Manger « sain » à s'en rendre malade

« Manger un fruit uniquement s'il a été cueilli il y a moins d'une minute, faire des mini repas assortis de compléments alimentaires... L'orthorexique est emprisonné dans un ensemble de règles qu'il s'impose », explique à l'AFP le professeur de psychologie interculturelle Patrick Denoux (Pourquoi cette peur au ventre, JC Lattès), qui estime, selon les études, à 2 à 3 % de la population la proportion d'orthorexiques en France. Conceptualisé dans les années 1990 aux États-Unis, le terme d'orthorexie a été défini comme un « trouble » par Le Petit Larousse en 2012. La question du bien-manger est au coeur des États généraux de l'alimentation lancés le 20 juillet et qui doivent tenter de trouver d'ici à novembre des solutions à la crise agricole et aux défis agroalimentaires.

« On n'a jamais eu aussi peur de ce qu'on mange »

« Nous vivons une mutation culturelle de l'alimentation qui nous amène à douter fondamentalement de ce que nous mangeons à cause de l'éloignement du producteur et du consommateur, de la délégation du contrôle par le consommateur à des institutions lointaines, des crises alimentaires...» liste le spécialiste. Après le « traumatisme » de la crise de la vache folle aux débuts des années 1990, puis du scandale de la viande de cheval en 2013, « on n'a jamais eu aussi peur de ce qu'on mange », confirme à l'AFP Pascale Hébel du Crédoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie). « L'éloignement du rural a créé ces angoisses » qui « se cristallisent chez les classes supérieures », estime Mme Hébel. Dans notre culture occidentale, ce « soupçon d'empoisonnement » est « valorisé » comme preuve de notre « perspicacité », affirme M. Denoux.

« J'avais l'impression de détenir la vérité sur l'alimentation-santé qui permet de vivre le plus longtemps possible », témoigne ainsi Sabrina Debusquat, orthorexique pendant un an et demi, qui a publié un livre sur le sujet (Métro, Boulot... Bonheur !, Édition Ça se saurait). Cette Française de 29 ans a développé progressivement son syndrome à la suite d'allergies de la peau provoquées par des cosmétiques. De clic en clic, elle tombe sur des sites internet et des études contradictoires sur l'alimentation. « Toutes ces informations ont généré chez moi une angoisse énorme. C'est une réaction extrême à une malbouffe extrême », résume-t-elle. M. Denoux définit trois grands systèmes alimentaires : le traditionnel de « notre grand-mère », l'industriel qui « remplit notre estomac » et le sanitaire qui voit « la nourriture comme médicament ». « L'orthorexique n'arrive pas à combiner ces systèmes, simplifie en se réfugiant dans la santé » et en excluant des aliments.

« C'était comme si elle préférait perdre la vue » que de consommer à nouveau de la viande et du poisson

En un an et demi, Mme Debusquat est devenue végétarienne, puis vegan (refus de manger toute protéine animale), puis crudivore et frugivore (alimentation à base de fruits). « Je voulais atteindre une sorte d'état de pureté », justifie-t-elle. Elle perd ses cheveux, sans s'en inquiéter. Seul l'énervement inhabituel de son compagnon lui permet de se rendre compte de son état obsessionnel. « Mon corps avait fini par tyranniser mon esprit. » Elle décide de s'en sortir et sort acheter de la vitamine B12. Obtenu à partir de bactéries que l'on trouve surtout dans l'estomac de ruminants ou d'animaux marins, cet élément sert essentiellement à la fabrication des globules rouges.

C'est de cette même vitamine que manquait une patiente de Sophie Ortega, médecin nutritionniste à Paris : « Elle commençait à devenir aveugle par carence de B12. » « Vegan pure et dure », cette patiente refuse d'en avaler. « C'était comme si elle préférait perdre la vue » que « de trahir son engagement envers les animaux », s'inquiète son médecin. Praticienne depuis 25 ans, le Dr Ortega souligne la perte de repères actuellement chez ses patients. « Cela devient un casse-tête de remplir son chariot de supermarché et d'équilibrer ses menus. Il y a maintenant des aliments présentés comme des médicaments. On se dit que ça ne peut qu'être meilleur. » Mais ce médecin insiste : « La bonne alimentation inclut le végétal et l'animal », autorise « la spontanéité » et... « le plaisir ».

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