« Engager, non pas la mais les nouvelles générations, dans l’outil collectif qu’est la coopération agricole, est un enjeu majeur. » Depuis quelques années, ce constat, que dressent les coopératives sur l’ensemble du territoire, est l’objet d’une réflexion au sein du réseau, de l’échelle nationale à locale. « Nous devons faire évoluer notre modèle coopératif, trouver d’autres organisations et trajectoires, pour mieux le transmettre aux jeunes et les accompagner dans sa prise en main », pointe Thierry Dupont, président d’Agora, en ouverture de l’assemblée générale 2023, le 12 décembre, consacrée à cette thématique. Entre 2000 et 2020, dans la zone que couvre la coopérative de l’Oise, le nombre d’agriculteurs a diminué de 36 %.
Pour lui en effet, « la diversité des profils des nouveaux installés et l’évolution de leurs attentes, en matière d’environnement, de changement climatique notamment, doivent être davantage prises en compte » parce qu’elles sont « une vraie richesse pour nos organisations » : « elles nous challengent et nous poussent à nous remettre en question », appuie Thierry Dupont. Sans oublier cependant les « valeurs fondatrices de la coopération », souligne-t-il, telles que le collectif, l’entraide, la solidarité, l’équité, etc.
« Un défi intergénérationnel »
Au défi du renouvellement des générations dans les coopératives agricoles, s’ajoute un second, « intergénérationnel », selon Agnès Duwer, directrice d’Agora, autour, en particulier, des relations entre anciens, nouveaux et futurs adhérents, pour que « les intérêts individuels ne s’additionnent pas, mais se mélangent au bénéfice de tous ». L’occasion aussi, juge-t-elle comme son président, de redynamiser le monde coopératif, « le faire sortir de sa zone de certitudes, voire de confort », de montrer qu’il est « moderne », pour « l’inscrire dans le temps et dessiner la coopération agricole de demain ». « Nos organisations facilitent la gestion des risques », de plus en plus prégnants en agriculture, économiques, climatiques, réglementaires, et les « atténuent » même, fait remarquer, entre autres, la directrice. Tout cela suppose « une écoute » entre les générations, insiste-t-elle à nouveau.
Les jeunes nous challengent, nous font sortir de notre zone de confort.
Que pensent les jeunes agriculteurs de la coopération agricole, qu’attendent-ils de leurs coopératives ? Quatre d’entre eux – Vianney Sainte-Beuve, Georges Lhotte et Damien Dubois, invités à s’exprimer sur ce sujet, et Marie Carpentier dans un témoignage vidéo – semblent plutôt unanimes : « Elles ne fournissent pas seulement intrants et débouchés, mais sont de véritables partenaires pour les adhérents. Elles les informent, les forment et les suivent dans les changements de réglementation qui peuvent survenir, et les modifications de pratiques qui en découlent ou que les producteurs souhaitent mettre en place. » Un accompagnement appréciable au développement de l’exploitation, qui doit permettre également d’anticiper son avenir.
« Accompagner les opportunités, gérer les risques »
« Pas mal d’opportunités » s’offrent aux producteurs, particulièrement aux jeunes, « numériques, au niveau des énergies renouvelables », qui peuvent être « rémunératrices ». En parallèle, « les menaces s’intensifient avec la multiplication des aléas climatiques et de marché », à l’origine d’une plus forte variabilité des rendements, de la qualité, des prix… Autant d’éléments qui font toute la difficulté mais aussi l’attrait du métier d’agriculteur, et pour lesquels les coopératives peuvent jouer un rôle d’appui, met en avant Vianney qui s’installera en 2024 sur la ferme familiale dans la plaine d’Estrées-Saint-Denis.
« Un meilleur producteur et chef d’entreprise »
« Soutenir les performances techniques et économiques, chercher de la valeur ajoutée », à la fois financière et pour se démarquer, à travers de nouvelles filières et marchés : les coops peuvent aider à « faire face à des problématiques managériales, commerciales, stratégiques », estime Georges, dont l’installation remonte à 2015. « À bien produire avec un coût économique mais aussi environnemental acceptable », reprend Damien, double actif depuis qu’il a rejoint la structure familiale il y a deux ans. Dans tous ces challenges qui se posent de plus en plus aux agriculteurs, la coopération agricole peut être aussi bien soutien que force de proposition à travers la recherche et l’expérimentation par exemple.
Au-delà de la technique et de l’économie pures, les jeunes adhérents et futurs adhérents ont bien conscience des valeurs véhiculées. L’équité d’abord, c’est-à-dire proposer « le même outil dans les mêmes conditions » à tous les membres de la coopérative, dans un but de « partage des résultats techniques et économiques, mais aussi des risques et des facteurs de réussite », détaille Damien. « Sans aucune concurrence sur les rendements, la commercialisation », complète Vianney.
Bien produire, à un coût économique et environnemental acceptable.
« Du partage, sans concurrence »
Le premier évoque ensuite la création de liens entre des exploitants, toujours plus isolés géographiquement et socialement sur un territoire qui s’urbanise et parmi une population de moins en moins agricole. « La coop est un lieu d’échange et de vie, où l’on discute avec des conseillers et entre agriculteurs. Ainsi, nous pouvons travailler en confiance, sereinement. » Sur ce point, il cite plusieurs initiatives d’Agora : les Agoraclub (groupes techniques), les Agoraforums (comme celui sur le changement climatique en février 2023), l’Agora des collèges pour communiquer sur l’agriculture et les coopératives auprès des adolescents en pleine orientation professionnelle…
Être fidèle paie.
L’engagement, mutuel, se construit sur le long terme. On peut même dire « un investissement dans le temps qui impose des obligations évidentes de fidélité, de bienveillance… » Ces propos prennent encore plus de sens quand celui qui les prononce avoue avoir été tenté d’aller voir ailleurs. « J’ai vite compris qu’on ne peut pas gérer seul la vente des céréales et les achats d’intrants à des tarifs compétitifs. Être fidèle paie, mettre des bâtons dans les roues de nos coopératives est contre-productif », commente Georges, reconnaissant envers l’aide que lui a apportée Agora lors de sa première moisson, très mauvaise, en 2016. Sans sentiment d’appartenance et de loyauté, sans l’implication de chacun, « elles ne peuvent pas exister ». Il le répète : « Le tableau est plus noir qu’il n’y paraît en céréales. Dans 100 ans, 50 % de la Picardie pourrait ne plus produire de blé. Seul, on n’y arrivera pas. »