« La résiliation d'un bail rural est une activité plutôt conflictuelle : près de 95 % des congés sont contestés devant le tribunal paritaire des baux ruraux avec une jurisprudence de plus en plus favorable au locataire », constate Jean-Baptiste Coulon, commissaire de justice dans l'Oise, lors d'une interview vidéo accordée à la rédaction au Salon de l'agriculture 2025 alors que la Chambre nationale des commissaires de justice proposait une journée de sensibilisation sur ce sujet.
« Vigilance sur les congés »
Un chiffre très élevé. « Il faut vraiment être vigilant pour que les congés soient délivrés en bonne et due forme afin de limiter, au maximum, les contentieux », insiste-t-il.
C'est l'un des rôles des commissaires de justice qui interviennent, auprès des agriculteurs, dans de nombreux domaines – récouvrement d'impayés bien sûr mais aussi dégâts de gibier, assurance récolte, litige sur des machines, évaluation de stocks, matériel, cheptel, etc. et bail rural donc – comme l'expliquait Émilien Barault, commissaire de justice dans l'Orne, dans une vidéo tournée également au Sia, l'an dernier.
Un bail avec des spécificités.
En matière de bail rural, Maître Coulon pointe ses spécificités. Son objet d'abord : un bien agricole, des terres bien sûr, mais aussi des bâtiments d'exploitation et même la maison d'habitation lorsqu'elle est située dans le corps de ferme. Ensuite, le locataire doit être agriculteur et doit verser un loyer (fermage) au propriétaire, dont le montant est encadré par des minima et maxima fixés, dans chaque département, par arrêté préfectoral, et qui dépendent du type de bien (parcelles de céréales, prairies, forêts, vignes...) et de sa localisation (Beauce, Creuse, Champagne...), de son état... « Les parties doivent se mettre d'accord dans cette fourchette, une liberté encadrée. »
« Plus le contrat est court, plus il est contraignant »
Autre point spécifique : le statut particulier de ce bail, d'ordre public, défini dans le Code rural. « Bailleur et preneur sont obligés de respecter un certain nombre de règles impératives, ils ne pourront pas y déroger même par convention, explique Jean-Baptiste Coulon. Dernière caractéristique lui étant propre : sa durée (9 ans minimum, 18 ans et 25 ans maximum). « Plus vous l'augmentez, plus vous réduisez les contraintes du régime », précise-t-il.
Difficile, pour le propriétaire, de récupérer ses terres.
Il est extrêmement contraignant pour le bail de droit commun (9 ans) : pendant 9 ans voire bien plus (renouvellement automatique), le propriétaire ne pourra pas récupérer son foncier et en disposer librement, sauf pour le vendre loué. « Le locataire, lui, peut résilier le bail à expiration de la première période de contrat, sous certaines raisons (retraite, incapacité, décès d'un collaborateur, défaut d'autorisation d'exploiter par exemple), puis à tout moment durant le renouvellement », détaille-t-il encore.
Pour cause de retraite, il peut faire bénéficier son conjoint et ses descendants du bail, s'ils sont agriculteurs. Sur une durée de 18 ans par contre, le propriétaire peut s'y opposer, via une clause anti-familiale, et sur 25 ans, sans aucune motivation (avec un préavis de 4 ans si tacite reconduction ou sans préavis à expiration du contrat). Le commissaire de justice revient sur le bail de 25 ans : « Il prend fin à son échéance et peut se renouveler d'année en année s'il est assorti d'une clause de tacite reconduction, mais chacune des parties pourra y mettre fin, sans aucun motif, en respectant simplement un prévis de 4 ans. »
« Précis dans la rédaction et bien choisir la durée »
Maître Coulon recommande donc « une grande rigueur dès la rédaction du bail rural », qui doit être « la plus précise possible », la précision apportant davantage de sécurité juridique. Même vigilance à la fin du contrat pour rédiger et signifier le congé. Le commissaire de justice préconise, de plus, de « bien connaître les statuts des baux ruraux » pour « choisir la durée la plus adaptée » notamment, et rappelle leur particularité d'être « très protecteurs, en principe, du locataire, surtout pour les contrats courts (9 ans), parce que la majorité du foncier agricole en France est en location ».
Les jeunes agriculteurs ont intérêt à choisir des baux de 9 ans.
