Réunis sur l'esplanade des Invalides autour d'une quinzaine de ruches et de cercueils symbolisant les pertes subies cet hiver dans les ruches, au cours d'une fausse cérémonie funèbre, des apiculteurs venus d'Ile-de-France, de Bretagne et de Dordogne, et vêtus leur tenue de travail, combinaison blanche, chapeau de protection, enfumoir, ont demandé « un plan de soutien exceptionnel » et « la restauration d'un environnement viable pour les abeilles ». « Il faut sauver l'apiculture nationale et faire cesser l'hécatombe », a réclamé François Le Dudal, jeune apiculteur en Bretagne. « Du coeur, du courage et au boulot à présent !», a-t-il exhorté. « Il faut arrêter de tergiverser, car aujourd'hui, ça a pris de telles proportions que dans certaines régions l'apiculture n'est plus viable », a déclaré à l'AFP Gilles Lanio, président de l'Union nationale de l'apiculture française (Unaf).
Les apiculteurs, environ 70 000 en France dont une majorité de petits producteurs, subissaient des pertes d'environ 30 % de leurs cheptels ces dernières années, selon lui. « Aujourd'hui, on a franchi un cap supplémentaire », avec des taux de mortalité pouvant grimper à 80 %, s'est-il alarmé. « J'avais six ruches il y a encore deux ans, l'an dernier je n'en avais plus que deux et aujourd'hui zéro », a témoigné Julien, apiculteur amateur dans la Drôme, venu manifester à Lyon devant la préfecture du Rhône. Il a déploré « la mort en silence des colonies pendant l'hiver ». « Mon grand-père a fait de l'apiculture pendant 30 ans et aujourd'hui il a renoncé », dit-il. « On est la seule profession agricole à ne pas recevoir d'aides », a déploré pour sa part Olivier Fernandez, président du syndicat des apiculteurs Midi-Pyrénées, présent à un rassemblement à Toulouse.
« je veux être votre meilleur médiateur et ambassadeur » a promis le ministre de la transition Écologique
Cette activité souffre depuis plusieurs années: le nombre d'apiculteurs - amateurs et professionnels confondus - étaient de 85 000 en 1995, contre 70 000 (dont 2 000 professionnels) en 2017 et la production de miel a été divisée par trois, à un peu plus de 10 000 tonnes par an. Le frelon asiatique ou le varroa, un acarien parasite, sont autant de menaces qui pèsent sur les abeilles. Mais le plus gros danger vient des néonicotinoïdes, des insecticides qui s'attaquent au système nerveux des insectes, désorientent et affaiblissent les pollinisateurs. Avant l'introduction dans les champs de ces substances au milieu des années 1990, les mortalités d'abeilles n'étaient que de l'ordre de 5 %, souligne l'Unaf. Avec les taux de pertes actuels, des apiculteurs risquent de mettre la clé sous la porte, s'alarme leurs représentants. La profession n'a pas toutefois encore chiffré précisément ses pertes.
« Avant, on mettait ces sujets sous le tapis et là on les a sortis », a dit Nicolas Hulot, qui s'est invité par surprise à la manifestation. « Je ne veux plus qu'on diffère ces sujets (...). Je veux être votre meilleur médiateur et ambassadeur », a promis le ministre de la transition écologique. Il a invité les apiculteurs à « chiffrer leurs pertes pour pouvoir identifier les mesures d'urgence » à prendre, alors que les producteurs se sentent peu écoutés par le ministère de l'Agriculture et en ont appelé directement à Emmanuel Macron. Selon eux, les apiculteurs les plus touchés sont ceux qui viennent de s'installer et ont contracté des dettes.
Plusieurs rassemblements d'apiculteurs à travers la France
Des élus, comme le député européen EELV Yannick Jadot, la députée et ex-ministre de l'écologie Delphine Batho ou encore Matthieu Orphelin (député LREM) sont venus soutenir les apiculteurs à Paris. D'autres rassemblements ont eu lieu à travers la France. A Lyon, une quarantaine d'apiculteurs, certains en tenue de travail - combinaison blanche, chapeau de protection, enfumoir - se sont réunis devant la préfecture du Rhône.
« Les néonicotinoïdes sont une substance sournoise, c'est prouvé, c'est nocif pour les abeilles et il y a un problème de rémanence de ces produits qui restent pendant deux ou trois ans dans le sol », a dénoncé Alain Rouchon, président du syndicat des apiculteurs du Rhône.
La France et l'Union européenne ont commencé à agir contre les néonicotinoïdes. Dans notre pays, la loi sur la biodiversité de 2016 prévoit l'interdiction des néonicotinoïdes à partir du 1er septembre 2018, avec des dérogations possibles au cas par cas jusqu'au 1er juillet 2020. Au niveau européen, trois néonicotinoïdes - clothianidine, thiaméthoxam et imidaclopride - ont été interdits dans toutes les cultures en plein champ et non plus seulement aux cultures sous serre. Mais il ne s'agit pas de solution miracle, car les néonicotinoïdes persistent dans les eaux et les sols. Et le moratoire européen sur les trois substances a entraîné une plus grosse consommation en France d'une quatrième, le thiaclopride.