet et le 15 août sans se poser de questions. »

Les OAD de fertilisation azotée dopés par le coût des intrants

Pour la fertilisation azotée, les exploitants sont de plus en plus nombreux à avoir recours aux OAD, augmentation du prix des intrants oblige. En colza, Julien Bricquet emploie tout simplement la réglette de Terres Inovia, sur ses parcelles de Saint-Amand-sur-Fion (Marne). « On fait des pesées de colza à l’entrée de l’hiver sur 1 m2, développe-t-il, puis on recommence le printemps venu. Grâce aux objectifs de rendements, la dose d’azote totale nécessaire est estimée pour la durée du cycle de culture. » La réglette colza propose aussi l’échelonnement des apports.

Réglette colza
Technicien préparant la pesée de colza en début d’hiver. La réglette colza conçue par Terres inovia indique ensuite la dose d’azote totale requise pour l’ensemble du cycle de culture. (©Terres Inovia)
 

Nicolas Van Ooteghem, de son côté, utilise le service de la chambre d’agriculture MesSatimages depuis deux ans. Des images satellites sont prises en entrée et sortie d’hiver, en vue d’estimer la biomasse du colza. L’agriculteur doit ensuite entrer quelques informations : objectifs de rendement, fréquence des apports organiques... L’algorithme calcule la dose totale à apporter sur l’ensemble du cycle de végétation. Grâce à son épandeur d’engrais adapté, l’exploitant va même plus loin et module la dose à l’intérieur de la parcelle. « Pas de gains de rendement, mais plus de confort de travail et une économie d’environ 30 unités/ha cette année », résume-t-il. Soit un gain de plus de 60 €/ha !

« En blé, gagner 3 q/ha et 0,4 % sur le taux de protéines »

Pour la fertilisation azotée des parcelles de blé, Nicolas Van Ooteghem se sert de Farmstar. Mais « 13 €/ha, c’est un peu cher, alors je vais sans doute passer à MesSatimages », indique-t-il. Claas commercialise un système équivalent baptisé « Cropview ». Le dispositif, intégré à la plateforme 365 Farmnet, permet de moduler la dose intraparcellaire. Principal avantage : sa simplicité d’utilisation. En effet, les données sont envoyées vers le cloud, fini la clé USB. « Avec Cropview, l’agriculteur choisit sa stratégie sans que la coopérative n’intervienne », met aussi en avant Émeline Lesage, responsable des nouvelles technologies chez Claas France. Quel que soit l’outil, le fonctionnement est à peu près le même : une cartographie est réalisée, généralement par satellite, car les coûts sont désormais bien moins élevés que par drone, un indice de nutrition azotée (INN) est déterminé, puis l’algorithme calcule la quantité d’azote nécessaire au dernier apport en fonction des objectifs de rendement, de la variété et de la date de semis. « Quand on utilise un outil tel que Farmstar, améliorer le rendement de 3 q/ha et le taux de protéines de 0,4 % est possible », souligne Romain Val, directeur de la valorisation chez Arvalis-Institut du végétal.

Pince N-tester
Des OAD pour la fertilisation azotée existent aussi sans utilisation d’images satellite. C’est le cas, par exemple, de N-Tester, conçu par Yara. (©YARA)
 

Dans les Alpes-de-Haute-Provence, au Gaec des Fabres, Denis Vernet teste depuis plusieurs années l’OAD éPilot développé par Arvalis-Institut du végétal. Un outil qui sert à la fois pour la fertilisation et l’irrigation, et qu’il utilise pour le blé et le maïs. « Toutes les semaines, on a une réactualisation des courbes de développement pour nous indiquer, en fonction de nos apports passés, quand il faudra apporter de l’eau ou de l’azote, décrit le producteur de lavandin et de grandes cultures. C’est hyper intéressant, parce que cela nous permet de savoir exactement quand intervenir et quelle sera la conséquence si on n’en fait rien. C’est un outil vraiment indispensable. » Des OAD pour la fertilisation azotée existent aussi sans utilisation d’images satellite. C’est le cas, par exemple, de N-Tester, conçu par Yara il y a vingt-cinq ans. Avec lui, le principe consiste à mesurer la teneur en chlorophylle de la plante à l’aide d’une pince. Il faut passer dans la parcelle lorsque le blé est entre les stades « trois noeuds » et « dernière feuille étalée ».

