À hauteur d’Epône, dans les Yvelines, une quarantaine de tracteurs, venus de l’Ouest du bassin parisien et de la région de Dieppe, bloquent l’A13. Auparavant positionnés pendant deux jours au péage de Buchelay, les agriculteurs ont avancé mercredi matin d’une dizaine de kilomètres vers Paris après les annonces, insuffisantes à leurs yeux, de Gabriel Attal, avant d’être arrêtés par la police.
Le convoi s’est finalement installé à Epône, dans les Yvelines, à la faveur d’une glissière d’autoroute facile à déboulonner. Mais également facile à remettre en place, « on dénonce toute forme de dégradation des biens publics », précise Damien Greffin, président de la FNSEA Nord Bassin Parisien. Et si les manifestants ne souhaitent pas particulièrement ennuyer leurs concitoyens qui, eux aussi, travaillent, les blocages autoroutiers se poursuivent néanmoins autour de Paris, malgré de premières annonces de la part du Premier ministre.
Normes, surtranspositions et « absurdités »
Quelles mesures le gouvernement devrait-il prendre pour mettre fin à la mobilisation ? « Qu’est-ce qu’il faudrait qu’il fasse ? Qu’il révolutionne le tout, c’est ça qu’il nous faudrait ! » résume Patrice Noël, agriculteur bio dans le Vexin. Lui en a « marre de cet excès de règles qu’on vit au quotidien, qui nous fait perdre du temps ». « Il y a beaucoup de paperasserie, sur mon exploitation, c’est trois jours par semaine », témoigne Philippe Maurice, agriculteur à Oinville-sur-Montcient, dans les Yvelines. « On attend davantage de mesures, notamment sur la surtransposition purement française, il y a des mesures qui pourraient être prises plus rapidement », par exemple sur les normes environnementales, explique-t-il.
Retrouvez en vidéo les revendications des agriculteurs mobilisés sur l’A13 :
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« On a des absurdités, des agriculteurs vont être obligés de re-semer des prairies, alors que d’autres, passés en bio, on les a pénalisés parce qu’ils n’avaient pas re-semé certaines parcelles », renchérit Luc Blanchard, agriculteur à Lyons-la-Forêt (Eure).
Aurélien Dubos, exploitant agricole en élevage laitier en bio, dans l’Eure, témoigne de cette « très grande aberration ». « J’ai mis mes prairies en temporaires pour qu’elles soient dans ma rotation, mais la météo a été compliquée, on n’a pas pu les retourner quand on voulait, donc on les a laissées en permanentes, ce qui est demandé à tous nos collègues en conventionnel. Mais moi je suis sanctionné, on me reprend les aides données, et ça nous fragilise incroyablement les trésoreries. Il faudrait un peu de bon sens : si je n’ai pas mis mes prairies temporaires en culture, c’est parce qu’on vit avec la météo, on ne peut pas faire ce qu’on veut, donc il va falloir nous aider dans ces systèmes-là, surtout quand on demande à tout le monde de mettre de la jachère ! ».

« Tout ça, c’est pour défendre le plus beau métier ! »
L’éleveur, qui a deux petits garçons, aimerait tout de même qu’ils puissent reprendre la ferme un jour, mais « c’est quand même un métier difficile, et on nous met des contraintes en permanence, en bio, en conventionnel, tout le monde, et on n’a pas de prix, pas de revenu », regrette-t-il.
Luc Blanchard s’inquiète lui aussi, alors que son fils doit reprendre l’exploitation. « On se pose beaucoup de questions à son sujet, et pourtant il est motivé, mais ce n’est pas facile », explique-t-il.
Philippe Maurice pointe, lui, la faiblesse des retraites, et les astreintes, qui freinent les transmissions et les installations. « J’ai 62 ans, je pourrais prendre ma retraite. J’ai la chance d’avoir un jeune avec moi déjà installé, mais 1 000 euros de retraite en fin de carrière, c’est pas terrible. Et le métier n’est plus attractif à cause du revenu, sans compter que c’est 70h/semaine, donc après y’a plus de vie de famille », explique-t-il. « Rien n’est fait pour faciliter les transmissions d’exploitation », regrette l’agriculteur.
Patrice Noel, lui, veut y croire. « J’ai une fille qui s’y intéresse (ndlr : au métier) et je pousserai quand même pour qu’elle s’installe, c’est quand même le plus beau métier ! ».
