Suite à la flambée du prix des carburants et des intrants, chacun tente de limiter les factures et donc de minimiser l’impact des hausses de prix sur ses coûts de production. Le labour est bien souvent l’un des principaux postes de dépense. L’opération est gourmande en traction, donc en carburant. La supprimer rime souvent avec économies, dont la valeur peut s’élever jusqu’à 30 % des charges de mécanisation. Arvalis a comparé différentes pratiques : implanter une culture avec la technique faisant référence, à savoir le semis combiné derrière un labour, après deux déchaumages, et diverses techniques simplifiées. Globalement, les TCS comptent moins de passages et leur débit de chantier est supérieur. Avantage donc aux modes simplifiés, des méthodes intéressantes d’ailleurs pour les implantations d’automne car elles permettent de réduire la puissance du tracteur de tête sur la ferme. Voire dans certaines situations d’en supprimer un !
Attention cependant, faire l’impasse sur le labour peut avoir des incidences agronomiques qu’il vaut mieux maîtriser. Structure, tassement, acidité et aération du sol, faune et adventices présentes… autant de paramètres à ne pas négliger avant de décider ou non de remiser sa charrue.
Levée d’adventices retardée
Labourer accélère le réchauffement du sol et fournit donc davantage de chaleur aux plantes fraîchement semées, qui se développent plus rapidement. Sans compter que le semis se trouve facilité, puisque le labour diminue la force de pénétration nécessaire au semoir. La charrue efface aussi les empreintes de pneumatiques et les ornières laissées par les engins. Côté adventices, leur levée est retardée par l’enfouissement du stock semencier. Du coup, moins de concurrence = meilleure croissance des plantes cultivées. Soulignons aussi que le fait de retourner la terre brise le cycle de développement de certaines maladies fongiques.
En revanche, là où le bât blesse, c’est question faune du sol. Le nombre de vers dits "mangeurs de terre", les endogés, augmente au détriment des anéciques, dont une partie est détruite au passage de l’outil. Parmi les risques les plus importants, la formation d’une semelle de labour, sorte de "croûte" résultant de la compaction du sol sous la zone labourée. La matière organique tombe au fond de la raie, ce qui impacte la répartition de la faune du sol. Les individus anaérobies se retrouvent en surface, où ils meurent asphyxiés et inversement, ceux qui sont aérobies se retrouvent enfouis et subissent le même sort.
Attention à la vie biologique du sol
En labourant, d’autres problèmes, plus graves, peuvent survenir :
- Disparition de la couche d’humus superficielle,
- Érosion des sols (particulièrement s’ils sont fragiles) ou dessèchement,
- Baisse de la quantité de matière organique en surface (et la qualité),
- Enfouissement en profondeur des débris végétaux, amendements organiques, nématodes et micro-organismes décomposeurs.
Conséquences : les champignons aérobies meurent et les sols s’acidifient, les racines sont parasitées, les nitrates sont lessivés et polluent les nappes phréatiques. Sans parler des apports d’engrais conséquents, nécessaires pour pallier ce déficit.
À noter aussi, l’exposition des vers de terre aux produits chimiques. Moins actifs, ils ne remontent plus la nuit pour venir chercher la matière organique. En surface, le sol est moins aéré, voire asphyxié. Et avec la diminution de l’humus en surface, il perd son pouvoir de rétention d’eau. Actuellement, les sols s’érodent d’un millimètre par an (alors qu’il en faut 10 pour constituer cette épaisseur).
47 % de la SAU française est non labourée
En France en 2017, les superficies non labourées évoluent avec en moyenne 47 % de la surface agricole qui n'est pas retournée selon l'enquête Agreste. En effet, la suppression du labour concerne près de la moitié de la SAU, le labour une à deux fois tous les six ans (entre 2006 et 2011) concernait 46,8 % des surfaces, 40 % était encore labourée systématiquement ! Bien évidemment, la rotation culturale et le type de sol jouent : la charrue est plus fréquemment abandonnée dans les sols argilo-limoneux (39 % ne sont plus labourés).
