Biodiversité fonctionnelle
Avec Gargamel, les bandes fleuries sont esthétiques et utiles aux cultures

Une bande fleurie bien pensée permet de réduire l’usage des insecticides sur les grandes cultures alentours. (©Antoine Gardarin)
Une bande fleurie bien pensée permet de réduire l’usage des insecticides sur les grandes cultures alentours. (©Antoine Gardarin)

Bande fleurie au milieu des grandes cultures.
Une bande fleurie bien pensée permet de réduire l’usage des insecticides sur les grandes cultures alentours. (©Antoine Gardarin)

Mobilisant des agronomes et des écologues, le projet Gargamel, porté par l’unité Agronomie de l’Inra AgroParisTech, vise à évaluer la capacité de bandes fleuries à attirer, maintenir et favoriser certaines formes de biodiversité fonctionnelle (auxiliaires prédateurs comme les syrphes, les carabes, et les parasitoïdes) susceptibles de contribuer à la régulation des bioagresseurs des grandes cultures, dans le cadre d'une lutte biologique par conservation.

Gargamel, pour Gestion agro-écologique des ravageurs de grandes cultures à l’aide de mélanges floraux, a pour ambition d’une part de mesurer la contribution des bandes fleuries à la gestion des ravageurs de grandes cultures (notamment colza et légumineuses), et d’autre part de déterminer à quel point la diversité végétale est nécessaire dans les bandes fleuries. L’expérimentation a débuté en 2013 et s’achève en 2017. Sur un terrain de 13 ha où poussent colza et légumineuses, 27 bandes de 6 mètres de large et 45 mètres de long ont été implantées, contenant 9 à 30 espèces végétales selon les modalités. Les plantes utilisées sont toutes des espèces indigènes et majoritairement pérennes, comme des pâquerettes, l’achillée millefeuille, la centaurée scabieuse, la berce, le panais, des légumineuses mais aussi des graminées.

Mobiliser la biodiversité pour limiter les traitements

En grandes cultures, les stratégies actuelles de protection intégrée à l’échelle de la parcelle ne permettent pas de réduire significativement l’utilisation des insecticides. Or cette famille de pesticides représente, sur colza et pois, la moitié des traitements (deux à trois traitements insecticides par an en moyenne en France). « L’idée est donc de développer des méthodes préventives, telles que celles mobilisant la biodiversité comme levier », explique Antoine Gardarin, responsable scientifique du projet Gargamel. Le contexte paysager constitue un levier important, mais peu mobilisable. Raison pour laquelle la mise en place d’infrastructures agro-écologiques, telles que les bandes fleuries, est sollicitée. « Il s’agit de favoriser la présence dans ces bandes d’une biodiversité qui va aider l’agriculteur à lutter contre les insectes agresseurs et, donc à moins faire appel aux pesticides. »

La régulation des ravageurs pas encore prise en compte

« L’attrait des bandes fleuries pour les auxiliaires est plus ou moins connu. Mais leur contribution à la santé des grandes cultures ne l’est pas encore. Actuellement, leur composition botanique et leur gestion ne sont pas toujours réfléchies pour réguler les ravageurs. Enfin, nous observons souvent un manque de cohérence entre les bandes installées et les systèmes de culture, qui ne valorisent pas nécessairement le potentiel de ces habitats. » Quels mélanges pour quels systèmes de culture, quels contextes paysagers, contre quels insectes ? C’est notamment à ces questions que le projet Gargamel cherche à répondre.

Se passer d'insecticide, l'objectif ambitieux du projet Gargamel.
Se passer d'insecticide, l'objectif ambitieux du projet Gargamel. (©Inra)

De nombreux agriculteurs implantent déjà des mélanges en bordure de leurs parcelles, qu’il s’agisse de bandes enherbées ou fleuries, à visées esthétiques, de refuge pour le petit gibier ou destinées à nourrir les abeilles domestiques. En revanche, les objectifs de régulation des bioagresseurs de grandes cultures ne sont pas souvent pris en compte, parce qu'on ne sait pas en évaluer le potentiel, ni quantifier les dégâts et dommages évités à la culture.

