« Cette année, la jaunisse est un peu partout », constate ainsi Fabien Hamot, secrétaire général de la CGB et agriculteur dans la Somme, et l’hétérogénéité des atteintes est particulièrement forte sur un même territoire. Jean-Philippe Garnot peut en témoigner. L’agriculteur qui exploite 200 ha à Courpalay (Seine-et-Marne), dont 40 à 50 ha de betteraves, constate des différences de rendement importantes, avec une parcelle à 67 t/ha et l’autre à 82 t/ha.
Chez Cyrille Milard, agriculteur à une vingtaine de kilomètres de là et président de la CGB Île-de-France, le contraste est encore plus frappant. « Je fais 57 t/ha, explique-t-il mais je sème aussi pour mon voisin, avec exactement le même itinéraire technique : il fait 86 t/ha. »
Si l’impact de la maladie s’est révélé assez faible ces dernières années, c’est grâce aux conditions climatiques, rappelle la CGB, qui a organisé le 4 novembre une visite de terrain consacrée aux conséquences de la jaunisse. Car à ce jour, les planteurs disposent de peu de moyens d’action : trois passages de Movento (dont l’homologation de la substance active, le flonicamide, expire fin novembre 2026), et un passage de Teppeki. Si la dynamique épidémique est forte, ces solutions s’avèrent insuffisantes.
Ailleurs en Europe, l’acétamipride – dont la réintroduction par la loi Duplomb a été censurée par le Conseil Constitutionnel – et le flupyradifurone sont autorisés, rappelle la CGB. « On a besoin de sucre en France, les pertes de productions seront compensées par nos concurrents », alerte Fabien Hamot.
« Les 3 à 4 tonnes que je perds, c’est mon revenu »
Jean-Philippe Garnot estime ses pertes entre 3 et 5 % sur la parcelle la plus touchée. Avec un prix entre 30 et 35 €/t, et un rendement moyen de 74 t/ha, « je n’arrive pas à la rentabilité », explique-t-il. Sachant que cette culture coûte autour de 2 900 €/ha à l’implantation, « les trois à quatre tonnes que je perds, c’est mon revenu », explique-t-il.
L’agriculteur s’adapte pourtant, en avançant les dates de semis (19 mars cette année), malgré une exposition plus forte au risque de gel. Et il s’astreint à une observation minutieuse de la présence des indésirables dans ses parcelles. Cette année, il a constaté l’apparition de pucerons verts entre le 22 et le 26 avril, et a traité au Teppeki. Suite à l’observation de pucerons verts et noirs la première semaine de mai, il a ensuite réalisé un passage de Movento le 8 mai. Un deuxième passage de Movento a été effectué le 30 mai après constat d’une invasion de pucerons autour du 20 mai.

Pour lui, ce qui explique une présence accrue des insectes sur certaines parcelles, ce sont « les éléments topographiques » : les vols de pucerons sont arrêtés par des haies, des bandes d’herbe, des poteaux électriques, et ils vont naturellement se poser dans le champ le plus proche, explique-t-il.
« Il y a des agriculteurs qu’on ne peut pas aider »
Si l’agriculteur peut faire ce constat aujourd’hui, c’est grâce à plusieurs années d’observation. De la même façon, le Plan national de recherche et innovation (PNRI), initié en 2020 et renouvelé jusqu’en 2026, tire de nouveaux enseignements tous les ans. On sait depuis peu que le puceron peut être néfaste à la betterave au-delà du stade 12 feuilles, explique ainsi Fabienne Maupas, responsable du département technique et scientifique de l’Institut technique de la betterave (ITB), ce qui implique une durée de protection plus longue. Or, aujourd’hui, les agriculteurs n’ont pas les moyens d’assurer une protection efficace sur les deux mois nécessaires. Les aphicides ont une efficacité de 70 à 80 %, et une rémanence de seulement 10 à 15 jours : si les vols de pucerons se succèdent, il faudrait donc quatre passages... mais seul le Teppeki est homologué, et pour un passage seulement », explique Fabienne Maupas.
La scientifique défend l’importance de disposer d’un « arsenal de produits » afin, également, de limiter les phénomènes de résistance, et ce d’autant plus que les substances autorisées sont déjà utilisées sur d’autres cultures. Des propos qui vont dans le sens des demandes de la profession pour une autorisation de l’acétamipride et du flupyradifurone.
En parallèle, « on essaye d’agir à toutes les phases de la contamination », détaille Fabienne Maupas. À l’échelle paysagère, il s’agit d’être vigilant quant aux réservoirs viraux dans l’environnement (les pucerons peuvent provenir des crucifères, des couverts...). Dans un deuxième temps, l’objectif est d’empêcher les pucerons d’atterrir sur les parcelles de betteraves, en utilisant par exemple des plantes compagnes qui perturbent la vision de ces insectes qui « adorent l’alternance rangs/inter-rang », précise Fabienne Maupas. Enfin, quand ils sont observés dans la parcelle, il faut traiter. Mais combiner les différentes solutions coûte cher à l’agriculteur, surtout quand la rentabilité économique n’est pas garantie. « C’est très frustrant, c’est la première fois qu’il y a des agriculteurs qu’on ne peut pas aider », déplore Fabienne Maupas.
Vers un arrêt massif de la betterave ?
Les conditions actuelles risquent-elles de pousser les planteurs à arrêter la betterave ? Si 50 % des lecteurs de Terre-net se voient cesser la culture l’année prochaine, – un chiffre qui a fait réagir au sein de la filière –, cette proportion est sans doute à nuancer selon les territoires. Dans le secteur de Nangis, régulièrement touché par la jaunisse, « j’ai six agriculteurs qui arrêtent dans un rayon de 5 km », ce qui représente environ 80 ha et 15 à 20 % de la production, témoigne Cyrille Milard. Ce dernier les comprend, évoquant « un rendement de misère et l’absence d’efficacité des alternatives ». Avec une betterave payée 30 €/t, il faut un rendement à 90 t/ha pour s’y retrouver financièrement, explique-t-il.
Jean-Philippe Garnot n’envisage pas, quant à lui, de cesser cette production. En dépit de certaines mauvaises années, « si je regarde mon système sur 10 ans, ça reste cohérent », explique-t-il. Dans son schéma d’assolement, la betterave revient tous les quatre ans, toujours derrière deux pailles, indique-t-il.
« Arrêter, oui, mais qu’est-ce qu’on fait à la place ? Aucune culture n’est rentable aujourd’hui dans nos fermes... », déplore de son côté Cyrille Milard.
Et surtout, le président de la CGB Île-de-France reste attaché à la betterave. « On y croit quand même, et on espère des solutions rapides », avance-t-il. Des solutions qui passeront nécessairement par l’arrivée de variétés résistantes, mais pas avant cinq ans, estime l’ITB.