Nous le savons, la stabilité d’une entreprise passe par des contrats pérennes. Le statut du fermage doit en faire partie. Les détraqueurs du statut lui déplorent un manque de souplesse. Nous souhaitons dénoncer cette instabilité dont nous, fermiers, sommes victimes : la pérennité de l’exploitation peut être facilement remise en cause par le bailleur.
2.3.1 Droit de reprise du bailleur : laissez-passer…
Cela a été rappelé dans une des dernières réponses ministérielles1 « Le statut du fermage, qui est d'ordre public, encadre toutes les relations entre un propriétaire (bailleur) et son fermier (preneur) ainsi que les droits et obligations des parties lors de la mise à disposition à titre onéreux d'un bien agricole en vue de son exploitation. Tous les cas de résiliation du contrat de location à l'initiative du bailleur sont notamment prévus. […]Compte tenu des conséquences graves qui découlent de la résiliation du bail, le fermier peut en effet perdre tout ou partie de son outil de travail, la procédure préalable à la fin du contrat est relativement longue avant que puisse être saisi le Tpbr. Il convient cependant de souligner que cette phase permet de maintenir un dialogue entre les parties et aboutit bien souvent à un règlement amiable du problème, préférable à la voie judiciaire. Il n'est donc pas envisagé de revenir sur les modalités actuelles de l'article L. 411-31(qui prévoit la résiliation du bail, Ndlr) ».
La résiliation du bail est permise dans les cas suivants :
- Destruction totale ou partielle du bien loué
- Deux défauts de paiements de fermage
- Agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds
- Changement de destination agricole du bien loué
- Non respect de clauses environnementales si elles ont été insérées
- Cession du bail ou apport de droit au bail à une société2 sans l’accord du bailleur
- En cas de contravention à la mise à disposition des biens loués, en cas d’échange ou d’assolement en commun si cette contravention est de nature à porter préjudice au bailleur
Aux possibilités de résiliation du bail viennent s’ajouter les possibilités de reprise des terres louées par le propriétaire, lors du renouvellement du bail :
- Reprise pour lui-même ou un membre de sa famille en vue de construire une maison d’habitation dont la surface reprise est conforme à l’arrêté préfectoral,
- Lorsque le preneur a atteint l’âge légal de la retraite : refus de renouvellement ou renouvellement pour une période triennale,
- Reprise pour exploitation personnelle ou au profit du conjoint ou d’un descendant, sous réserve :
- du respect du contrôle des structures,
- d’exploiter personnellement et effectivement le bien loué durant neuf ans, à titre individuel ou au sein d’une société personne morale,
- de ne pas être en âge de retraite sauf pour un bailleur souhaitant bénéficier des parcelles de subsistance,
- de résider à proximité de l’exploitation,
- de détenir les moyens d’exploiter le fonds repris,
- Reprise pour constituer une exploitation de subsistance au bailleur
- Reprise pour exploiter une carrière.
Nous le constatons, après l’avoir énumérée, que la liste est longue ! Pour notifier à son preneur son intention de ne renouveler le contrat, le bailleur délivre un congé expliquant la cause et les conditions relatives à la fin de son bail. Le bailleur qui délivre congé devra respecter le formalisme rigoureux prévu par la loi, sous peine de nullité du congé.
Les possibilités de reprise et de résiliation sont donc suffisamment nombreuses pour que l’on ne puisse en tolérer de nouvelles. Les reprises répétées par des propriétaires différents sur des exploitations en multipropriété ont pour conséquence de démanteler complètement l’exploitation.
Ce n’est pas parce que l’entreprise est en pleine activité que le preneur est entièrement protégé par le statut du fermage. Aujourd’hui, le droit de reprise pour exploiter par le propriétaire est pleinement conforté par le régime de la déclaration et a achevé le déséquilibre du statut du fermage.
