Oserez-vous un traitement fongicide unique sur vos blés ?

Champ de blé
Pour le blé aussi, l’union fait la force. Mélanger les variétés augmente leur résistance face aux maladies. (©Adobe Stock/Oleksandr)

C’est presque devenu un slogan. « Osez un seul traitement », martèle l’institut technique Arvalis. Désormais, orienter sa stratégie fongicide en se fixant cet objectif s’avère possible, les conditions semblent réunies : les printemps sont plus secs et les variétés, sans sacrifier les rendements, offrent une meilleure tolérance aux maladies. Depuis plusieurs années, on observe de fait que l’incidence de ces dernières a diminué, les pertes de rendements liées à ce facteur se sont sensiblement réduites. N’employer qu’un seul traitement devient donc envisageable sur les variétés peu sensibles aux maladies telles qu’Absalon, Arezzo, Goncourt ou Rubisko s’il n’y a pas de risque de fusariose.

Choisir des variétés tolérantes

Pour réduire les passages, les risques doivent être anticipés. Cela commence par le choix des variétés, qui constitue l’un des premiers leviers agronomiques. « On a des variétés alliant tolérance aux maladies, teneur en protéines et rendements, c’est le cas de Chevignon, Prestance et maintenant, Celebrity et Intensity », indique Patricia Huet, coordinatrice du suivi et des expérimentations en grandes cultures à la chambre d’agriculture Centre-Val de Loire.

Confirmation en Pays de la Loire où la chambre d’agriculture pratique chaque année des essais sur 25 variétés : Celebrity et Ampleur, toutes deux inscrites au catalogue l’an dernier, « ont montré deux années de suite des rendements très intéressants », remarque Alexandre Gourvennec, technicien grandes cultures. Attention, toutefois, à certaines variétés utilisées depuis longtemps, des contournements de résistance semblent parfois apparaître. Ce serait le cas avec Fructidor, pourtant notée peu sensible à la rouille jaune, rapporte un technicien de la chambre d’agriculture de Bourgogne-Franche-Comté qui l’a constaté dans différentes parcelles.

Le choix variétal demeure une affaire de compromis. Absalon, par exemple, présente un très bon profil maladie (bien qu’en perte de vitesse), mais ne se montre pas performante au niveau des rendements. À l’inverse, Sacramento donne de très bons rendements, mais s’avère très sensible aux maladies. Elle doit donc être protégée, encadrée.

Mélanges de variétés, semis tardif

Effectuer des mélanges contribue à réduire le risque maladie. « Il faut semer au moins quatre variétés différentes et complémentaires ensemble, préconise Patricia Huet. Souvent, ce sont les quatre ou cinq meilleures variétés de l’année qui permettent de constituer les bons mélanges. Attention à ne pas mettre plus d’une variété sensible à la rouille jaune. Et pour le critère précocité, on s’est aperçu que l’on pouvait aller jusqu’à 1 voire 1,5 point de différence. »

Dans le Pas-de-Calais, à Lattre-Saint-Quentin, Olivier Neveu, en MAEC, mise beaucoup sur ce levier pour atteindre son objectif ambitieux du zéro fongicide. « Je ne sème que des mélanges et je choisis toujours des variétés dont la précocité montaison-épiaison est rigoureusement identique, détaille l’agriculteur. J’évite que le mélange comporte deux variétés sensibles aux mêmes pathogènes et à la verse, chacune doit apporter une résistance à une maladie qui rend le mélange plus résistant. » Cette année, ce seront Extase, Chevignon, Absalon et Junior. « Le mélange, cela permet d’optimiser le potentiel des blés, le groupe est toujours plus fort que l’individu », résume-t-il.

