La 7e édition du World Fira se tient actuellement sur le campus du lycée agricole d'Auzeville-Tolozane, en périphérie sud de Toulouse. Une trentaine de machines automatisées, accompagnées de leurs heureux concepteurs, s’y sont donné rendez-vous. Du très épuré transporteur d’équipements E-Terry au massif et complexe Robot One de Pixelfarmings Robotics, en passant par le HariBot (non comestible celui-là) d’Hari Tech, il y en a pour tous les goûts. Mais il ne s’agit pas seulement d’admirer ces curieuses bêtes métalliques au repos : pour la première fois, le forum propose de les observer en action, dans les vignes comme dans les champs.
Avant ces démonstrations, l'événement a démarré le 7 février par un colloque scientifique coorganisé par Robagri et Inrae. S’il réunissait des experts en robotique de tous horizons, il était ouvert à un plus large public et notamment gratuit pour les agriculteurs.
Les grandes cultures, parent pauvre de la robotique ?
Les exposés se sont révélés riches d’exemples : vignes, agrumes, pommes, poivrons, haricots verts, laitues… Les robots évoqués par les intervenants semblaient ainsi choyer les fruits et légumes (et être des amateurs de bons vins), mais bouder les céréales. Côté démos, même constat : les start-ups misant sur les grandes cultures ne sont pas les plus nombreuses. Les curieux peuvent néanmoins découvrir, entre autres, le tracteur électrique autonome de Softivert, le Trektor de Sitia tourné vers la polyvalence, l’arachnéen SentiV de Meropy dédié à la surveillance sanitaire ou encore Orio, le petit dernier du leader mondial Naïo, commercialisé l’année dernière.
Questionnée à ce sujet, Maialen Cazenave, co-organisatrice du Fira, déjoue un trompe-l’œil : il y a bien des robots orientés grandes cultures présents depuis plusieurs années sur le marché. Et même s’ils sont moins nombreux que leurs cousins, ils ne sont pas moins avancés qu’eux. « Au contraire, précise-t-elle, ils ont eu le temps d’être perfectionnés. »
Une méthodologie questionnée
Si les experts présentaient peu d’essais en grandes cultures, les problématiques techniques abordées étaient néanmoins généralisables : développer des algorithmes plus performants pour distinguer la plante cultivée des adventices, améliorer le déplacement des robots en terrains accidentés et dans les virages, détecter la présence d’humains grâce à des nuages de points 3D…
S’ajoutaient des questions juridiques diverses et nombreuses, la robotique agricole combinant des logiciels (impliquant des réglementations sur l’intelligence artificielle et la cybersécurité) avec des machines qui, au regard du droit sont tantôt des robots, tantôt des véhicules autonomes, selon leur vitesse. Une complexité qui laisse deviner que le chemin vers un cadre législatif optimal est encore long et tortueux. À noter, néanmoins que, depuis l’année dernière, le gouvernement français a lancé des essais pour la traversée de chemins ruraux et communaux : un frein notable à la robotique en grande culture pourrait être levé.
Derrière ces considérations techniques et juridiques, les scientifiques ont porté un regard critique sur la robotique agricole aujourd’hui. Les attentes auxquelles ils doivent répondre sont nombreuses, qu’il s’agisse de développer l’agriculture de précision, de diminuer la pénibilité des travaux des champs ou encore de pallier un manque de main-d’œuvre de plus en plus criant.
Mais les réponses qu’ils proposent sont-elles bien ciblées ? Réellement efficientes ? De la première conférence à la table-ronde conclusive, plusieurs experts ont reconnu la nécessité de mieux écouter et comprendre les besoins des agriculteurs. Et ont interpellé, à ce sujet, leurs homologues.
Faire avec et pour les agriculteurs
La nécessité de coconstruire a été maintes fois répétée, en incluant les agriculteurs tôt dans les projets, en dressant plus de ponts entre l’industrie, la recherche et le monde agricole et en formant (un peu) les roboticiens au travail de la terre.
L’inévitable question du coût s’est également invitée. Face à ce qui est, peut-être, le talon d’Achille des start-ups, les intervenants n’étaient pas à court de solutions. Ce sont des aides au financement, une mutualisation du matériel (notamment via les Cuma) mais avant tout un travail en amont, dans la façon de penser les robots. Salah Sukkarieh de l’université de Sydney a par exemple souligné qu’en souhaitant faire des outils trop modulaires le coût peut se révéler trop élevé.
C’est aussi penser la machine avant tout pour sa praticité. « Il faut mettre en place des robots de petite taille » souligne ainsi Matko Orsag, de l'université de Zagreb, tout comme Salah Sukkarieh qui précise l’importance de pouvoir les transporter facilement. Ce dernier évoque un robot mobile déployé en Indonésie et réduit à sa plus simple expression : un axe et deux roues… Ou presque : l’électronique est cachée dans ces dernières et la caméra n’est autre que le smartphone personnel de l’utilisateur placé sur la curieuse machine.
Demain, des robots dans nos champs ?
« La révolution de la robotique en agriculture n’a pas encore commencé » glisse un ingénieur du domaine. Elle est sur les starting-blocks : « Pour que ce soit déployé massivement, il faut que ce soit adopté massivement » résume Christophe Aubé, président de Robagri. Aux leviers précédemment évoqués, il ajoute celui de « couvrir l'hétérogénéité des fermes » et éviter « de redévelopper ce qui existe déjà ».
Mais en dehors de l’offre proposée, les roboticiens vont également devoir faire la démonstration claire des impacts positifs mis en avant. En matière de retour sur investissement, de sécurité, de sobriété énergétique, d’empreinte carbone (des données numériques notamment), des études restent à mener.
Plutôt que de s’inquiéter aujourd’hui d’un monde où les machines auraient remplacé les agriculteurs, il serait sans doute plus réaliste de s’interroger sur la façon dont le travail de l’exploitant va se transformer. Comment travaillera un agriculteur devenu superviseur de robots ? Quel gain de temps, quels risques, quel rapport à la terre ? Maialen Cazenave souligne pour sa part un potentiel gain d’attractivité pour le métier : « Nous attendons 500 étudiants sur le forum cette année. Or tous ces jeunes qui vont arriver sur le marché du travail pourront non seulement profiter d’un métier qui se modernise, mais également accompagner les anciens sur l’usage de ces nouvelles technologies. »