Retour sur le régime de la déclaration
Le régime de la déclaration est un dispositif prévu au sein du contrôle des structures : c’est une dérogation à l’autorisation d’exploiter. Cela permet, dans le cadre de reprise pour une exploitation par un descendant ou allié du bailleur, de ne pas être contraint à déposer un dossier d’autorisation d’exploiter. Cette dérogation est valable pour les biens libres de locations au jour de la déclaration. Cet allègement a été instauré par la loi d’orientation agricole de 2006 : force est de constater qu’aujourd’hui il cause de nombreux soucis pour les fermiers. Le régime de la déclaration exonère de tout contrôle la reprise des biens : le futur exploitant doit juste remplir des conditions de capacité ou d’expérience, le bien doit être détenu par un parent ou allié depuis neuf ans au moins et libre de location. Lorsqu’il est associé à un congé-reprise pour exploitation personnelle, le régime déclaratif permet aux bailleurs de reprendre leur bien, parfois des superficies importantes ou des parcelles situées de façon stratégique, remettant en cause le système d’exploitation du fermier.
La situation dont certains exploitants sont victimes peut tout simplement être qualifiée de désastreuse. Une jurisprudence récente considère que les biens sont libres de location à la date d’effet du congé délivré par le bailleur. Autant dire qu’aujourd’hui les leviers de contestation du congé sont quasi-nuls ! Désormais, les bailleurs voient leur droit de reprise grandement facilité. Tous les fermiers, même les jeunes installés sont concernés. Ces reprises peuvent démanteler et remettre en cause des exploitations, sans même que cela puisse être résolu par le tribunal.
Nous connaissons aujourd’hui un réel démantèlement des entreprises agricoles. Alors que la France se bat pour le redressement productif et contre la fermeture d’entreprise, de telles possibilités accordées par la loi viennent mettre en péril les exploitations et les familles qui en vivent, mais aussi les emplois qui y sont liés. En effet, les terres reprises sont bien souvent mises en valeur par des Eta3, travail à façon… Cette situation nous est intolérable ! L’agriculture est créatrice de richesse et d’emplois, ne laissons pas détruire des exploitations en place.
Ces reprises nous préoccupent d’autant plus que les exploitations en faire valoir indirect ont un nombre important de propriétaires : de ce fait, les reprises peuvent se voir fortement multipliées et des systèmes démembrés au fur et à mesure.
Sans remettre en cause le régime déclaratif pour les biens libres de location, la Snfm demande qu’en cas de congé délivré à un preneur, contesté devant le Tribunal paritaire des baux ruraux, il y ait une analyse économique de la situation et du projet de chaque partie en Ccdpbr : preneur en place et repreneur. La Ccdpbr rend son analyse auprès du Tpbr qui statuera avec ces éléments.
2.3.2 Un environnement pesant
Les contraintes environnementales, nous le savons, pèsent fortement sur nos exploitations. C’est pourquoi, l’an passé, nous avons consacré notre congrès à cette thématique. En tant que fermiers, les contraintes imposées aux exploitants s’additionnent avec celles prévues par le bail.
Aujourd’hui, le bail environnemental vient inscrire une contrainte supplémentaire aux exploitants dans le cadre du statut du fermage par rapport aux exploitants en faire-valoir direct : clauses imposées, fermage éventuellement minoré d’un montant dérisoire compte tenu de l’exigence des clauses et surtout, une possibilité de résiliation du bail supplémentaire.
Comment œuvrer pour des exploitations pérennes lorsque le législateur élargi, une fois de plus, une possibilité de résilier le bail ? De nouveau, la Snfm rappelle la nécessité d’encadrer strictement ce type de bail en le modifiant et d’en limiter l’application.
La Snfm se positionne pour que les clauses soient insérables uniquement dans les baux de parcelles situées dans un zonage géographique. Il faut mettre fin aux exceptions accordées aux personnes morales de droit public, aux associations agréées protection de l’environnement, aux personnes morales agréées entreprises solidaires, aux fondations reconnues d’utilité publique et aux fonds de dotations. Le fermier doit recevoir une compensation pour la perte de revenus liée à l’instauration de ces clauses. Les clauses doivent être négociées en Ccbr. Le fermier doit directement recevoir les indemnisations pour les pratiques environnementales. Elles ne doivent pas transiter par le bailleur.