Parcelle d'essai de blé sans fongicide
Parcelle d’essais de blés sans fongicide en Mayenne. (© Antoine Humeau)

Olivier Neveu sème aussi assez tardivement, jamais avant le 25 octobre, car « si on sème trop tôt, on a des blés trop en avance en sortie d’hiver et donc plus fragiles ». « Plus on sème tard, plus la plante sera résistante », confirme Patricia Huet. Semer tardivement permet aussi de faciliter la maîtrise des adventices. Un risque existe toutefois, que pointe Éric Bizot, conseiller grandes cultures à la chambre d’agriculture de l’Yonne : « En semant tard, on risque de perdre en potentiel, on réduit le cycle de la plante. »

Faible densité

Sur son exploitation, Olivier Neveu prend soin de réduire la densité de semis de 15 à 20 %. Soit 180 grains au mètre carré en bonnes terres, et 230 dans les terres à plus faible potentiel. « Mon blé a plus de place pour taller, cela va mieux ventiler », explique-t-il. La propagation des maladies se fait par contact entre les feuilles, par frottements. Combiner semis tardif et faible densité n’est pas commun. Pratiquer des densités plus faibles sur les semis précoces pour éviter les excès de tallage et des densités plus élevées sur les semis tardifs afin de compenser les pertes de plantes est généralement conseillé.

Septoriose sur blé tendre
À partir du stade deux nœuds, tant qu’il n’y a pas de symptômes de septoriose sur la troisième feuille étalée, aucune raison d’intervenir. (© Arvalis)

Autre levier agronomique pour gagner en résilience : la rotation. Certains précédents favorisent des maladies. Enchaîner un blé après un blé augmente très sensiblement le risque de piétin-verse. Un maïs ou un sorgho avant un blé l’expose davantage au risque de fusariose sur épis, il faudra donc opter pour des variétés moins sensibles à cette maladie et labourer pour enfouir les résidus. « En supprimant des précédents maïs, on économise tout de suite des fongicides », synthétise Antoine Villard, de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire. Une tête d’assolement colza-pois permet de réduire le risque, un soja peut également être introduit dans la rotation.

Tout miser sur le T2

Pour établir son programme fongicide, en morte-saison, il faut définir un niveau d’investissement a priori sous forme de produits à appliquer à dose ajustée à des stades clefs. Oser un seul traitement revient d’abord à faire l’impasse sur le T1, ce qui est possible si l’on n’a pas enchaîné blé sur blé. L’élimination du T1 devient la règle. Ce traitement vise à protéger contre les maladies se déclarant avant le stade dernière feuille pointante, mais le piétin-verse et l’oïdium se faisant plus rares, il sert désormais surtout à « encadrer » la septoriose. Si cette dernière se révèle être la maladie la plus présente, « ce n’est pas forcément celle qui se montre la plus impactante sur les feuilles du haut », rappelle Alexandre Gourvennec. Elle peut assez facilement se retrouver gérée avec le T2. À partir du stade deux nœuds, tant qu’il n’y a pas de symptômes de septoriose sur la troisième feuille étalée du moment, aucune raison d’intervenir. « Bien souvent, on s’aperçoit que la septo ne se développe pas avant que la feuille n°3 ne soit montée », constate Éric Bizot.

Rouille jaune sur blé tendre
La rouille jaune se développe avec des températures entre 10 et 13 °C, et un très fort taux d’humidité. (© Arvalis)
« Choisir des produits efficaces et alterner les substances actives, ne pas utiliser toujours le même bâton pour taper sur le même champignon », Anne-Monique Bodilis, ingénieure régionale Arvalis en Pays de la Loire

C’est bien sur le T2 que doit se concentrer la stratégie fongicide, car il protège la dernière feuille étalée (DFE) pour permettre le remplissage de l’épi, c’est lui qui assure la rentabilité de la culture. Ce traitement s’effectue entre le stade DFE et le stade épiaison, c’est-à-dire lorsque 50 % des épis sont à moitié sortis de la gaine. « Vu les printemps secs que l’on a ces dernières années et l’offre variétale proposée, on peut se permettre de ne faire que ce traitement au stade DFE, cela vous tient propre votre culture », complète Antoine Villard. Il peut aussi se fractionner en deux passages à demi-dose. « Une petite dose modulée avant la première feuille pointante, puis trois semaines après, un petit traitement fusa », suggère le technicien de la chambre de Bourgogne-Franche-Comté. Mais pour la fusariose, il faut rester modeste, « les produits ne fonctionnent pas bien du tout », tranche Anne-Monique Bodilis, ingénieure régionale Arvalis sur la région Pays de la Loire.