Réduire la consommation d’eau

Pour l’irrigation, il existe deux sortes d’OAD. À partir de la variété, du type de sol et des dates de semis, deux types de calcul sont effectués. L’un simule le développement de la culture pour estimer les besoins en eau selon son stade de développement et les diverses données climatiques. L’autre, effectué en parallèle, est une simulation de bilan hydrique, grâce au type de sol, au climat et aux irrigations réalisées. L’OAD indique, de façon anticipée, les besoins en eau de la culture, en tenant compte du type de matériel dont dispose l’agriculteur afin que ce dernier puisse s’organiser pour la planification de ses tours d’eau. Arvalis-Institut du végétal avait conduit des essais sur 6 000 ha en 2021. L’outil Irré-LIS avait permis « d’économiser 20 à 60 mm d’eau sans diminuer le rendement », met en avant Romain Val.

Comment démocratiser l’usage ?

Les OAD peuvent permettre de réduire les intrants, et donc de réaliser des économies. Toutefois, « l’objectif n’est pas forcément de les diminuer, prévient le directeur de la valorisation chez Arvalis-Institut du végétal. Certaines années, cela peut provoquer des diminutions, et parfois cela peut être des augmentations. Il vaut donc mieux parler d’efficience. » Sur la digiferme de Boigneville (Essonne), ferme expérimentale dont elle est la responsable, Delphine Bouttet assure qu’elle ne saurait pas s’en passer aujourd’hui : « Cela donne une connaissance que vous ne pouvez pas avoir seul, cela vous permet de réduire les doses sans prendre de risques. » Mais si l’on excepte Mileos, les OAD demeurent néanmoins « très peu utilisés, même si l’on voit une progression sur l’azote pour des raisons économiques », constate Matthieu Catonnet, de la chambre d’agriculture de la Somme.

« Il y a encore un problème de coût », reconnaît Romain Val. Pour assurer le développement de ces outils, il faudrait aussi « communiquer sur la valeur ajoutée qu’ils apportent et qu’il y ait une vraie interopérabilité entre eux, c’est-à-dire permettre que tous communiquent les uns avec les autres », suggère-t-il. La responsable des nouvelles technologies chez Claas France acquiesce. « L’objectif de notre plateforme 365 Farmnet, c’est de rendre plus facile l’échange, le partage des données d’une machine à une plateforme », assure Émeline Lesage. Mais si l’agriculteur veut utiliser l’OAD de Bayer Climate FieldView, par exemple, sur 365 Farmnet, il doit passer à la caisse… Il lui faut en effet l’option de configuration, et elle est payante. À quel prix ? Motus.

Vers un pilotage stratégique de son exploitation

La démocratisation des OAD passera aussi par davantage de simplicité d’utilisation. Ils doivent être ergonomiques, "user friendly", insiste Delphine Bouttet. L’agriculteur doit pouvoir comprendre ce qui forge le modèle, l’interpréter pour se l’approprier. L’interface doit être attractive, l’outil facile à utiliser sans avoir bac+10. » Et puis les OAD doivent être utiles, c’est-à-dire répondre à un besoin, tel que prévoir les maladies. « Si l’OAD fait la même chose que ce que l’agriculteur est capable de faire en allant voir le champ, ça n’a pas d’utilité », ajoute la responsable. Les OAD, aujourd’hui, sont essentiellement « tactiques », mais sans doute s’achemine-t-on vers un développement des OAD dits « stratégiques ». Ces derniers dépassent le simple pilotage d’une culture, rendant possible de se projeter sur l’évolution de son exploitation. Ils proposent ainsi des simulations, permettent entre autres de raisonner un assolement pour qu’il soit plus résilient dans les années futures. « L’avenir, c’est le développement des OAD stratégique, confirme Delphine Bouttet. C’est indispensable dans un contexte où les contraintes – réglementation, climat, prix… – sont de plus en plus importantes et de plus en plus difficiles à appréhender. »

Inscription à notre newsletter

Déja 2 réactions