U ne nouvelle politique de développement rural est lancée cette année avec la mise en place d'un ensemble de mesures agro-environnementales et climatiques.
Selon Christophe Diss, éleveur laitier en Alsace et ingénieur agronome spécialisé en développement agricole et rural, ces engagements sont inadaptés aux pratiques des agriculteurs dans leur exploitation, dans sa région en particulier. Les critères requis dissuadent même les agriculteurs de s'engager pour cinq ans dans ce nouveau dispositif d'aides ! Voici le courrier qu'il nous a adressé.
« Au niveau de l'élevage laitier, la réforme de la Pac va impacter en priorité les élevages "tout stock" à forte productivité laitière, c'est à dire, les élevages maïs ensilage avec peu de rotation, peu de prairies - souvent peu productives - et qui ne peuvent pas pratiquer le pâturage.
Dans ma région - Plaine d'Alsace -, ceci est le cas des élevages en systèmes maïs plat unique ou maïs-herbe avec peu d'herbe cultivée. Les rations à l'herbe ou le pâturage sont moins intéressants à l'échelle des exploitations à dominante "culture" du fait de l'aménagement du territoire et d'un climat plus propice au maïs qu'à l'herbe.
La Maec système polyculture élevage herbivore vient prendre le relais de la Mae Sfei développée localement en Bretagne. Dans les autres régions intensives, il y a peu d'antécédent agro-environnemental de ce type, c'est à dire, développé dans le cadre d'une approche systémique.
Et c'est là que le ministre va avoir un problème pour développer sa politique : ce n'est pas l'an 1 de l'agro-écologie qui démarre, mais l'an « zéro de chez zéro » dans la mesure où la baisse des aides du premier pilier ne pourra être retrouvée par de nombreux élevages -une majorité dans le contexte que je décris - dans cette mesure du deuxième pilier.
Je m'explique :
- L'exigence des 800 kg/Ugb de concentrés reviendra à travailler avec des rations n'incorporant pas plus de 2 kg en moyenne de concentrés (tout confondu, VL et correcteur) dans la ration moyenne du troupeau. Pour les élevages à 10.000 kg qui valorisent 3 kg d'un correcteur à 40 de Mat et 2 kg d'une VL à 18 % + 2 kg de concentrés sur veau jusqu'à 6 mois pour pratiquer le vêlage 24 mois, impossible d'atteindre cet objectif. Il faut donc travailler avec des fourrages riches en Mat et en Ufl et diminuer son objectif de production (lait ou taux). Or, le contrat ne propose de travailler qu'avec de l'herbe....rien sur les systèmes fourragers tout stock pouvant faire intervenir des fourrages riches, récoltés en dehors des surfaces en herbe, comme cela est possible dans les itinéraires de l'agriculture de conservation (ex : dérobé + maïs humide).
- L'Ift à - 40 % ne peut être atteint sans replacer de la prairie dans la sole cultivée ou la mise en rotation de cultures céréalières autoconsommées à bas niveau d'intrants (ex: méteil céréale - pois), surtout si l'éleveur cultive par ailleurs des productions spéciales (ex: Betterave sucrière). La mise en place de cultures autoconsommées bas intrants de ce type est économiquement valable dans les moindres potentiels agronomiques, mais pas dans les très bons sols. Les techniques de traitements bas volume et le désherbage alternatif trouveront néanmoins un écho à cette exigence.
- La conceptualisation de la perte de revenu est mal pensée : le ministère, sur conseil de l'Institut de l'élevage, considère que l'exploitant souscripteur devra diminuer sa Scop pour augmenter sa Sth. Il considère aussi que la production de lait restera équivalente. Les producteurs à fort niveau de production vont augmenter le nombre d'animaux (car la moyenne risque de baisser en fonction de la qualité de l'herbe et selon le niveau de concentrés) et vendre moins de céréales. Vue sous cet angle, la perte de revenu n'est autre que la perte de marge brute sur la Scop. Or, la réforme de la gestion des quotas par bassin de production a incité les éleveurs à s'orienter vers la production d'un lait marginal le moins cher possible, en augmentant la moyenne par vache, en saturant les bâtiments pour augmenter la marge brute à la logette. Dans ces cas de figure, l'agriculteur ne peut pas faire plus de vaches !!! En sus, une région agraire où l'herbe n'est pas de prédilection peut se retrouver avec de très mauvaises récoltes ! Donc, si l'éleveur veut honorer son contrat avec la laiterie pour ne pas être en sous réalisation et payer des pénalités, il devra acheter du fourrage et/ou des animaux ....rien de bien agro-écologique dans tout ça ! La perte de revenu devrait intégrer d'autres pertes collatérales, sur la marge laitière notamment.