Se rendre dans ses parcelles

Quant à la rouille jaune, de plus en plus présente dans certaines régions du nord de la Loire depuis près d’une dizaine d’années, elle peut causer de gros dégâts. « Dans notre région Centre-Val de Loire, on gérait bien la protection contre les maladies, mais la rouille jaune a mis le bazar, le fait de ne plus avoir d’hiver a favorisé son développement », témoigne Patricia Huet. Des températures entre 10 et 13 °C avec un très fort taux d’humidité constituent les conditions optimales pour son développement. Les spores se disséminent principalement grâce au vent. L’intervention doit être immédiate dès l’apparition de foyers.

Forte attaque de rouille jaune sur blé
Les spores de rouille jaune se disséminent principalement grâce au vent. Dès l’apparition de foyers, l’intervention doit être immédiate. (© Arvalis)

Pour appliquer la bonne dose au bon moment, il faut observer. Pour la septoriose, sur variétés sensibles, le seuil de risque est atteint quand 20 % des feuilles du moment se retrouvent touchées. Ce seuil grimpe à 50 % pour les variétés peu sensibles. « Ce n’est pas facile de faire le tour de ses parcelles quotidiennement, mais y aller une fois par semaine, notamment pour celles qui sont le plus à risques, n’est pas inutile », préconise Alexandre Gourvennec. Des outils d’aide à la décision (OAD) très simples existent aussi, qui simulent les cycles des maladies. Les chambres d’agriculture proposent aussi des bulletins de santé du végétal (BSV) à partir des données collectées qui sont un appui intéressant.

Le biocontrôle, seulement en appui

Il faut aussi veiller à diversifier les modes d’action, éviter d’utiliser deux fois la même matière active de triazoles, par exemple. « Choisir des produits efficaces et alterner les substances actives, ne pas utiliser toujours le même bâton pour taper sur le même champignon », résume Anne-Monique Bodilis. Limiter à une seule application par campagne l’utilisation des très controversés SDHI incarne aussi un impératif. En Seine-Maritime, Yann Matura réduit ses traitements fongicides d’année en année, depuis qu’il participe à des groupes cultures. Jusque-là, il utilisait des SDHI pour le T2, mais depuis l’an dernier, il le remplace par des triazoles. « C’est moins néfaste pour le sol et je n’ai pas vu de différence », explique-t-il. Il a également recours au purin d’ortie, depuis cinq ans, aux stades premier et deuxième nœud. « Cela m’a aidé à supprimer le T1, mais peut-être que j’aurais réussi même sans purin d’ortie », ajoute-t-il. Exact, car cela n’a aucun effet. « On l’a essayé en 2016 et 2017, cela ne fait strictement rien », certifie Antoine Villard, de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire.

Quant au biocontrôle, l’effet est tout relatif. Associé à un fongicide, cela permet de réduire les doses, mais cela ne constitue pas un fongicide. « Disons que c’est une façon élégante de guider les agriculteurs vers la suppression du premier traitement », glisse le technicien grandes cultures. Problème : le coût reste un peu élevé.

À Lattre-Saint-Quentin, la question du premier traitement est loin derrière pour Olivier Neveu, qui parvient à n’appliquer aucun fongicide quatre années sur cinq. En 2023, il n’a eu aucune maladie et a sorti 98 q. « Les 6 q que je peux perdre par rapport à la moyenne régionale ne sont pas couverts par l’investissement fongicide », indique-t-il. Ne pas traiter s’est donc révélé plus rentable.

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