« Le PNRI est un succès incomplet », a rappelé Alexandre Quillet, président de l’Institut technique de la betterave (ITB) lors de l’inauguration du salon Betteravenir. Lancé en janvier 2021, le plan d’action devait identifier d’ici à 2023 des solutions alternatives aux néonicotinoïdes opérationnelles contre la jaunisse de la betterave sucrière. Les 23 pistes étudiées par les 80 chercheurs mobilisés ont certes été mises à l’essai, mais elles doivent encore faire leurs preuves.
En effet, « même si plusieurs alternatives se détachent du lot dans les essais, aucune n’a montré une efficacité totale, souligne Fabienne Maupas, responsable du département technique et scientifique de l’ITB. Et pour une même solution, on observe des écarts de résultats importants d’une ferme pilote d’expérimentation (FPE)* à l’autre ».
La génétique, une des pistes indispensables
Pour l’experte, il faudra compter sur une combinaison de leviers à adapter en fonction de son contexte. Un constat également partagé par nos voisins belges : « la génétique représente une grande partie de la solution mais ça ne suffira pas », confie Bruno De Wulf, secrétaire général de la CBB (Confédération des betteraviers belges). « Quand bien même on aura des variétés résistantes à la jaunisse sur le marché, il faudra toujours mettre en œuvre une stratégie pour limiter la quantité de pucerons sur la parcelle, de façon à éviter les contournements de résistance », ajoute Fabienne Maupas.
« Avec le prolongement du PNRI annoncé pour 2024-2027, l’ambition est de « comprendre l’origine des écarts d’efficacité pour les différentes alternatives testées et selon les situations. Afin de pouvoir livre aux agriculteurs les bons conseils pour qu’ils puissent faire un choix objectif ». La gestion de la jaunisse passe tout d’abord par la maîtrise des réservoirs de pucerons et de virus.
« Les pucerons étaient bien présents au printemps en Belgique, mais n’ont pas entraîné une forte pression jaunisse comme on aurait pu le penser, indique Bruno De Wulf. On manque de données aujourd’hui sur la virulence des pucerons… Est-ce le gel au mois de décembre l’année passée qui a permis de limiter les réservoirs de virus ? ». Pour le secrétaire général de la Confédération des betteraviers belges, « la multiplication des hivers doux représente un véritable problème vis-à-vis du cycle des ravageurs ».
Une alternative opérationnelle : « acceptable techniquement et économiquement »
Parmi les solutions étudiées dans le cadre du PNRI, plusieurs cherchent à réduire l’atterrissage des ravageurs sur les parcelles de betteraves, et dans cet objectif, « les plantes compagnes ainsi que les composés odorants montrent des résultats encourageants », note Fabienne Maupas. La start-up Agriodor développe, par exemple, des diffuseurs de molécules odorantes, sous forme de granulés, à appliquer avec un épandeur à engrais avant les premiers signalements de vols de pucerons. Ces derniers ont une action répulsive vis-à-vis de ces ravageurs (pendant 15 jours environ). Cette solution souligne la nécessité d’avoir de bons modèles de prédiction de l’arrivée des pucerons, un point également travaillé par les équipes du PNRI.
Avec les plantes compagnes, c’est plutôt le leurre visuel qui entre en jeu. Beaucoup d’espèces ont déjà été mises à l’essai comme l’orge, l’avoine, la féverole, le fenugrec, le pois, etc. Et ce sont les graminées qui s’en semblent s’en sortir le mieux, particulièrement l’avoine et l’orge avec des réductions de 30 à 60 % de la pression pucerons. Les écarts d’efficacité restent toutefois, là encore, importants, d’où la nécessité de combiner les leviers. » Avec les plantes compagnes, il ne faut pas négliger, non plus, « la concurrence vis-à-vis de la betterave et la gestion de leur destruction », ajoute Bruno De Wulf.
Une fois que les pucerons s’installent malgré tout dans une parcelle, l’objectif, ensuite, est « d’essayer de limiter leur dissémination dans la parcelle. Rappelons que le puceron a une dynamique de développement très rapide : un individu peut entraîner 3 naissances tous les 2 jours », précise Fabienne Maupas. Dans ce contexte, les équipes testent notamment différentes solutions aphicides, issues de la protection phytosanitaire chimique ou non. « Les solutions de biocontrôle semblent néanmoins, montrer une moindre efficacité pour le moment. »
Empruntée au secteur de la pomme de terre, « l’huile de paraffine livre de bons résultats. Elle nécessite, cependant, des applications répétées ». Et les équipes du PNRI se disent très vigilantes sur ce point. « Pour qu’une solution soit considérée comme opérationnelle, au-delà de son efficacité, il faut qu’elle soit acceptable techniquement et économiquement. »
Qu'en pensent les agriculteurs ?
Autre levier mis en avant : « l’action des auxiliaires de cultures et notamment des coccinelles, chrysopes et syrphes, grands consommateurs de pucerons, ou des hyménoptères parasitoïdes, dont les adultes viennent pondre dans les pucerons. Une larve de chrysope peut consommer jusqu’à 50 pucerons/jour. Le souci, c’est qu’elle arrive souvent fin mai sur la parcelle, alors que les pucerons peuvent être présents dès mi-avril, à un stade sensible de la betterave, où l’impact sur le rendement sera le plus préjudiciable. On travaille alors sur différents moyens permettant d’attirer ces prédateurs le plus tôt possible, à travers l’installation de bandes fleuries ou des lâchers d’auxiliaires ».
Qu'en pensent les agriculteurs ? Nous avons demandé l'avis de Vincent Guyot, agriculteur du nord de l'Aisne, en visite à Betteravenir. « Parmi les alternatives aux néonicotinoïdes, certaines semblent assez faciles à mettre en place aujourd’hui, techniquement parlant. Comme les plantes compagnes : on sait aisément chiffrer le surcoût de la mise en place de l’opération et de la destruction du couvert. Mais ce n’est pas le cas pour toutes, on ne connaît pas encore tous les "effets secondaires" de ces différentes techniques. Et elles ne sont pas toutes facilement transposables à l’échelle d’une parcelle agricole, sur les 40 ha de mon exploitation, sans parler de leur coût. Je pense, par exemple, aux lâchers de larves de coccinelles. » L’agriculteur partage son inquiétude : « oui, il y a des choses intéressantes techniquement, mais on peut avoir peur d’y laisser des plumes ». La génétique donne de bons espoirs mais le potentiel de productivité des variétés en sera-t-il réduit ?
*Le réseau rassemble 71 fermes pilotes en 2023 dans le cadre du PNRI, réparties sur toute la zone betteravière, qui représentent des espaces de tests, en conditions réelles de production, de la faisabilité des nouvelles pratiques agricoles.