Outre les tables rondes organisées pour confronter les idées, l’évènement Fertiles a également souhaité mettre en avant des exemples concrets.
Du côté de Broglie, Nelly et Didier Vandermeersch sont installés, depuis 1994, en polyculture-élevage laitier (céréales, lin textile, betteraves sucrières, colza, maïs fourrage et 70 vaches Prim’Holstein). En 2021, ils ont également endossé la casquette de producteurs d’énergie verte avec l’installation de panneaux photovoltaïques.
La réflexion est venue avec leur projet de construction d’un hangar de stockage pour la paille, ainsi que les tourteaux de colza et les drêches de blé. Les agriculteurs ont suivi une formation en 2018, puis une visite d’exploitation avec leur conseiller de la chambre d’agriculture a permis de poser le cadre.
« Une productivité garantie »
Un transformateur étant situé à proximité de la ferme, l’intégralité de la production d’électricité est vendue à Enedis, qui a proposé aux agriculteurs un tarif de 10,91 cts/kWh. « Le permis de construire et la construction ont été ralentis avec la période Covid, mais la mise en route s’est faite en mai 2021 », indique Didier Vandermeersch.
Pour les panneaux, ils ont fait appel à une entreprise locale (Terre Solaire). Le couple souhaitait ne pas trop décaler l’orientation du nouveau hangar par rapport au bâtiment des vaches à côté, l’étude préalable a permis de vérifier que l’orientation Sud/Sud-Est choisie restait plutôt efficiente.
Concernant l’obtention d’un financement, Mathieu Poirier, conseiller énergies de la chambre d’agriculture de Normandie, constate peu de soucis sur ce type de projets, « lorsqu’on vient auprès des banques avec une productivité garantie, peu de facteurs de risque et un poids de la main d’œuvre peu important ».
En tout, « le coût du projet est revenu à 145 000 € pour la construction du hangar (780 m²) et 77 000 € pour les panneaux photovoltaïques (110 000 kWh). Auxquels il a fallu aussi ajouter environ 8 000 € pour le raccordement », précise Nelly Vandermeersch. « À l’époque, le coût du raccordement était pris en charge à hauteur de 40 %, et depuis c’est passé à 60 % pour les projets qui injectent. Certains projets ayant été bloqués par moments, à cause de montants trop élevés », explique Mathieu Poirier.
Depuis cette construction, « le potentiel des panneaux photovoltaïques continue d’évoluer, aujourd’hui un hangar de seulement 450 m² est capable de produire la même puissance », ajoute-t-il. En 2021, les agriculteurs ont, en revanche, pu bénéficier d’un taux d’emprunt à 1 % et la rentabilité de leur projet a été évaluée sur 10 ans. Nelly et Didier Vandermeersch se disent aujourd’hui satisfaits : chaque année, ils reçoivent entre 11 000 et 12 000 € grâce à la production d’électricité, ce qui permet de couvrir l’emprunt. Ils disposent d’un contrat sur 20 ans avec Enedis et le constructeur leur assure une productivité au-delà, à 85-90 % sur 25 ans. « Le renouvellement des panneaux est estimé à 35-40 ans ».
De nombreuses démarches administratives
À Bernay, Lydie, Benoît et Sylvain Louvet, également installés en polyculture-élevage laitier (300 ha et 110 vaches normandes), se sont, eux, lancés dans un projet de méthanisation (Terr’Energies 27). « On a eu ce questionnement sur les énergies renouvelables en 2015. Après une formation avec la chambre d’agriculture, on a réalisé plusieurs visites de méthaniseurs pendant un an dans la Manche, la Sarthe, la Bretagne et aussi chez un agriculteur voisin pour creuser le sujet », indique Lydie Louvet. « On a également adhéré à l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF), c’est une grande richesse et cela facilite les échanges ».
Avec Terr’Energies 27, « le département de l’Eure compte en tout 16 unités de méthanisation et 11 en projets, note Alexandre Rassaërt. On constate cependant, que ce n’est pas toujours facile en termes de financement ou d’acceptation ».
Dans la construction de leur projet, les associés de Terr’Energies n’ont pas rencontré de frein avec le voisinage. « Les premières maisons se situent à 120 m du corps de ferme, on a toujours fait attention pour le passage des animaux ou des tracteurs, et on nettoie la route quand c’est nécessaire », explique Benoît Louvet. « Pour la méthanisation, on a simplement expliqué notre projet aux voisins, plusieurs étaient même intéressés pour être fournis en gaz vert, mais cela n’a pas été possible », précise son épouse.
