Terre-net : Quel bilan tirez-vous de cette première année de réforme de l’assurance récolte ?
Jean-Michel Geeraert : Pour nous, le bilan est très positif puisque, tous assureurs confondus, le marché des surfaces assurées a progressé d’environ 32 %. On était autour de 4,6 Mha assurés, on passe à 6 Mha. Tous les groupes de culture ont progressé : la viticulture, déjà assurée pour 30 %, atteint 42-43 %, les grandes cultures ont elles aussi bien progressé, passant de 30 % à environ 34 %. Les prairies, qui représentaient 60 000 ha en 2022, marquent une belle progression en atteignant 1 Mha assurés en 2023. De même pour l’arboriculture, avec 18 000 ha de fruits assurés sur 160 000 en France, soit à peu près 12 %.
Pour les assureurs, 2023 constitue un exercice avec un bon rapport sinistres à cotisations, autour de 61-63 %. Il s’agit de la troisième année correcte depuis 2005 et surtout, la première après une série d’années catastrophiques depuis 2016.
Qu’en est-il spécifiquement pour Pacifica ?
Chez Pacifica, c’est encore mieux, on a quasiment doublé le portefeuille. En prairies, alors que l’on assurait 50 000 ha, on atteint 350 000 ha en 2023. Et en arboriculture, on est passé de 2 500 ha à 14 000 ha en 2023. Sur les grandes cultures, on continue avec + 33 %, soit 1,3 Mha en 2023 contre 750 000 ha l’année précédente. Et en viticulture, quand on assurait 62 000 ha, on est aujourd’hui à 105 000 ha. La très forte croissance du marché de l’assurance a été tirée par Pacifica.
La réforme a donc réuni les conditions nécessaires pour attirer davantage d’agriculteurs ?
Les bonnes conditions se résument en trois idées : une meilleure articulation entre public et privé, et aujourd’hui ce sont les pouvoirs publics qui prennent en charge les risques extrêmes, à travers le fonds de solidarité nationale. La cotisation se voit allégée de cette charge sinistre, donc très concrètement, nos exploitations agricoles en 2023 ont vu baisser leur cotisation de l’ordre de 15 % en grandes cultures et viticulture, et de 50 % pour les fruits et l’herbe, ce qui la rend plus attractive.
Le deuxième critère, c’est le montant de la subvention, qui passe de 65 % en 2022 à 70 % en 2023, pour une franchise qui descend jusqu’à 20 %, soit un seuil beaucoup plus intéressant qui explique une bonne partie de la réussite.
Enfin, troisième élément : il est inscrit dans la loi que le taux d’indemnisation pour les non assurés est dégressif : il sera ainsi de 40 % en 2024, puis de 35 % en 2025.
Si les cotisations sont plus intéressantes pour les clients, nous avons aussi, dans nos conditions particulières, tenu compte des éléments de protection pour l’arboriculture et la viticulture notamment, comme les filets paragrêle, ou l’irrigation par exemple, ce qui entraine encore des rabais jusqu’à 30-35 %.
Cette dynamique se maintient-elle en 2024 ?
Pour 2024, on sent un peu moins d’enthousiasme, mais malgré le bon exercice 2023, le portefeuille n’a pas connu de résiliations. On a quand même de la souscription nouvelle sur les cultures d’hiver, et depuis début janvier, on vend de l’arboriculture, de la viticulture, des prairies et des cultures de printemps. Jusqu’au 20 janvier ça se passait bien, mais les mobilisations ont rendu plus difficile de rencontrer et de convaincre les agriculteurs, et malgré la fin des manifestations, on n’observe pas de rebond, les idées sont encore très orientées autour des revendications.
On a redémarré une campagne de commercialisation, il faut vraiment que les agriculteurs testent le modèle de coût supplémentaire pour s’assurer correctement. Avec l’inflation des risques climatiques, on a une augmentation du coût de revient des matières produites par l’exploitant agricole : à chaque fois qu’il perd une tonne de volume, elle coûte plus cher en réapprovisionnement ou en manque à gagner qu’il y a trois ans. Donc l’agriculteur à tout intérêt à demander a minima des devis d’assurance. Nous avons une ambition commune : que la ferme France soit mieux sécurisée pour plus de résilience.
On a besoin de sensibiliser nos exploitants au risque
Qu’est-ce qui freine encore les agriculteurs ?
Nous avons été éduqués à produire, pas forcément à gérer des risques. Aujourd’hui nous sommes face à une transition agricole que nos exploitants doivent franchir, avec des risques sanitaires plus prégnants, une volatilité des cours plus importante : on a besoin de faire prendre conscience, de sensibiliser nos exploitants au risque. C’est tout l’objet de l’outil de simulation que nous avons mis à la disposition de tous les agriculteurs.
Pour les éleveurs, le manque de trésorerie peut être un frein, mais nous avons mis en place un système d’avance de subvention. Normalement, pour qu’un exploitant prétende toucher sa subvention, il doit avoir réglé la totalité de sa cotisation en octobre, six à huit mois plus tôt. Nous proposons de verser, deux jours avant le prélèvement de la cotisation, le montant prévisionnel de la subvention, que l’on récupère une fois que l’éleveur a réellement touché cette subvention. Il lui reste juste le net à charge à payer, dès le mois d’octobre. C’est un réel plus. Ainsi, sur les 150 M€ de cotisations d’assurance prairie, nous avons avancé 100 M€ de subvention. C’est un gros montant pour nous, mais il s’agit d’un vrai service, qui facilite l’acceptation de l’assurance.
Il reste cependant quelques irritants, comme le montrent les nombreuses discussions encore autour de la moyenne olympique. Chez Pacifica, nous vendons des franchises plus basses que le 20 %, à 10 % ou 15 %, ce qui permet de rehausser le rendement garanti mais ce bout de cotisation n’est pas subventionné. C’est un frein. Il faut que l’on retravaille à ce sujet avec les professionnels.