À quand la pulvérisation ultra-localisée de fongicides ? L’idée semble séduisante, mais ce n’est pas pour demain, ni même pour après-demain. L’application ciblée est pour l’instant réservée aux herbicides. Elle consiste à identifier les adventices au moyen de capteurs et diffuser le produit de façon très localisée, en coupure de rampe ou à la buse.
Certains constructeurs de pulvérisateurs et firmes agrochimiques nouent des partenariats afin de proposer des solutions de plus en plus sophistiquées et onéreuses. Telle SmartSprayer, une plateforme digitale d’optimisation des cultures de BASF conçue par Bosch, Amazone et Xarvio. Ou encore Sniper, l’offre proposée par Berthoud et Corteva, une caméra positionnée sur la rampe qui décèle la présence d’adventices. La buse s’ouvre ou se ferme selon les besoins.
Détecter les composés générés par la plante en réponse à une attaque fongique
Pour les fongicides, c’est une autre paire de manches. Repérer les taches de maladies ? Inutile, car lorsqu’elles apparaissent, il est souvent déjà trop tard, la maladie est installée. Or les traitements fongicides relèvent du préventif. Il faudrait parvenir à détecter les composés que génère la plante pour se défendre en réponse à une attaque fongique, c’est-à-dire très en amont.
Il y a huit ans, des recherches ont été conduites par Arvalis-Institut du végétal, mais elles n’ont pas connu de suite. Des travaux pour améliorer les pratiques de détection précoce de maladies sont toutefois en cours. Ils devraient être présentés lors de la prochaine Conférence internationale sur les maladies des plantes (Cima), organisée par l’association Végéphyl en décembre. Il s’agit de photographier les plantes en plusieurs endroits de la parcelle et d’observer les stades de développement à l’échelle des spores, c’est-à-dire à l’échelle microscopique. L’expérience en est à ses débuts. L’observation et l’analyse se font au moyen de l’intelligence artificielle, qu’il faut « entraîner » et pour cela, il faut obtenir suffisamment de données.
La détection précoce de maladies « nous permettrait soit de faire l’impasse, soit de reculer le déclenchement d’un traitement, mais en aucun cas de faire de la pulvérisation ultra-localisée », indique Franck Duroueix, expert protection intégrée des cultures à Terres Inovia, l’institut technique de la filière des protéagineux.
Cibler les ronds ? Mauvaise idée
Quant à ne traiter que les ronds où les agents pathogènes sont présents, l’idée est reçue plutôt froidement sur le terrain. Le jeu n’en vaut pas la chandelle, les agriculteurs ne sont pas prêts à prendre ce risque. « En fongicide, vous laissez s’installer une septoriose sur un blé ou un mildiou sur la pomme de terre, et c’est la fin des haricots, la récolte est foutue », résume Benjamin Desindes, responsable produit pulvérisation chez Kuhn. Les maladies arrivent par en haut, « on traite un jour et trois jours plus tard, un nouveau rond apparaît plus loin ; il n’y a pas de connaissance intraparcellaire de la progression de la maladie, donc pas de possibilité d’anticiper, abonde Jérôme Clair, responsable de Xarvio (BASF). S’il faut aller toutes les semaines traiter une partie de la parcelle, cela n’a plus aucun intérêt ! » Pour la rouille jaune, qui apparaît sous forme de foyers, la maladie est certainement présente en incubation et risque en effet de se développer. « On court alors après la maladie, il y a des délais d’incubation qui sont très courts, met en garde Gilles Couleaud, ingénieur protection des plantes chez Arvalis-Institut du végétal. On l’a vu lors de grandes années à rouille jaune, il faut traiter au tout début du foyer, sinon on n’est plus curatif, on doit être éradiquant, or les produits ne sont pas éradiquants. »
Optimiser l’utilisation du pulvé
En attendant, la réduction des fongicides peut se faire en utilisant au mieux son pulvé. « On n’a pas besoin de venir équiper un pulvérisateur avec des systèmes très onéreux pour faire de grosses économies », assure Benjamin Desindes. Le premier levier consiste à ne plus pulvériser en plein, mais uniquement sur la végétation (voir encadré p. 13).
