Selon des études réalisées par FranceAgriMer au cours des dix dernières années1, les capacités de stockage à la ferme des agriculteurs français sont estimées à 31 millions de tonnes en équivalent blé, soit la moitié de la collecte française de céréales. Un agriculteur sur deux disposerait d’un espace de stockage. Environ 50 % de cette capacité serait sous forme de cellules métalliques et 50 % sous forme de hangars pour le stockage à plat. Le blé représente plus de la moitié des volumes entreposés, suivi par le maïs puis l’orge.
La motivation principale en faveur du stockage à la ferme citée par les céréaliers interrogés demeure la souplesse offerte au moment des récoltes vis-à-vis des horaires d’ouverture et compte tenu de l’engorgement des infrastructures de collecte. Ils considèrent en outre que le stockage sur l’exploitation représente un intérêt économique grâce aux primes proposées par certaines coopératives et aux choix de commercialisation différée.
Acheteurs dédiés aux « départs ferme »
« Pour gagner du temps aux moissons, certains agriculteurs privilégient la collecte à la ferme plutôt qu’au silo de la coopérative, constate Denis Suire, directeur des achats de céréales chez Terrena. Nous ne pouvions pas laisser ce marché de côté. Sur 1,2 million de tonnes collectées par la coopérative, environ 100 000 t sont aujourd’hui entreposées sur des exploitations. Terrena a recruté trois jeunes acheteurs afin de créer une équipe dédiée aux « départs ferme » vers des débouchés portuaires ou alimentation animale. « En tant que metteur en marché, nous portons la responsabilité de la qualité des produits, justifie Céline Majolet, responsable qualité filière végétale. Nous orientons les agriculteurs sur les points de vigilance au stockage pour assurer la sécurité alimentaire. Demain, nous serons peut-être en mesure de leur proposer des contrats de filière, mais nous sommes prudents. »
À l’image de son outil Conselio cultures destiné à l’enregistrement des pratiques au champ pour la traçabilité, Terrena a lancé en 2021 Conselio stockage. L’objectif est, d’une part, l’enregistrement par l’agriculteur des paramètres liés au suivi de la conservation des grains (température, en particulier) et, d’autre part, la diffusion de conseils par les silotiers pour piloter, notamment, la ventilation (volet conseil en cours de développement). En mettant en place ces services spécifiques, Terrena compte atteindre au moins 150 000 t stockées chez ses adhérents. « C’est une solution face à l’engorgement de certains points de collecte, reconnaît Denis Suire. C’est aussi un moyen de réorienter nos investissements vers des outils de transformation plutôt que dans le stockage. Enfin, ces services nous permettent de nous développer dans des zones géographiques où nos points de collecte étaient rares ou éloignés les uns des autres. »
Primes au stockage
Dans le Nord-Est, la coopérative Vivescia est passée de son côté de 500 000 à un million de tonnes de capacité de stockage à la ferme depuis 2017, soit un tiers du volume de collecte. « Nous observions un développement naturel des investissements de stockage chez nos adhérents, en particulier dans les exploitations en croissance, indique le directeur Jean-Luc Jonet. Après réflexion, le conseil d’administration a pris la décision de soutenir ce mouvement en mettant en place des primes au stockage de 8 à 17 € la tonne en fonction de la durée. » Plusieurs raisons justifient la stratégie de Vivescia. La première, selon le directeur, relève de la mission des coopératives d’apporter de la valeur dans les exploitations agricoles. La deuxième est l’optimisation des flux logistiques au moment des récoltes : éviter l’engorgement des silos, écrêter le pic de travail, limiter le stockage dans des silos intermédiaires générant des coûts de transport.
La troisième raison est la facilitation de la traçabilité et de l’allotement à l’échelle de l’exploitation, indispensable dans le cadre des démarches de filière. De fait, les adhérents disposant de capacités de stockage ont accès plus facilement à ces contrats plus rémunérateurs. Outre les incitations financières, Vivescia a renforcé les moyens humains pour l’accompagnement technique des agriculteurs-stockeurs. Une équipe de quatre conseillers s’est consacrée à l’information en matière d’équipement et à la sensibilisation aux bonnes pratiques afin de garantir la conservation des grains.
Une plateforme de recherche et de formation
D’après FranceAgriMer, les trois quarts des capacités de stockage à la ferme à l’échelle française seraient pourvues d’un dispositif de ventilation, en particulier dans le cas des cellules métalliques, davantage équipées que les hangars de stockage à plat. « La ventilation à l’air ambiant constitue un levier d’action prioritaire pour lutter contre la prolifération des insectes par le refroidissement, et contre le développement des moisissures en réduisant le taux d’humidité », explique Marine Cabacos, ingénieure au pôle stockage des grains d’Arvalis-Institut du végétal. Sur sa station expérimentale de Boigneville (Essonne), l’institut technique dispose depuis 2012 d’une plateforme destinée à la recherche et à la formation sur le thème du stockage et de la conservation des grains. Les enseignements issus de cette dernière sont valorisés aussi bien auprès des organismes stockeurs que des agriculteurs stockant chez eux.
La plateforme d’Arvalis-Institut du végétal est équipée de six cellules métalliques de 50 t chacune et de six boisseaux surélevés de 10 t chacun. Ils sont utilisés pour entreposer la récolte du domaine de Boigneville et pour mener des essais. Les résultats sont diffusés dans la lettre technique Stock@ge éditée trois fois par an et disponible gratuitement sur abonnement. Ils ont également permis la remise à jour en 2020 du Guide pratique du stockage des grains à la ferme, ainsi que la mise au point de l’outil d’aide à la décision Venti-LIS. Celui-ci comprend actuellement deux volets : la réalisation d’un autodiagnostic de l’installation de ventilation pour vérifier ses performances, et l’aide au choix du ventilateur. Un troisième volet dédié à l’audit de l’installation sera ajouté courant 2022.
Pas d’insecte ni d’insecticide
Pour Marine Cabacos, l’un des principaux défis à relever en matière de stockage des céréales à la ferme est l’absence d’infestation par les insectes sans employer d’insecticide. D’après une enquête Arvalis-Institut du végétal/BVA de 2018, un agriculteur-stockeur sur cinq y aurait recours aujourd’hui. « Une minorité d’agriculteurs sont équipés d’un nettoyeur-séparateur, observe l’ingénieure. Nous cherchons à évaluer le bénéfice de cette opération, car le retrait des impuretés améliore les performances de ventilation. »
Arvalis-Institut du végétal a, entre autres, débuté un essai de cinq ans comparant trois itinéraires techniques : « classique » (traitement insecticide des parois puis deux paliers de ventilation à 20 °C puis 12 °C), « type bio » (nettoyage du grain, traitement des parois avec de la terre de diatomée, puis trois paliers de ventilation jusqu’à 5 °C) et enfin, « sans résidu » (palier de ventilation à 20 °C puis fumigation à la phosphine en cas d’infestation). « Nous testons aussi la thermo-désinsectisation à l’aide du séchoir, poursuit Marine Cabacos. C’est efficace mais à doser avec prudence. Nous ne sommes pas équipés pour la ventilation réfrigérée mais nous réalisons des mesures chez les organismes stockeurs. Enfin, nous avons déposé un projet pour tester les micro-ondes déjà utilisées en industrie agroalimentaire. »
1. Enquêtes Arvalis-Institut du végétal/BVA en 2014 et 2017.