Colaert Essieux, l’entreprise du Nord où le cœur parle italien

Colaert Essieux
L'usine de Colaert Essieux emploie 140 personnes et s’étend sur 30 000 m² à Steenbecque, dans le Nord. (©Terre-net Média)

C’est une aventure où les patrons traversent les Alpes puis la France en voiture (1 024 km très exactement), n’hésitant pas au passage à rallonger la route pour dénicher le meilleur foie gras, où la standardiste entrée là pour remplacer un congé maternité devient responsable de la logistique et où une petite entreprise du Nord de la France nichée entre Béthune et Hazebrouck s’impose comme une référence mondiale qui fournit, entre autres, Claas et John Deere. L’histoire de Colaert Essieux, c’est tout ça à la fois… et encore plus.

Tout démarre en 1905, à Steenbecque, dans les Flandres françaises. L’entreprise familiale, spécialisée dans la fabrication de ressorts à lames et de brides d’essieux, s’appelle alors Colaert Frères. Dans les années 1950, elle était leader du marché français. À la même époque, en Italie, en 1954, nait le groupe ADR dans la ville d’Uboldo, à deux pas de Milan. Le destin des deux sociétés prend des allures de conte et se croise juste avant Noël, en 1989, lors d’une première rencontre. Colaert Frères vivote et veut vendre sa branche essieux, ADR cherche à s’étendre, l’affaire est conclue en 1990 : Colaert Essieux est né.

Colaert Essieux
Deux navettes, ici à gauche sur l'image, circulent sur des rails dans l'usine. Une est consacrée au montage des essieux, l'autre aux suspensions. (© Terre-net Média)

L’arrivée des Italiens fait trembler la paisible campagne. C’est l’époque des rachats sauvages, de la finance sans scrupule, où les ouvriers découvrent un beau matin leur usine fermée et leurs outils expédiés à l’autre bout du monde. Les salariés sont méfiants. 17 seulement quittent Colaert Frères pour Colaert Essieux. Ils ne le regretteront pas. « Ils sont tous restés jusqu’à la fin de leur carrière. Une poignée travaille encore là », raconte Sandra Fontaine, entrée en 1993 pour un petit remplacement à l’accueil. Elle dirige aujourd’hui la logistique.

Au milieu des soudeuses et des plieuses, l’amour est possible. Comme celui des deux frères Radrizzani, Giancarlo et Flavio, héritiers et dirigeants emblématiques d’ADR, pour cette petite usine française. La première étape fut d’installer Colaert Essieux dans un entrepôt en face du bâtiment historique de Colaert Frères.

Colaert Essieux
La technologie Teknoax, un essieu avec un corps creux et monobloc qui intègre les fusées sans soudure mais par déformation à chaud du tube, est une création de Colaert Essieux. (© Terre-net Média)

Flavio raconte cette épopée dans un livre, joliment nommé « Un parfum de fer et de café », qui retrace l’histoire d’ADR : « Les deux entrepôts se trouvaient en face l’un de l’autre, mais ils étaient séparés par une ligne de chemin de fer. Tous les transports devaient passer par un passage à niveau situé à proximité, qui était souvent fermé pour laisser passer les TGV, les trains de marchandises et les trains locaux. Malgré ces difficultés, le 10 août, l’usine était déjà opérationnelle dans le nouvel entrepôt. Bien sûr, comme le travail n’est pas tout, le 15 août, jour férié en Italie (Ferragosto), nous nous sommes offert une fantastique visite de Paris, à seulement 2 ou 3 heures de route. Dix campagnards italiens se promenant dans Paris, c’était tout un spectacle ! Le 16 août au matin, les vacances étaient terminées et nous étions de retour au travail. Quelle époque ! »

L’équipe transalpine vivait à la dure, dans une petite maison sans chauffage, totalement dédiée à son ambition. Cette authenticité, ce côté dur-au-mal et travailleur, mais aussi bon vivant, a vite conquis le peuple des Flandres. « Ils sont passés par l’usine, celle de leurs parents. Ils savent ce qu’ils doivent aux gens au tout début de l’échelle. Et ils font confiance aux anciens. Dès qu’on avait besoin d’une nouvelle compétence, ils nous envoyaient en formation. Ils savaient aussi couper. Ils piquaient des colères quand ils voyaient quelqu’un travailler à table au restaurant », confie Sandra Fontaine.