L’économie peut aussi passer par la modulation de dose. Sur certains équipements, jusqu’à 32 doses peuvent être générées sur une largeur de rampe. La dose peut aussi être modulée au niveau de chaque buse. Le système PWM permet par ailleurs de la faire varier selon un facteur 1 à 3. Enfin, des systèmes de détection tels qu’I-spray, chez Kuhn, permettent de moduler en fonction de la biomasse. « L’idée générale, c’est que plus il y a de végétation, plus je mets de fongicide, moins il y en a, moins j’en mets », résume Benjamin Desindes. L’outil Xarvio Field Manager, quant à lui, propose notamment à l’agriculteur de moduler la dose selon la biomasse de sa parcelle cartographiée par satellite. « L’agriculteur choisit son produit, la dose maximale qu’il souhaite par hectare, et la machine module selon la zone de la parcelle, explique Jérôme Clair. Cela peut générer jusqu’à 15 % d’économies. »
Difficile à croire, toutefois. Pour Gilles Couleaud, « il y a peu d’enjeux à ajuster la dose en fonction de la biomasse ». Des travaux ont montré que cela ne fonctionnait pas, le résultat était le même en appliquant une dose moyenne. « Sur une faible biomasse, vous pouvez avoir une attaque de pathogènes qui soit aussi préjudiciable que sur une forte biomasse », précise-t-il. L’enjeu consiste donc plutôt à ajuster la dose à la parcelle. Selon le type de sol et la variété utilisée, les besoins de la plante diffèrent et un Sacramento (plus sensible), vous allez dans le premier cas peut-être pouvoir vous passer de T1, ce qui ne sera peut-être pas possible avec l’autre variété », développe l’ingénieur. Or bien souvent, « les agriculteurs conduisent le même programme sur toutes leurs parcelles », remarque-t-il.
Des OAD de plus en plus performants
Pour réduire les IFT, le développement d’outils d’aide à la décision (OAD) semble être l’une des pistes principales sur lesquelles travaillent les firmes. Leur but est de formuler des préconisations aux agriculteurs et techniciens à partir de modélisations. De multiples données sont compilées : stades de la plante, date d’implantation, sol, rendements précédents, météo, dates de traitements, etc. Année après année, ces données s’affinent et les préconisations gagnent en précision. Objectif : intervenir au bon moment et seulement quand il le faut. C’est ce que promet, par exemple, la plateforme Fieldview de Bayer, qui permet à l’agriculteur d’enregistrer toutes ses données du semis à la récolte. Xarvio Field Manager propose de son côté un module date de déclenchement, Top Traitement, qui peut permettre de faire l’impasse sur le T1.
Les entreprises agrochimiques travaillent désormais à améliorer ces différents OAD. « Mieux valoriser les observations, mieux intégrer les observations locales pour réajuster la modélisation globale », résume Jérôme Clair. En réalité, cependant, leurs recherches se concentrent bien davantage sur les herbicides. « Le gain y est très substantiel, cela vaut le coup, reconnaît Jérôme Clair. Quand une solution est mature en herbicide, on peut voir les usages périphériques déployables. » En grandes cultures fongicides, « c’est là que l’on travaille le moins de choses », admet de son côté Guillaume Chancrin, responsable marketing culture maïs, vigne, arboriculture et légumes chez Bayer.
Le géant de l’agrochimie a développé un logiciel, Predima, qui permet de modéliser la dynamique d’une maladie. Il pourrait être commercialisé d’ici deux ou trois campagnes. « On rassemble différentes données telles que le stade, la variété ou la météo, tout cela est combiné avec les équipements de pulvérisation de l’agriculteur, et on peut formuler des recommandations », poursuit-il. Au-delà de ces améliorations dans le conseil, les perspectives reposent beaucoup sur l’amélioration génétique.
Des progrès génétiques significatifs
« En colza, on commence à avoir des variétés plus tolérantes au Sclerotinia, ce qui permet de diminuer le niveau d’interventions », se réjouit Franck Duroueix, de Terres Inovia. En céréales, la génétique a aussi permis de progresser de manière très significative depuis cinq à dix ans. « On a maintenant des variétés multiperformantes, comme Chevignon ou LG Absalon, résistantes à la septoriose et à la rouille jaune, détaille Gilles Couleaud. Cela permet de réduire les doses et le nombre de passages, de faire l’impasse du T1 par exemple. » Des progrès restent encore à faire, notamment sur la rouille jaune. « Il y a quelques variétés pour lesquelles on ne peut pas faire l’impasse d’un T1 », remarque l’ingénieur.
Les agriculteurs ont, en tout cas, quelques cartes en main pour ne plus systématiser les trois passages. « On peut changer les modalités de raisonnement », propose Gilles Couleaud. « Intervenir juste quand il faut et au bon moment, c’est déjà un grand pas ! glisse sa collègue Caroline Desbourdes. S’il y avait davantage de gens utilisant les OAD, il y aurait un usage réduit des fongicides. » Dans le Maine-et-Loire, Benoît Foucault anime un groupe Dephy à la chambre d’agriculture, et les IFT, les agriculteurs du groupe les ont déjà beaucoup réduits (voir encadré ci-contre), sans forcément utiliser des OAD. « Ils ne font en général plus qu’un seul traitement en fin de cycle, il n’y a plus grand-chose à gagner, maintenant, se félicite l’ingénieur agronome. Désormais, j’attends surtout des solutions de biocontrôle, des choses qui auront moins de répercussions sur l’environnement. »