Question (Q) : Les agriculteurs, en France et plus largement en Europe, imputent à la politique agricole européenne nombre de leurs difficultés. Que leur répondez-vous ?
Réponse (R) : « Les principales revendications des agriculteurs se concentrent sur des sujets qui ne relèvent pas directement des politiques agricoles mais des politiques climatiques et environnementales.
Sur la réduction de l'utilisation des produits phytos, contre laquelle les agriculteurs ont protesté, la Commission a réagi en retirant de la table un texte en préparation. Sur la partie de la politique agricole commune incluse dans la stratégie pour la biodiversité, prévoyant d'exclure de la production 4 % de terres, la Commission a aussi réagi (en exemptant partiellement l'obligation de jachères pour 2024, NDLR).
Ces premières réactions ne sont pas suffisantes, j'ai l'intention de parvenir à un accord politique sur des amendements supplémentaires dans la réforme de la Pac (politique agricole commune). En particulier sur plusieurs éléments de la conditionnalité des aides Pac : sur l'obligation du maintien des prairies permanentes, sur l'interdiction de sols nus pendant les périodes sensibles, sur la rotation des cultures et sur les jachères.
Toutes ces mesures sont très importantes pour l'environnement mais il serait mieux d'atteindre ces objectifs par des incitations plutôt que par des obligations, passer par des primes dans le cadre des éco-régimes plutôt que par des aides soumises au respect de certaines conditions. »
Q : Sur l'Ukraine, de nombreux agriculteurs ont exprimé l'impression d'être sacrifiés au nom d'un intérêt supérieur. Êtes-vous d'accord ?
R : « Nous devons d'abord nous rappeler que c'est l'invasion injustifiée de l'Ukraine par la Russie qui a causé la situation actuelle. L'Ukraine a perdu de grosses parts de son marché dans des pays comme la Chine, l'Inde, l'Indonésie, l'Egypte, et a plus exporté vers l'Union européenne. En 2022, cela a représenté une augmentation des importations agricoles européennes de 6 milliards de dollars. Il était impossible d'éviter un choc sur le marché européen.
La Commission européenne a proposé de prolonger d'un an (l'exemption de droits de douane accordée à l'Ukraine depuis le printemps 2022, NDLR) mais nous avons mis en place des clauses de sauvegarde plus importantes. Pour les produits « sensibles » , volaille, œufs et sucre, la Commission a proposé de limiter les importations. Actuellement c'est sur la base des volumes moyens importés en 2022 et 2023. Ma proposition était aussi d'inclure 2021, ce qui abaisserait les volumes pris en compte. Cela sera discuté au Conseil et au Parlement européens. »
Q : De nombreuses mesures proposées ces dernières semaines par la Commission européenne pour apaiser la colère des agriculteurs semblent aller à l'encontre du « Pacte vert » (Green deal). Va-t-on vers l'abandon de cette politique destinée à verdir l'économie ?
R : « Nous sommes parvenus en 2021 à un bon compromis politique sur la réforme de la Pac. Mais c'était avant la guerre en Ukraine, qui a changé la donne (...). Nous devons maintenant améliorer la réforme de la Pac, simplifier les éco-régimes, dire dans quelle mesure les aides conditionnées à des bonnes pratiques environnementales sont obligatoires ou volontaires...
Le climat politique, en particulier grâce aux manifestations des agriculteurs, est mûr pour une réflexion sérieuse sur de futurs amendements à la Pac.
A court terme, nous avons besoin de plus de flexibilité sur l'interprétation de la législation actuelle, comme ce que nous avons proposé sur la réduction du nombre de contrôles ou sur une plus grande tolérance en cas de force majeure. A moyen terme, nous devons faire des modifications à la réforme.
A plus long terme, nous devons apporter aux agriculteurs un message politique clair affirmant que nous sommes prêts à continuer la Pac avec un budget plus solide, avec en particulier des instruments plus solides pour soutenir les agriculteurs en situation de crise. »