La zone de production est elle aussi significative. Dans les Hauts-de-France et en Alsace, les parcelles recevant du blé sont le plus régulièrement labourées. Alors qu'au Sud-Ouest, le non-labour est davantage répandu. A l'Est (Bourgogne, Champagne et Lorraine), les rotations de cultures d’hiver (blé-colza-orge) contribuent au développement des techniques culturales sans labour. Sur la question de l'arrêt total du labour, la décision est plus difficile à prendre. N'oublions pas que la pratique possède des inconvénients mais aussi quelques atouts.
L'agriculteur devra donc raisonner en fonction de ses convictions, de sa maîtrise de l’agronomie et des particularités pédoclimatiques de ses parcelles. Sans oublier de prendre en compte la complexité de certaines techniques culturales simplifiées.
L'engouement pour les TCSL existe t-il ?
Autre élément à prendre en compte : la réduction du temps de travail que permet la suppression du labour. C'est une motivation forte, au même titre que les économies sur les charges de mécanisation. Deux paramètres qui pèsent fort dans la décision de ne plus utiliser sa charrue. Particulièrement en ces temps où la surface cultivée des fermes augmente et où chacun chasse les économies. Et ce n'est pas pour autant que la charrue doit être complétement délaissée. Nombreux sont ceux qui ne s’interdisent pas de retourner leurs parcelles si les conditions l’exigent (sols tassés, graminées devenues incontrôlables…). Autre point à considérer : les techniques culturales sans labour (TCSL) sont bénéfiques pour l’environnement. Des études ont d'ailleurs mis en évidence les économies d’énergie et la réduction des émissions de gaz à effet de serre ! Sans oublier les moindres risques d'érosion des sols.
Retour sur la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre (GES). L’enjeu est d’envergure mondiale et les TCSL peuvent actionner certains mécanismes favorables au stockage du carbone dans le sol, via le CO2 contenu dedans. En ôtant la protection de la matière organique, le labour réduit la durabilité de stockage du carbone. Autrement dit : l'humification de la matière organique augmente en l’absence de labour. En France, le stockage annuel de carbone a été évalué entre 100 et 200 kg/an/ha dès lors que l’agriculteur cesse de labourer. Ces valeurs ont été mises en évidence par Arvalis grâce à son dispositif longue durée testé sur le site de Boigneville (Essonne). L’essai souligne aussi que la différence entre les deux méthodes s’atténue avec le temps. Excepté sur la question du stockage de carbone, qui augmente en situation de non-labour. Ceux qui ressortent la charrue exceptionnellement effacent aussitôt l'effet bénéfique sur le stockage.
La technique vise aussi à réduire, voire à supprimer l'utilisation de produits phytosanitaires. Pour y parvenir, les agriculteurs doivent créer une sorte de mulch à la surface de manière à couvrir le sol durant toute l’année. Cela limite donc la pression adventice. Quelques difficultés ont été relevées sur la culture du maïs. Le conseils sont de plutôt faire un faux-semis juste après la récolte et d'appliquer une dose de glyphosate pour détruire les graminées estivales. Mais pourquoi ne pas pailler les inter-rangs de manière à préserver l’humidité du sol et à limiter la levée des adventices ? A noter tout de même que dans cette configuration, le maïsiculteur doit accepter de ne pas avoir des parcelles totalement exemptes de mauvaises herbes. Ici, l’idée est plutôt de se concentrer sur la marge brute plutôt que sur la taille du maïs.
Finalement, « faut-il travailler le sol ? ». Dans ses conclusions, l’ouvrage coordonné par Arvalis et AgroParisTech établit qu’il existe une « multitude de combinaisons possibles entre les différentes techniques de travail du sol » et que l’enjeu n’est pas tant de les comparer mais plutôt de définir les modalités appropriées pour les mettre en oeuvre. La question prépondérante n’est donc plus « pour ou contre le labour ? », mais plutôt « comment optimiser la technique, avec ou sans labour ? » et « pour quel objectif ? ».