« Reste néanmoins que cela représente de nombreuses heures passées autour des démarches administratives : sollicitation de GRDF, rencontres avec l’Ademe et plusieurs constructeurs, demande du permis de construire, etc. » Les exploitants ont reçu une réponse positive de leur audit en 2019 et l’unité a été lancée le 3 mars 2021, après une année de travaux. Elle produit 125 Nm3, qui alimentent la commune de Bernay (près de 10 000 habitants) à hauteur de 70 % de ses besoins.
Le projet représente un investissement de 4,5 millions d’euros, pour lequel les agriculteurs ont pu bénéficier d’une subvention Feader pour 23 % du montant et d’un prêt à taux zéro sur une partie du projet.
« Le digesteur consomme annuellement 10 900 t de matières méthanogènes chaque année, soit 29 t/jour environ, explique Benoît Louvet. La ration se compose pour 30 à 40 % des effluents d’élevage (fumier et lisier), d’intercultures (seigle fourrager principalement, cultivé sur l’exploitation et par trois voisins) et de déchets locaux qui varient selon les saisons. Il y a notamment du marc de pommes d’une cidrerie voisine, des poussières de lin issues du teillage à côté (utilisées pour la litière des vaches) et des déchets végétaux issus de la tonte des pelouses et des activités de maraîchage aux alentours. »
Les exploitants ont également des demandes concernant les déchets des cantines scolaires voisines. « Cela peut s’imaginer, mais ça pose d’autres questions en termes d’agrément sanitaire. En ce qui concerne les produits carnés, il faudrait notamment qu’ils soient cuits », précise Lydie Louvet.
« Faire perdurer notre activité »
« Le fait de devoir toujours avoir quelqu’un présent sur la ferme pour la méthanisation ne nous a pas freinés, car nous avions déjà l’habitude avec l’élevage. » Les associés ont embauché un salarié supplémentaire pour absorber le travail en plus : « nous sommes trois associés, 2 salariés et 2 apprentis. Chacun est polyvalent, mais un salarié a particulièrement la charge de la méthanisation pour assurer le suivi ».
« Le secteur laitier a connu pas mal de crises. Aujourd’hui, la méthanisation apporte un autre regard, elle permet de diversifier nos revenus et d’apporter de la stabilité. Cette activité a pour nous tout son sens, avec notre métier de polyculteur-éleveur, estime Lydie Louvet. C’est aussi une manière de faire perdurer notre activité et de donner un second souffle ».
Les associés rendent compte d’un chiffre d’affaires annuel d’un million d’euros, équivalent à celui de l’atelier agricole (cultures et élevage laitier). Avec le digestat, les agriculteurs mettent aussi en avant « une réduction de la dépendance aux achats d’engrais de 80 à 40 % ». « Pour l’épandage, on a cherché le système qui demandait le moins de transport possible et on a opté pour un réseau enterré afin d’évacuer le digestat en plaine, indique Benoît Louvet. L’épandage sans tonnes permet de passer plus facilement dans les parcelles, notamment au moment du premier apport d’azote sur blé. Le digestat est plus assimilable, moins de lessivage. »
Une fibre textile éco-responsable « 100 % tracée, 100 % made in France »
Autre exemple d’initiative euroise engagée pour la décarbonation : la French Filature. Créé en 2022 et porté par le groupe coopératif Natup, cet atelier de filature vient compléter les activités déjà présentes sur le site de Saint-Martin-du-Tilleul, à savoir le peignage et la préparation de rubans.
« Pour une chemise en lin, la matière réalise en moyenne 44 000 km aujourd’hui, indique Karim Behlouli, directeur général de Natup Fibres. L’idée avec la French Filature est de relocaliser en France la chaîne de fabrication complète de la filière lin : c’était le seul chaînon manquant entre le champ et le vêtement. Le fil ainsi produit (250 t/an) est 100 % tracé, 100 % made in France. Et le procédé « au mouillé » utilisé permet d’obtenir un fil d’une grande finesse, particulièrement adapté à l’habillement et au linge de maison ». La filature est en lien avec plusieurs tisseurs et tricoteurs basés notamment dans les Hauts-de-France, qui travaillent pour des marques françaises telles que Givenchy ou La Redoute.
« Pour aller plus loin dans la relocalisation des savoir-faire et de l’innovation textile, la French Filature s’est également lancé dans la production de fil à base de chanvre et prévoit même de lancer sa propre marque de produits textiles. »