Colaert Essieux
Tout est prévu pour réaliser les essais et les tests de matériel sur place. (© Terre-net Média)

Le territoire, ses pluies et ses productions emblématiques, betteraves et pommes de terre, ont sculpté la réputation de solidité de l’entreprise. « Les sols sont lourds, les cultures sont lourdes… Ici, on fait du lourd ! » résume Éric Laplace, directeur de Colaert Essieux. Arrivé en 2025, il a hérité de toute cette notoriété : « Cela apporte plus de devoirs que de droits. Nous avons des clients présents depuis des générations. Ils connaissent parfois mieux le catalogue que nous ! Il y a aussi un historique. Il existe encore des remorques de cour de ferme, qui font peu de transport, qui affichent 50 ans au compteur ».

Colaert Essieux emploie 140 personnes, s’étend sur 30 000 m² et réalise un chiffre d’affaires annuel qui tourne autour des 40 M€. Les deux-tiers de la production restent sur le sol français, irriguant notamment les fabricants de remorques mais aussi John Deere et Claas pour leurs presses. Le reste part à l’étranger, jusqu’en Australie. « Ils viennent chercher des essieux très spécifiques. Nous sommes capables de customiser à l’infini. Sur la chaîne de production, il n’y en a pas deux identiques. À part les tracteurs, il y a des applications dans tous les domaines », souligne Éric Laplace.

Colaert Essieux
Les essieux reçoivent au minimum une peinture d'apprêt avant expédition, et parfois une peinture de couleur supplémentaire à la demande du client. (© Terre-net Média)

Le marché augmente, la croissance est constante. Colaert Essieux lit les mutations du monde agricole à travers ses clients. « En termes d’exigence, les ETA ont un peu changé la donne. Les machines tournent plus souvent, c’est plus industriel », constate le directeur. La part des bogies diminue, celle des suspensions augmente. Le pilotage électronique grimpe en flèche. La réglementation, comme celle, récente, sur le freinage, dicte aussi la tendance et le rythme des homologations. « La fiabilité, c’est primordial. C’est la sécurité avant tout. On est dans l’industrie, pas dans la start-up », assène Éric Laplace.

L’usine, agrandie il y a peu d’une zone de stockage de 5 000 m², respire. « Il y a beaucoup de mouvements, il faut de l’espace », explique le directeur. Jusqu’à 500 essieux et 150 suspensions peuvent être produits par semaine. Si des carrés d’acier plein, jusqu’à 150 mm de côté, sont usinés sur place, l’avenir est au Teknoax, un essieu avec un corps creux et monobloc qui intègre les fusées sans soudure mais par déformation à chaud du tube.

Colaert Essieux
La nouvelle zone de stockage, opérationnelle à 100 % depuis un an, culmine à 12 m de haut et accueille 8 000 emplacements de palettes. (© Terre-net Média)

L’intégration au sein d’ADR apporte de la souplesse. Au printemps dernier, Colaert Essieux a ainsi absorbé un pic de production de l’usine italienne. Les composants simples viennent d’un site du groupe en Pologne. « Ces pièces, on ne pourrait pas les faire en France et rester compétitifs », reconnaît le directeur. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à Colaert Frères, qui est resté concentré sur les ressorts en 1990 et a aujourd’hui disparu.

Flavio dirige toujours aujourd’hui ADR. Giancarlo est mort en 2001. Une messe fut célébrée en son honneur à Steenbecque. Dans le hall d’accueil, son portrait trône, à côté de celui de Michel Lisik, le premier directeur de la production de Colaert Essieux, disparu en 2006. Deux figures emblématiques de l’entreprise et d’une époque où les réunions se finissaient dans un épais brouillard de fumée de cigarettes… « Les Italiens tiennent beaucoup à cette mémoire. Ils sont l’histoire de Colaert Essieux », avance Sandra Fontaine.

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