Travailler profondément peut s'imposer
Selon Jérôme Labreuche, un des coordinateurs de l’ouvrage : « Le labour peut rendre service ». C'est une solution curative à certains problèmes ; il atténue les difficultés de désherbage en cas de forte pression graminées. Sans oublier que la pratique permet de semer quand les conditions deviennent trop humides. Ce fût par exemple le cas à l’automne 2019, époque où certains agriculteurs avaient ressorti la charrue pour pouvoir emblaver dans de meilleures conditions. Si le sol est tassé, le labour permet aussi de le restructurer. Attention toutefois à ne pas créer de semelle de labour, notamment dans les sols limoneux.
D’après Arvalis, quand la structure est dégradée, l’action régénératrice du climat et de l’activité biologique est variable selon le type de sols. Le plus souvent, il faut plusieurs années ! Alors, en fonction de l’objectif de l’exploitant, travailler le sol en profondeur s’impose. « Certains préféreront ne pas déroger à la règle du non-labour, quitte par exemple à renoncer à semer un blé tardivement, observe Jérôme Labreuche. Cela peut se révéler plus compliqué mais tout dépend de leurs priorités. »
Large gamme d’humidité pour le labour
Selon Arvalis, toute action corrective de la structure du sol (travail superficiel, décompactage, labour) doit découler d’un diagnostic évaluant l’ampleur et la profondeur du tassement : plus il est profond, moins il est facile à rattraper. Il faut aussi prendre en compte la sensibilité au tassement de la culture à venir. En outre, si le labour peut se faire dans une gamme d’humidité assez large, ce n’est pas le cas du décompactage, qui a besoin d’un sol friable. « Avec la sécheresse des derniers étés, décompacter avant le semis de couverts était mission quasi impossible ! Faute d’humidité suffisante », souligne Jérôme Labreuche. « Il est parfois difficile de travailler les sols au moment opportun, tout dépend de la répartition de la charge de travail dans l’année. » Pour remettre un sol en état, certaines cultures recréent de la porosité grâce à leurs racines. « Pour cela, il est indispensable que la plante reste implantée au moins un an », écrivait Pascale Métais d’Arvalis en 2019. Pour ceux qui sont en semis direct, si la situation leur est favorable, deux années d’installation du couvert végétal sont nécessaires avant de retrouver la porosité équivalente à celle d’un sol labouré ! »
Prudence : des contre-vérités circulent
Jean-François Vian, enseignant-chercheur en agronomie des systèmes et sciences du sol à l’Isara de Lyon, a consacré sa thèse à l’effet sur les microorganismes du sol de différentes techniques de travail du sol en agriculture biologique. « Beaucoup de contre-vérités circulent dans le domaine de la fertilité des sols, observe-t-il. Le labour est diabolisé, accusé de stériliser les sols. Pourtant nous avons observé une bonne fertilité en situation de labours bien faits. Souvent, ce sont les conditions d’application qui sont mauvaises, pas la pratique en elle-même. Il faut intervenir au bon moment, sur un sol bien ressuyé, et au maximum à 20 cm de profondeur. »
Des travaux scientifiques montrent que les sols travaillés sont plutôt dominés par des espèces bactériennes, tandis que la diminution ou la suppression du travail du sol favoriserait le développement de champignons. Les communautés microbiennes sont par ailleurs influencées par l’usage du glyphosate. Côté macrofaune, des études indiquent que parmi les carabes, certaines espèces sont inhibées par le labour et d’autres plus abondantes. Tandis que la présence d’un mulch en agriculture de conservation serait un habitat propice aux limaces. « Aucun système n’est vertueux à 100 %, résume Jean-François Vian. En agriculture biologique, se séparer de la charrue me semble risqué. Il vaut mieux détruire une prairie ou une interculture par un labour que multiplier les passages superficiels. Le labour est utile aussi pour réduire l’usage des herbicides. »