C'est pourquoi, « contrairement aux idées reçues », les jeunes agriculteurs doivent privilégier les contrats courts pour leur installation agricole, car « ils se renouvellent automatiquement tous les 9 ans et les propriétaires n'ont que peu de possibilités pour reprendre les terres agricoles à la fin de la première échéance », comme indiqué plus haut. Ces derniers, au contraire, ont tout intérêt à signer pour du long terme (25 ans maximum), surtout s'ils ne sont pas du milieu agricole, les règles de reprise étant moins drastiques et parce que les fermages peuvent être majorés. À prévoir, pour ceux qui sont agriculteurs, la possibilité qu'un jour leurs descendants décident de s'installer en agriculture et d'exploiter ces parcelles.
Pratiquer des états des lieux.
« Il s'agit donc d'optimiser les intérêts des deux parties, preneur et bailleur », résume le commissaire de justice. En dehors du statut impératif du bail, l'une et l'autre peuvent nous solliciter pour ajouter telle ou telle clause, lorsque cela est possible. » Les commissaires de justice peuvent épauler les exploitant(e)s pour la rédaction du bail, possible sous seing privée pour les durées inférieures ou égales à 12 ans.
Au-delà, « il faut faire appel à un notaire », précise Jean-Baptiste Coulon. Il conseille, en outre, le recours à un commissaire de justice, pour tout état des lieux, afin de « s'assurer de la contenance, de la délimitation et de l'état du bien » et vérifier, à la fin du contrat, s'il a été bien entretenu et si le propriétaire doit verser une indemnité de sortie pour amélioration du fonds.
L'état des lieux, en début et fin de bail rural, fait également partie des missions des experts agricoles et fonciers. Il permet, photos et catographies à l'appui, « d'identifier les biens concernés, leurs spécificités, atouts et contraintes, de garantir leur maintien en état, de mieux cerner les responsabilités réciproques entre bailleurs et fermiers et de réduire les litiges. »
Des difficultés surtout à la sortie
« Cela évite les difficultés à sa restititution quelques années plus tard », met en avant Maître Coulon. Car celles-ci se posent principalement à cette étape, comme évoqué en ouverture d'article. D'autant que beaucoup de baux se concluent encore oralement. Difficile alors de « déterminer la prise d'effet du contrat ». Sans versement de fermage, ils sont assimilés à des prêts d'usage, à titre gratuit, résiliables « à n'importe quel moment avec un préavis raisonnable ». « Quand il n'y a pas d'écrit, on applique le statut de droit commun, le plus strict : le bail de 9 ans », prévient Maître Coulon.
Encore beaucoup d'accords oraux.
Il prend l'exemple d'une pâture qu'un propriétaire n'utilise pas, et ses héritiers non plus. Un exploitant agricole lui propose de rénover la clôture, de payer la taxe foncière et « un peu quelque chose tous les ans » pour, en contrepartie, y faire pâturer ses animaux. « C'est un accord oral. Le problème, on a bien les composantes constitutives du bail rural : un preneur, l'agriculteur ; un fonds agricole, la patûre ; une contrepartie, un loyer, le "petit quelque chose", met-il en garde. Sachant que « la jurisprudence a tendance à appliquer de façon très extensive, très favorable au locataire, le statut des baux ruraux ».
« Concilier des impératifs divergents »
Les commissaires de justice n'accompagnent pas seulement l'entrée et la sortie du bail rural, mais pendant toute sa durée. Ils vérifient que chaque partie s'acquitte de ses obligations : paiement des fermages, exploitation des parcelles, délivrance ou libération du foncier loué entre autres. En cas de litige, ils réalisent les constats et rassemblent des preuves (contestations matérielles et actes de procédures fixant des délais et qui vont permettre au bailleur ou ou preneur d'agir en fonction des possibilités offertes par la loi). « Ils ont le monopole pour tout défaut d'exécution du contrat », appuie Jean-Baptiste Coulon.
Et s'il y a contentieux, ils conseillent et, « possibilité exceptionnelle en droit français, représentent leurs clients (locataires ou propriétaires) devant le Tribunal paritaire des baux ruraux ». « Nous avons un métier de relation, de terrain. » Le plus ardu selon lui est de « concilier des impératifs divergents ». D'un côté : le droit de propriété « reconnu, depuis son intégration dans le Bloc de constitutionnalité, comme un droit constitutionnel, donc comme une norme supérieure à toutes les autres ». Et de l'autre : la nécessaire protection du locataire, « davantage d'ordre social » et à laquelle la jurisprudence est de plus en plus sensible. « Il faudrait essayer de rééquilibrer avec le respect du droit constitutionnel qu'est le droit de propriété », exhorte Maître Coulon.
Spécificités et risques du bail rural, comment se protéger au mieux : Maître Coulon fait le point sur le plateau de l'émission "décodage 360" sur la chaîne Youtube Code Justice, de la Chambre nationale des commissaires de justice.