Sur l’A16 à Beauvais, le soutien des maires du département
À Beauvais, les agriculteurs avec plus d’une soixantaine de tracteurs tiennent depuis mardi un barrage sur l’A16, au lendemain d’annonces gouvernementales qui n’ont pas apaisé la colère. Hubert Vansyhacker, agriculteur et maire de Francastel sur le plateau picard, déplore le fait de devoir en arriver là. « Je suis en fin de carrière mais je m’inquiète pour mon fils qui reprend l’exploitation, l’agriculture française va dans le mur », citant l’exemple du taux de jachères obligatoires. « Aujourd’hui, c’est 4 %, demain ce sera 10 ? Ce qu’on ne produit pas en France, on va devoir l’importer mais pas avec les mêmes normes qui nous sont imposées ».
Sur ce barrage, plusieurs dizaines d’élus des Hauts-de-France, arborant leur écharpe tricolore, sont venues soutenir les agriculteurs. C’est « important de défendre la ruralité et de soutenir les agriculteurs, ce sont eux qui nous nourrissent et qui façonnent le paysage », confie Jacques Larcher, maire de Grandvilliers. « Je suis venu par solidarité envers cette profession agricole qui est en crise, liée à un amoncellement de réglementations » et à « un manque de perspective sur ce qu’on veut pour l’agriculture de demain » a aussi déclaré Franck Pia, maire de Beauvais. L’agriculture « fait partie de notre patrimoine économique et culturel », et « on les soutiendra dans la durée ». Le vice-président de la FNSEA Luc Smessaert, éleveur dans l’Oise, a indiqué avoir entre autres évoqué avec les élus la restauration collective. « Faites-nous confiance », a-t-il appelé, « vous verrez, on répondra à l’enjeu de nourrir les gens, en qualité et en quantité ».
« Une dérogation partielle ne nous convient pas »
« Quel industriel accepterait qu’on lui retire 4 % de son outil de travail tout en continuant à payer les charges sur la totalité ? », questionne Antoine Mylle, installé en polyculture-élevage allaitant dans l’Oise.
Avec cette mobilisation, « on veut montrer le ras-le-bol du monde agricole », témoigne Gwenaëlle Desrumeaux, présidente des Jeunes agriculteurs de l’Oise, installée en polyculture-élevage laitier avec son père et son conjoint. Assurer la mobilisation et en même temps la gestion de la ferme, demande « une certaine organisation et de nombreux allers-retours », confie-t-elle.
Parmi les principales revendications, la responsable syndicale met en avant « la surtransposition des normes entre la France et les autres pays européens ». Autres points de tension : « la charge administrative. Quand on parle avec nos collègues agriculteurs, on se rend compte qu’on est tous condamnés à consacrer une journée par semaine à la paperasse. Et aussi le revenu : on demande des prix plus cohérents, notamment vis-à-vis de l’augmentation des charges et du manque de visibilité qu’on peut avoir ».
« On attend plus que toutes les mesurettes qui ont été faites dernièrement. Au niveau européen, on espère de vraies avancées sur les 4 % de jachères obligatoires ». « Une dérogation partielle ne nous convient pas », ajoute, sur le sujet, Laurent Pollet, agriculteur au Coudray-Saint-Germer et président du canton du pays de Bray pour la FDSEA.
Retrouvez aussi en vidéo les revendications des agriculteurs mobilisés sur l’A16 :
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« On attend également un renforcement de la loi Egalim, que ce soit sur les contrôles ou sur les négociations commerciales. Et que le gouvernement fasse un vrai pas en avant pour montrer qu’il est derrière ses agriculteurs, et qu’il se rend compte du mal-être de la profession », précise la présidente des JA de l’Oise.
« En tant que jeune installée, je veux être optimiste sur l’avenir de l’agriculture. On voit des jeunes qui sont très motivés, cela donne un réel espoir mais cela reste un parcours du combattant. Ce qu’on souhaite au niveau du département, mais aussi sur le territoire hexagonal, c’est un départ en retraite, une installation ! On sait que ça peut paraître utopique, et que ce sera difficile, mais on espère arriver à une bonne dynamique d’installation. »
Originaire de Saint-Paul, Eric Bostoen a également fait le déplacement à Beauvais pour exprimer son « exaspération globale », notamment vis-à-vis des multiples contrôles auxquels sont confrontés les agriculteurs et du modèle en général. « Mon fils est en cours d’installation sur une exploitation d’élevage ovin en agriculture biologique, mais aucune banque ne le suit s’il continue en bio, regrette-t-il. Pour son projet d’installation, il doit également établir un prévisionnel sur 5 ans mais difficile d’avoir de la visibilité dans ce secteur avec l’accord de libre-échange prévu entre l’UE et la Nouvelle-Zélande ».