On sait pourtant que la fourniture de ressources trophiques (nectar, pollen, proies alternatives) au bord des champs augmente globalement la présence d’auxiliaires des cultures. En revanche, cela ne se traduit pas systématiquement par une régulation des populations des ravageurs ciblés, ni une réduction de leurs dégâts dans les cultures alentour, souvent parce que les mélanges fleuris ne sont pas spécifiquement conçus pour cet objectif de contrôle biologique. De plus, les travaux passés sont très sectoriels et se limitent souvent à une seule culture (souvent en maraîchage ou en arboriculture) et un seul ravageur. En grandes cultures, il n’existe pas de connaissance opérationnelle permettant de raisonner la composition des mélanges fleuris selon un objectif quantifiable de régulation des ravageurs, les systèmes de cultures concernés et le contexte paysager environnant.

Baisse de 30 à 60 % des ravageurs

Pour répondre à ces questions, les scientifiques quantifient l’impact des bandes fleuries sur l’abondance et la diversité des auxiliaires (syrphes, carabes…) attirés et hébergés, et sur leur dynamique temporelle. Ils étudient un impact sur le contrôle effectif des ravageurs (pucerons, méligèthes par exemple), les dégâts et dommages, dans la culture proche et celles adjacentes. Des piégeages sont réalisés dans les bandes et dans la culture : le type « Barber », affleurant à la surface du sol, intercepte les arthropodes marcheurs, et les « cornet », les auxiliaires volants.

Gargamel pour Gestion agro-écologique des ravageurs de grandes cultures à l’aide de mélanges floraux.
Gargamel pour Gestion agro-écologique des ravageurs de grandes cultures à l’aide de mélanges floraux. (©Antoine Gardarin)

Pour mesurer l’activité de prédation, des ravageurs « sentinelles » sont apportés sur l’essai puis récupérés le lendemain. Des ravageurs sont également collectés pour observer s’ils sont parasités. « Ce milieu constitue un vivier pour les coccinelles, araignées, coléoptères ou microguêpes qui dévorent les ravageurs tels que les pucerons. Les premiers résultats sur pois et orge de printemps montrent une baisse de 30 à 60 % des ravageurs. C’est très encourageant », note le chercheur.

Créer l'habitat idéal

Pour déterminer le meilleur degré de biodiversité au sein des bandes fleuries, Gargamel étudie avant tout la diversité fonctionnelle des ressources nécessaires aux auxiliaires : nature des ressources trophiques (nectar, pollen), degré d’accessibilité de ces ressources selon la morphologie florale et de spécialisation des insectes attirés, et périodes et durées de croissance et de floraison des espèces. Les chercheurs tiennent compte des caractéristiques d’habitats (sites d’hivernation, structure de la végétation…) que ces bandes apportent aux arthropodes en analysant la structure du couvert (ex. taille et port des plantes). Après deux années d’expérimentation, les premiers résultats montrent une réduction de 30 à 50 % des criocères (ravageurs des céréales), et une réduction de même ampleur des pucerons sur les cultures d’orge et de pois. En 2016, l’hiver doux a été très favorable au développement des pucerons cendrés. En fin de saison, la quantité de pucerons présents était négativement corrélée à la quantité et à la diversité de carabes. Dans la féverole, la quantité de carabes était également très fortement (et négativement) corrélée à la quantité de sitones, ce qui montre bien le rôle positif de ces prédateurs.

Présence d'auxiliaires favorisée

Dans le cas des pucerons, leurs parasites naturels (guêpes microscopiques) semblent tout particulièrement favorisés par les bandes fleuries. Enfin, parmi les différentes bandes fleuries comparées, toutes ne sont pas aptes à favoriser les auxiliaires comme les syrphes : dans certains cas, la forme des fleurs ne leur permet pas d’aller collecter le nectar, ce qui montre à quel point il est nécessaire de prendre aussi ce critère en compte dans la conception des mélanges.

Soulignons enfin que le projet Gargamel ne cherche pas à favoriser la biodiversité seulement via des bandes fleuries, mais aussi via des pratiques favorables dans la parcelle : pas de labour, semis direct si possible, couverts végétaux, forte réduction des pesticides avec notamment aucun insecticide etc. Le résultat est que le cœur de la parcelle devient ainsi un habitat également très favorable aux auxiliaires.

Les résultats de ce projet sont attendus en 2018.

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