Des planteurs divisés quant à l'avenir de la filière betterave à sucre

Betteraves sucrières
Les planteurs de betteraves sucrières font part de leurs inquiétudes quant au contexte incertain de la filière. (©Terre-net Média)

Dans un sondage en ligne récent, 50 % des lecteurs de Terre-net disent vouloir arrêter la betterave sucrière. « De moins en moins de solutions pour protéger, des prix qui ne sont plus au rendez-vous, une politique totalement défavorable à l’agriculture en général… il ne faut peut-être pas s’étonner ! », fait remarquer Arnaud Bauerle sur Facebook.

Parmi les agriculteurs qui ne souhaitent pas continuer : Bruno Hyais, installé à Echilleuse (Loiret) depuis 1987, et son fils qui est en train de reprendre la ferme familiale. Le producteur dénonce « le manque de rentabilité de la culture créé par les problèmes mal maîtrisés, que sont la jaunisse et la cercosporiose, un prix de marché qui chute, et des charges de production qui augmentent significativement ».

Un mauvais rapport intérêt économique/risques

« Pendant toute ma carrière, c'est la betterave qui a permis de développer l'exploitation. Mais au fil du temps, la part de l'assolement a été réduite, de 30 à 10 ha sur les 200 ha de SAU. À l'époque, mon père pouvait faire des rotations blé-betteraves, puis on est passés à un retour tous les 3-4 ans, et tous les 6-8 ans ensuite. Nos rendements plafonnent malgré l’irrigation (90 t/ha), les sols sont fatigués des betteraves et aujourd'hui, on n’a plus de prix. On a pris une nouvelle claque avec l’ouverture des importations de sucre ukrainien », témoigne Bruno Hyais.

« L’arrêt des quotas en 2017 a été un premier frein, suivi par les fortes attaques de jaunisse en 2020, qui ont engendré des pertes de rendements de l'ordre de 50 %. Le marché était bien reparti, mais cette année, on nous annonce un prix à 28 €/t. Mon fils ne veut pas, je dirais même, ne peut pas se permettre de prendre autant de risques dans ces conditions. » Pour l’agriculteur, « il ne faudrait pas passer sous le seuil des 35 €/t. » Planteurs à la base pour la sucrerie de Souppes-sur-Loing, fermée depuis le 10 janvier 2025, père et fils ont alors décidé d’arrêter après cette récolte 2025 et de ne pas prendre de parts sociales pour Cristal Union.

Depuis 35 ans en non-labour, Bruno Hyais se questionne aussi sur la compaction des sols engendrée. « L'irrigation a permis d'allonger la rotation, on s'est diversifiés avec la production de semences potagères et d'oignons. On cultive aussi depuis longtemps du soja. »

Un attachement particulier à la culture

Pourtant l'attachement à la betterave sucrière reste important, comme en témoigne Anne-Marie Nuyttens, agricultrice à la retraite depuis 5 ans avec son mari en Seine-et-Marne, qui se dit « un peu écœurée par la situation actuelle de la filière ». « Les betteraves sucrières ont toujours tenu une place particulière dans la rotation pour mon grand-père, qui s’est engagé toute sa vie pour augmenter les quotas. Pour mon père, mon mari et moi, la culture est restée très intéressante agronomiquement et économiquement. Mais la jaunisse et l’incertitude des prix rendent le contexte très compliqué pour la génération suivante ».

Un constat partagé par Jean-Charles La, sur Facebook : « dans un même canton, le rendement varie de 40 à 110 t/ha, à cause de la pression jaunisse cette année. D’un point de vue rentabilité, on est obligés de diminuer, cela représente trop de frais et de risques ».

Polo le Bombé se dit aussi « assez inquiet pour ceux qui reprennent les exploitations. Toute une filière en péril, à croire qu’on ne veut plus d’agriculteurs en France », dénonçant « la concurrence déloyale avec les autres pays européens qui ont le droit à l’acétamipride ». 