- Le montant plafond d'aides de 20.000 euros est faible pour intégrer des pertes d'aléas climatiques sur l'herbe. Or, l'assurance multirisques climatiques sur l'herbe n'est pas actée. Si celle-ci le sera potentiellement à l'automne chez Groupama, sa formule « socle » ne couvrira que les coûts de production et non le prix « marché » des fourrages manquants. Notez au passage que le niveau de franchise passerait de 25 à 30 %.
- L'herbe n'est pas la seule voie de l'autonomie protéique....le ministère a une vision réductrice sur le champ des possibles. Au lieu de travailler sur un ratio herbe/Sau, il aurait pu travailler sur des ratios d'autonomie de la Mat totale, connus et décrits dans les typologies des réseaux de l'Institut de l'Elevage, et élargir sa notion de fourrages énergétiques et protéiques autoproduits (méteil, dérobés, intercultures récoltées). Le contrat pourrait définir les surfaces conduites en double culture (ex: méteil dérobés et ensilés + maïs grain humide) ainsi que les surfaces en herbe comme des Surfaces Fourragères Energétiques et Protéiques entrant dans le calcul d'un ratio Sfep/Sau venant remplacer le ratio Herbe/Sau. On peut néanmoins noter que le contrat autorise largement l'utilisation de coproduits fortement valorisables avec des fourrages de ce type.
Au niveau des systèmes à dominante « culture » produisant peu d'herbe et dont la Sau est faible, cela permettrait de ne pas bloquer une trop grande part de la sole cultivée en herbe, de faciliter les rotations et de développer les pratiques de l'agriculture de conservation (Tcs, Sd, couverture du sol, rotation) pour enchaîner plus rapidement des trains de culture sans temps mort (sans période de sol nu) et faciliter le respect des nouveaux calendriers d'épandage et éviter de passer par une nouvelle case « mise aux normes », ou méthanisation... très coûteuse, ou, mal rodée...
Dans la mesure où peu de références existent sur l'autonomie de la Mat dans les secteurs maïs ensilage, et que l'objectif a été d'y produire « plus » mais pas « plus autonome », la volonté de développer une politique agro-écologique vient fatalement se heurter à la dynamique de production de la filière agro-industrielle et sera compromise si elle n'identifie pas les modalités contractuelles capables de trouver un équilibre entre des niveaux de production exigeants par animal, des volumes contractualisés et surtout, le revenu de l'éleveur.
La convergence des aides vient clairement bousculer et remettre en cause les choix opérés depuis plusieurs décennies sur les systèmes fourragers intensifs. En l'absence d'une volonté forte des pouvoirs publics et des collectivités territoriales visant à identifier de nouveaux équilibres contractuels, la convergence passive de la Pac et la méritocratie active de la politique agro-écologique viendront, en l'état, pénaliser les dynamiques de filières en court. Elles ne seront qu'un moyen supplémentaire pour renforcer l'image d'un budget de l'Etat devant réaliser des économies sur le dos des agriculteurs, image partiellement masquée par la valorisation des systèmes les mieux placés pour rendre des services agro-écologiques (ex: systèmes en zone herbagère, pratiquant le pâturage, sous climat océanique). Tel est le risque de voir se développer une « austérité verte ». Pourtant, ce n'était pas là l'objectif affiché par l'actuel ministre au mois de décembre 2012 lors de l'annonce en grande pompe du projet agro-écologique au Cese : des mesures « systemes capables de répondre à des enjeux territoriaux car intégrées sur le plan économique ». »