Tiraillée entre les partisans du chauffage des serres au nom de la rationalité économique, et ceux d'une agriculture biologique respectueuse du cycle des saisons, la France avait abouti en 2019 à un compromis qui a été annulé mercredi par une décision du Conseil d'Etat.
La plus haute juridiction administrative a estimé que les autorités françaises n'étaient « pas compétentes » pour édicter des règles relatives à la production et à la commercialisation de produits biologiques, déjà encadrées par un règlement européen.
En 2019, l'arbitrage trouvé sous l'égide du ministre de l'agriculture de l'époque Didier Guillaume cherchait à sonner la trêve dans la bataille rangée entre acteurs historiques du bio et producteurs souhaitant accélérer son développement.
Ce compromis n'interdisait pas aux maraîchers bio de chauffer leurs serres, mais prohibait de commercialiser des légumes d'été (tomates, courgettes, poivrons, aubergines et concombres) avec le label biologique entre le 21 décembre et le 30 avril. Cette interdiction ne concernait pas les produits importés. « Il ne peut pas y avoir de contre-saisonnalité en bio. On ne mange pas des produits bio l'hiver à contre-saison », avait alors affirmé M. Guillaume.
« C'était une décision incompréhensible, une trahison venue pénaliser tous nos producteurs sous serre », a déclaré jeudi à l'AFP Jean-Michel Delannoy, président de la fédération des coopératives de fruits et légumes, fleurs et pommes de terre (Felcoop), qui a saisi le Conseil d'Etat avec la fédération des producteurs de légumes, association spécialisée du premier syndicat agricole FNSEA.
Selon M. Delannoy, cela n'a pas réduit le chauffage des serres (les tomates cultivées sous serre pouvant être commercialisées en tant que produits conventionnels jusqu'au 1er mai) mais donné « quartier libre » aux importations. « Je ne veux pas qu'on nous interdise de produire ce que peuvent faire nos voisins », dit-il.
De plus, la mesure a d'après lui dissuadé des jeunes de s'installer en bio : « L'enfer est quelquefois pavé de bonnes intentions. »
Décarboner les serres
Le ministère de l'agriculture a pris « acte » de la décision du Conseil d'Etat mercredi soir et l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao) a annoncé jeudi avoir supprimé le passage sur le chauffage des serres dans son "guide de lecture" de la réglementation biologique, conformément à l'injonction du Conseil d'État.
La Fédération nationale d'agriculture biologique (Fnab), qui s'oppose au chauffage des serres, s'était satisfaite du compromis de 2019 même si elle aurait préféré « une interdiction pure et simple », selon les mots de son président d'alors, Guillaume Riou.
« La décision du Conseil d'Etat risque de pousser à l'industrialisation de la bio en France et au recul des exigences environnementales du label », regrette jeudi l'organisation dans une déclation à l'AFP.
Le retour aux tomates bio hors saison, « c'est un coup de canif supplémentaire dans le contrat de confiance qui nous lie avec les consommateurs » qui vont penser « que l'agriculture bio n'est plus garante de la préservation du climat », a regretté auprès de l'AFP son président Philippe Camburet. « L'esprit de la production bio est de préserver durablement nos ressources naturelles et non pas de s'engager dans une fuite en avant pour proposer de tout, tout le temps », a-t-il poursuivi. Pour lui, la « vraie logique » veut que « si on veut manger des tomates en hiver c'est en conserve ou surgelées, et les fraises c'est en confiture ».
La Fnab ajoute vouloir « rapidement analyser toutes les voies de recours qui sont les nôtres pour continuer à défendre les plus hautes exigences environnementales en bio ».
Une tomate hors-saison génère quatre fois plus de gaz à effet de serre « qu'une tomate produite à la bonne saison (entre juin et septembre) », selon l'Agence française de la transition écologique Ademe. Son empreinte carbone est considérablement alourdie par le chauffage des serres, le plus souvent au gaz.
« La problématique de la décarbonation des serres est évidente, il faut le prendre à bras le corps », défend le président de la Felcoop, Jean-Michel Delannoy.
« On l'a tous compris, mais cela ne peut pas se faire en cinq minutes et sans moyens », poursuit-il, plaidant pour que l'Etat consacre 25 millions d'euros d'aides par an à la décarbonation des serres chauffées.