« Vos engrais valent de l’or ! » ne cessent de rabâcher aux éleveurs les techniciens des Cuma, chambres d’agriculture et entreprises de conseil en élevage. Avec la flambée des cours de l’azote, cette assertion est devenue plus vraie encore ces derniers mois. L’épandage doit donc être appréhendé de façon rigoureuse pour éviter toute perte et optimiser les coûts du chantier.
Intervenir au bon moment
Pas facile de préserver la valeur fertilisante de ses engrais, en conditions venteuses ou ensoleillées. Le risque de perte d’azote par volatilisation est élevé. Plusieurs stratégies sont possibles. La première consiste à fractionner ses apports, car « moins on met une dose importante en jeu dans des conditions volatilisantes, plus l’azote apporté sera efficace », met en avant Anne Guézengar, chargée d'étude en agronomie à la chambre d’agriculture de Bretagne. Il convient aussi de bien choisir son jour d’intervention : « Plus on minimise les conditions d’ensoleillement et de vent, moins on aura de pertes à l’épandage ». Il faut aussi prendre en compte la sensibilité du produit : le digestat de méthanisation a par exemple des pH plus élevés que le lisier, il est plus sensible à la volatilisation.
La chambre d’agriculture a développé un outil d’aide à la décision, AgrivisioN’Air qui permet de simuler les pertes d’azote liées aux émissions d’ammoniac lors d’un épandage selon les conditions météorologiques de la journée et des jours suivants. L’application web et mobile renseigne l’utilisateur sur la qualité de l’air de son territoire, le risque de volatilisation et le chiffrage des pertes liées à la volatilisation.
La buse palette, équipement le moins rentable
Les pertes ammoniacales varient aussi très sensiblement selon le matériel utilisé. Avec des buses palettes par exemple, c’est 50 % en moyenne mais cela peut atteindre 80 % voire 90 %. Avec le pendillard, elles se limitent à 20 %. En enfouissement, les pertes n’excèdent pas 5%, et elles sont nulles à partir de 5cm de profondeur, le produit est ainsi entièrement disponible pour la plante.
Si l’on intègre ce facteur de pertes dans le coût de chantier d'épandage, l’équipement le moins cher à l’achat, la buse palette, revient plus cher au m3. « A un prix de l’azote à 1,49€, ramené au mètre cube épandu, on s’aperçoit que le surinvestissement du matériel est très vite compensé par les pertes évitées, soutient Hervé Masserot, expert épandage à la FR Cuma Ouest. « A un coût d’azote deux fois moins cher, c’est-à-dire 70 centimes, on a déjà un bilan équilibré ». Mais les économies ne sont pas visibles immédiatement, il faudra attendre six mois voire un an ou deux.
Quels impacts économiques (source : FR Cuma Ouest)
Comparaison de coûts “rendu racine” selon l’équipement Tonne 20 m3 – 17 000 m3/an – 100 000 € | ||||
Buse palette | Pendillard 18m. | Enfouisseur à dents 6m | Enfouisseur à disques 6m | |
Surcoût investissement | 0 | 35 000 € | 28 000 € | 42 000 € |
Coût du m3 épandu | 1,04 €/m3 | 1,33 €/m3 | 1,28 €/m3 | 1,39 €/m3 |
Perte d’azote par volatilisation | 50 % | 20 % | 5 % | 5 % |
Valeur unité azote | 1,49 € (500 €/t ammonitrate 33,5 %) | |||
Perte économique par an (4 kgN/m3) | 25 400 € | 10 100 € | 2 500 € | 2 500 € |
Coût épandage + perte économique | 68 559 € | 58 335 € | 49 723 € | 51 723 € |
Soit coût total au m3 | 4,03 €/m3 | 3,43 €/m3 | 2,92 €/m3 | 3,05 €/m3 |
Le transport dissocié pour optimiser le chantier
Réduire les coûts et améliorer la qualité de l’épandage passe aussi par l’optimisation des chantiers. L’une des solutions consiste à dissocier le transport. On ne met dans la parcelle qu’un tracteur de 13 à 15 tonnes équipé d’une rampe, ou un automoteur. D’autres matériels assurent le transport en continu. « On peut mettre une tonne de petit gabarit qui reste au champ et d’autres tonnes qui circulent sur la route pour ravitailler », propose Hervé Masserot. Cela permet d’améliorer sensiblement le débit de chantier, on ne perd plus de temps sur la route. L’ensemble qui reste au champ peut réaliser 100 m3 d’épandage à l’heure. Mais pour qu’une telle organisation soit pertinente, il faut un minimum de 200m3, le coût avoisine en général les 4-5 €/m3. Le chantier mobilise plus de main d’œuvre, 2 à 5 personnes peuvent être réquisitionnées.
Autre solution, faire du stockage tampon avec une cuve amovible dans laquelle on vient pomper, et que l’on bouge d’une parcelle à l’autre, ou bien avec des cuves fixes, fosses existantes ou poches. Mais cela oblige à faire un peu plus de route.
Automoteur et transport dissocié, douze jours gagnés
En Ille-et-Vilaine, l’Intercuma des Trois rivières a investi dans un équipement Vredo, une cuve de 19 m3 et deux outils derrière : enfouisseur à petits disques pour passer sur céréales et prairies et enfouisseur déchaumeur à disques pour les préparations aux semis de maïs. L’automoteur épand jusqu’à 80m3 à l’heure, deux à quatre tonnes circulent sur la route, elles sont d’une capacité inférieure à la cuve de l’automoteur afin de pouvoir toujours le remplir même s’il n’est pas complètement vide. Les chargements peuvent se faire en entrée de champ, par-dessus les fossés ou par-dessus la route.
Sur l’année 2021, ils ont épandu 30 000 m3 de lisier en réduisant de douze jours la durée cumulée de leurs chantiers. Au mètre cube, la facture s’élève à 2 € hors main d’œuvre, 5 € main d’œuvre comprise, « ce qui reste compétitif face à un ensemble tonne – tracteur ».

Le transport dissocié présente aussi l’avantage de moins encombrer les routes et de moins les salir. « Les gros ensembles à plus de cinquante tonnes provoquent aussi du tassement en profondeur et donc des baisses de rendement », glisse Gurvan Le Boulc’h, animateur à la fédération des Cuma de Bretagne. A l’Intercuma des trois rivières, l’automoteur pèse tout de même 45 tonnes, l’impact n’est pas négligeable.