« Déjà 5 ans d'arrêt et pas de regret », note Victor Leforestier, aussi sur Facebook. « Dans les coins sans pommes de terre, ni lin, il faut vraiment faire du rendement et savoir produire à bas coût pour que ça en vaille la peine : le rendement moindre du blé derrière, le désherbage cher et qui fonctionne de moins en moins bien, la compaction des sols… »

« Mieux vaut produire 1 ha de betteraves sucrières que de blé tendre »

Pour Antoine Galland, « mieux vaut produire 1 ha de betteraves sucrières à 30 €/t que de blé tendre à 160 €/t… Arrêter les betteraves pour les remplacer par quoi ? Et comment gérer ensuite les vulpins et les ray-grass. Allez demander dans la région dijonnaise et la plaine de Caen s'ils sont contents d'avoir été contraints de stopper  ».

« La betterave est une culture essentielle dans la rotation », ajoute Antoine Helleboid

Un avis partagé par Yann Bethouart : « dans les bas champs de la baie de Somme, on est bien obligé de continuer. Les têtes d’assolement sont difficiles à trouver et en tant qu’éleveur, ça ouvre le droit aux pulpes, mais c’est clair qu’à 30 €/t, il ne faut plus faire moins de 100 t/ha… » 

« Les producteurs oublient vite les prix payés en 2023 et 2024, il faut faire un moyenne sur 10 ans ; la grande difficulté est de ne pas pouvoir baisser son coût de production », note Emmanuel Courot.

Installé dans l'Oise, Guillaume Le Pogam s'est relancé dans la culture de la betterave sucrière en 2025, après avoir arrêté en 2019. « À ce moment-là, j'étais engagé dans une mesure agro-environnementale, pour réduire de 50 % l'utilisation des produits phytos, hors herbicides. L'usage d'insecticides en plein contre les pucerons et la forte pression cercosporiose m'avaient encouragé à arrêter la betterave. Mais les possibles cultures de printemps restent limitées dans nos terres argileuses, avant on produisait de la féverole de printemps à 50 q/ha, on a aujourd'hui du mal à atteindre 30 q/ha avec les aléas climatiques notamment... » Pendant ce temps-là, l'agriculteur a continué de suivre les actualités techniques de la betterave à travers son Ceta et a décidé de redémarrer cette année. 

Parmi les changements, il note surtout « la loterie face aux pucerons en terres hétérogènes. Déterminer le bon seuil de traitement n'est vraiment pas évident. En 10 ans, j'ai vu aussi le budget fongicide fortement augmenté : un passage contre la cercosporiose coûte aujourd'hui près de 50 €/ha, alors qu'avant c'était le budget total. » 

Le débat reste entier

« Qui peut encore défendre une culture pareille, un engagement de charges et de travail monumental pour perdre de l’argent ? commente Gauthier Damis sur les réseaux sociaux. C'est un exemple de filière européenne de plus, qui n’a pas su se structurer et se protéger. »

« Selon les contextes, on peut mieux s’en sortir avec du blé à 170 €/t que des betteraves, estime Pierre-Louis Decroos. En petites terres, on peut avoir des mauvaises surprises… Et les charges commencent à chiffrer entre les semences, la protection phytosanitaire, les coûts d’arrachage, etc. »

Le débat reste entier : « tous les contextes ne sont pas comparables, ajoute Clément Raulin, entre le potentiel des terres, des coûts de production et d'arrachage. Par contre, l'intérêt de ceux qui gagnent encore de l'argent à ce prix-là est que les autres continuent pour conserver leur outil de production. Et le drame est bien là, nos élites refusant de se battre pour des prix, ils ont condamné nos outils car, bien souvent, ils méprisent ceux qui ne sont pas assez productifs ».

« Ne jamais oublier qu’une sucrerie qui ferme ne rouvre jamais. Cette petite remarque vaut autant pour nos politiques, que pour nous planteurs, et nos industriels », souligne Alban Telrom.

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