[...] Bertrand Hervieu le dit tout net : « Il faut arrêter avec ce slogan mensonger : un agriculteur qui part, un agriculteur installé. On ne remettra pas un million de personnes dans les champs ! », tranche-t-il avec la liberté que lui octroie aujourd’hui sa position de retraité.
Pour l’ancien conseiller de ministres de l’agriculture, la problématique du renouvellement des générations n’est pas propre à ce secteur : « On rencontre aujourd’hui les mêmes problèmes en agriculture que ceux que nous connaissons pour les PME et PMI, avec la dispersion du capital entre différents membres de la famille et, au bout du processus, une vente qui s’impose parfois. C’est une grande difficulté à surmonter dans les 20 prochaines années. »
Comment cesser de battre en retraite ? La situation est d’autant plus compliquée que les freins à la transmission des fermes sont multiples. Ils vont de facteurs psychologiques, tel que le rejet d’un métier socialement déclassé, au contrôle étroit des structures par la profession agricole ou encore au renchérissement d’exploitations qui n’ont cessé de grossir pour tenter de rester compétitives…
Dans un papier publié en 2016, Romain Gaté et Laure Latruffe listent avec précision tous ces écueils et signalent que ce dernier point – le prix de vente des fermes – implique des besoins en financement potentiellement rédhibitoires quand ils s’ajoutent à des mises aux normes à effectuer ou des investissements à engager. L’addition peut devenir particulièrement salée et décourageante pour les candidats à l'installation. Dans un contexte bancaire frileux, il est facile d’imaginer les difficultés qui se dressent sur le chemin des plus volontaires. Lesquels, lorsqu’ils parviennent à s’installer, sont vite obligés d’être ultraperformants.
Un million pour un Smic
L’observatoire de la transmission et de l’installation en agriculture, qui opère en Bretagne, met en ligne de précieuses données pour mieux cerner la problématique de la cession d'exploitation, côté acheteur. On y apprend ainsi que le coût moyen d’une installation agricole individuelle classique dépasse les 300 000 € en 2021 et que celui d’une reprise approche les 200 000 euros en 2020. En moyenne, insistons-nous. [...] Quant aux installations sociétaires, c’est-à-dire en Gaec, EARL, et autres SCEA(3), les montants avoisinent 190 000 à 200 000 euros par associé [...].
Or, « comment mettre un million d’euros sur la table si c’est pour gagner un Smic derrière, et seulement si tout se passe bien ? Cela paraît bien illusoire de demander ce type d’investissement à des candidats à l’installation, pour ça », analyse sans mettre de gants Alessandra Kirsch, directrice des études du think tank Agriculture Stratégies. [...] « Un des problèmes de l’agriculture en France, c’est que les entreprises sont très endettées, bien au-dessus de ce qui se constate ailleurs en Europe. Et c’est paradoxal, parce que nous avons le foncier le moins cher du continent », poursuit-elle...