« La variabilité des rendements, c’est surtout une affaire de climat ! » déclare Xavier Pinochet, membre de l’Académie d’agriculture de France, et expert scientifique pour Terre Inovia. Avec Philippe Gate, lui aussi membre de l’académie, et ancien directeur scientifique d’Arvalis, il a présenté une conférence dédiée à l’adaptation des grandes cultures aux changements climatiques, le 28 février, sur le stand de l’Acta, au Salon de l’agriculture.
Les deux scientifiques ont ainsi rappelé qu’au sein des réseaux d’expérimentation variétale, l’environnement était à 80 % responsable des variations climatiques. « Sur le territoire, ces variations sont liées au sol, à sa capacité de stocker l’eau et donc aux systèmes de culture plus exposés aux stress », ajoute Xavier Pinochet.
De la Charente à la Lorraine, en passant par le Berry et la Bourgogne, les sols superficiels, aux réserves utiles plus faibles, sont plus sensibles et nécessitent des rotations de cultures d’hiver, les cultures de printemps subissant plus drastiquement les stress hydriques.
La localisation des cultures joue sur les baisses de rendements
« Un point essentiel à retenir, c’est la localisation des cultures, explique Philippe Gate. Le lin fibre est l’une des espèces les plus sensibles aux variations climatiques, mais pourtant les rendements ne cessent de progresser, car le lin fibre est cultivé en bordure maritime, en Normandie, où il y a très peu d’évolution climatique. »
Le sorgho, fortement localisé dans le Sud-Ouest du pays dans les années 1990, s’est répandu partout en France et a vu ses surfaces augmenter fortement sur la façade atlantique et au Centre de la France, du fait de sa robustesse aux aléas climatiques. Quant au blé dur, historiquement cultivé en Provence, il y disparaît progressivement, au profit de régions moins impactées par le réchauffement.
En France, une stagnation des rendements du blé
Concernant le blé tendre, Philippe Gate démontre que les rendements, jadis en forte hausse, grâce aux progrès techniques, sont en stagnation depuis 1995, année qui correspond selon Météo France au début du changement climatique.
« L’amélioration du rendement qui résulte de nouvelles variétés est en croissance de 0,55 q/ha et par an, explique le chercheur. Or la baisse des rendements due aux aléas climatiques, qu’il s’agisse de stress hydrique ou de faible rayonnement, accuse une baisse d’environ 0,55 q/ha et par an. Cela explique la stagnation générale des rendements. » Malheureusement, en raison des résultats catastrophiques de la dernière campagne, les rendements ne stagnent plus mais diminuent.
En regardant la situation de nos voisins européens, on constate un phénomène d’infléchissement des rendements plus sévère dans les pays du Sud, où les changements climatiques sont plus drastiques, et une croissance maintenue, bien que légère, dans les pays du Nord, ou proches des côtes, tels que l’Allemagne ou le Royaume-Uni, où les effets du changement climatique se font moins sentir.
Une hausse des rendements de maïs à cause du CO2
Côté colza, le progrès génétique l’emporte encore sur les baisses de rendements pour raison climatique, ce qui explique que les rendements soient toujours en hausse, même si cette croissance a été fortement ralentie à partir de 1987. Les rendements annuels sont cependant de plus en plus extrêmes, témoignant de l’incertitude de chaque campagne.
Mais ce changement climatique a un impact, non seulement sur le rendement, mais aussi sur la qualité des graines. Une hausse des températures entraîne des variations sur les teneurs en acides gras du colza et du tournesol.
Côté maïs, les rendements ont augmenté du fait de la hausse des taux de CO2 dans l’atmosphère, car ce dernier stimule la photosynthèse, et donc la production d’amidon par unité d’azote. Mais ce déplafonnement des rendements se fait en dépit de la teneur en protéines. « Cela nécessitera de chercher des stratégies de fertilisation très différentes d’aujourd’hui, en cherchant le meilleur compromis entre le rendement et la protéine », explique Philippe Gate.

Une liste de pratiques à associer pour adapter les grandes cultures
Alors comment adapter les cultures à tous ces changements ? Les chercheurs ont identifié un ensemble de solutions qui peuvent se montrer pertinentes en étant associées les unes aux autres : le levier génétique, la sensibilité à l’exposition, c’est-à-dire le recours à des cultures d’hiver ou de printemps, la précocité des variétés, le décalage des dates de semis permis par une offre thermique supplémentaire, la diversification des cultures, avec toutes les opportunités de nouvelles productions, jadis inadaptées aux conditions françaises.
« Il y a aussi tout ce qui est lié à la mise en œuvre de pratiques culturales, telles que les couverts, le mulch, l’agriculture de conservation, le relay cropping, qui consiste à semer une espèce avant d’avoir récolté la précédente », liste Philippe Gate. Enfin, l’association d’espèces, pour chercher une complémentarité fonctionnelle, et l’utilisation de la ressource hydrique, peuvent compléter cet ensemble de mesures.
Enfin, Xavier Pinochet a rappelé l’immense progrès technologique des 25 dernières années : « nous assistons à un développement du phénotypage, avec des engins qui permettent des mesures plus fréquentes et plus précises, sur un plus grand nombre de génotypes. Cela donne la possibilité d’être couplé avec les progrès des biotechs, et constitue un accélérateur du travail. »
Mais si les chercheurs ont pointé les options d’adaptation des grandes cultures aux changements climatiques, ils ont également rappelé qu’il est primordial d’atténuer ces changements par une préservation de la biodiversité et une réduction des intrants. « Le mot-clé, c’est diversité, a conclu Xavier Pinochet. Diversité variétale, diversité des pratiques, diversité des espèces. »