Soumis à des problèmes d’érosion en raison de parcelles en forte pente, Hubert Compère a choisi d’arrêter le labour il y a plus de 20 ans et de passer en techniques culturales simplifiées. « Elles permettent, dans le même temps, de garder les auxiliaires de cultures en surface de l’horizon d’émergence », observe l’agriculteur.
Passionné de biodiversité, il a donc poursuivi la réflexion autour de ses pratiques pour limiter le recours aux produits phytosanitaires sur son exploitation de Mesbrecourt-Richecourt (Aisne), où il cultive blé, orge, betteraves sucrières, maïs grain, protéagineux et colza.
Les fleurs, dénominateur commun de tous les auxiliaires de cultures
Le producteur attend systématiquement les seuils de nuisibilité avant d’intervenir avec un insecticide. Il est attentif aux aménagements en bordures de champ, aux bandes enherbées. Il a aussi implanté des haies avec des buissons à fleurs pour « favoriser une couverture florale toute l’année : prunelliers, cornouillers, sureaux, troènes… Entre deux, il y également de l’aubépine, des rosiers sauvages, etc. Les fleurs sont le dénominateur commun à tous les auxiliaires des cultures, il faut du pollen et du nectar pour donner de l’énergie aux adultes et assurer une bonne capacité de ponte », précise-t-il.
Tous ces leviers ont permis à Hubert Compère de supprimer les insecticides en pulvérisation depuis presque 20 ans maintenant. L’agriculteur a d’ailleurs réalisé un rendement record, cette année, en colza (50 q/ha) avec zéro insecticide.
« Compliqué d'attirer les auxiliaires au début du cycle de la betterave »
Dans ce même objectif, l’agriculteur s’est également engagé dans le Plan national de recherche et innovation (PNRI), pour améliorer les connaissances de lutte contre les pucerons et la jaunisse de la betterave. Il dispose, cette année, d’une parcelle témoin sans insecticide, où a été testé le lâcher de chrysopes, avec un protocole établi. Le champ présente à ce jour de nombreux symptômes de jaunisse.
Il faudra bien sûr attendre les résultats d’essais, mais l’agriculteur expérimenté estime « qu’il est compliqué d’attirer les auxiliaires de cultures au début du cycle de la betterave, il n’y a pas de fleur. Les syrphes, chrysopes, coccinelles… ont besoin de colonies de pucerons installées pour se mettre à pondre. C'est également difficile de faire "venir" les micro-guêpes parasitoïdes, elles sont trop tardives dans l'action de ponte dans les pucerons ».
Aspect de la parcelle témoin sans insecticide et avec lâcher d’auxiliaire . Autre champ et autre vérité de terrain c'est sous les buissons que les pucerons attaquent en premier en deux photos effondrement de tous les raisonnements ecolos bobos sur la protection des betteraves ! pic.twitter.com/16N9LUkq5G
— hub_observateur (@hub_observateur) July 23, 2025
Un constat relayé par Damien Anrieu, ingénieur agronome chez Tereos : « dans les essais du PNRI, on observe toujours un décalage entre l’arrivée des pucerons et celle des auxiliaires sur les cultures. L’objectif est de faire coïncider les pics de ces deux populations, mais les résultats doivent encore être consolidés. Pour le moment, l’efficacité reste aléatoire, entre 0 et 68 % d’efficacité selon les pressions rencontrées et les doses apportées ».
Les équipes ont, en effet, testé avec des larves ou des œufs de chrysopes, plusieurs doses à des périodes d’épandage différentes, et « cela semble davantage fonctionner en conditions plus douces. Quant à la question du coût, cela reste élevé pour le moment (entre 100 et 150 €/ha), mais les entreprises travaillent à une montée en échelle de leur production pour le réduire. »
« Quel est le moment le plus opportun pour lâcher les larves de chrysope qui ont de gros besoins alimentaires ? Avec trop peu de pucerons sont-elles capables de survivre ? », ajoute Hubert Compère. Au cours de son développement, une larve de chysope a, en effet, besoin de plus de 500 pucerons, une larve de syrphe, 400 à 700.
Au printemps 2025, le réseau d’épidémiosurveillance de l’Institut technique de la betterave a recensé une présence en plus grand nombre de ces espèces à partir de la mi-mai plutôt.
Dès la 1ère année du PNRI, l'agriculteur avait aussi testé l’installation de bandes fleuries au milieu de ses champs de betteraves. Mais les expérimentations ont été abandonnées au bout de trois ans, les bandes étaient attractives pour les pollinisateurs sauvages, mais pas utiles dans la lutte contre les pucerons, leur floraison étant trop tardive. « Nous ne connaissons pas les besoins spécifiques de chaque espèce de micro-guêpes, toutes les fleurs ne sont pas attrayantes pour ces hyménoptères. »
Des combinaisons de solutions à adapter
« Nous n’avons pas identifié de solution unique contre la jaunisse de la betterave, nous travaillons plutôt à différentes combinaisons de leviers à adapter, en fonction des coûts et de la pression », a rappelé Fabienne Maupas, directrice du département technique et scientifique de l’ITB.
« Pour une protection la plus fiable possible, c'est durant les quarante premiers jours de végétation des betteraves qu'il faut être efficace, et ce dans toutes les régions, pour toutes les périodes de semis, les expositions climatiques... différentes chaque année, souligne Hubert Compère. Toutes les combinaisons peuvent être imaginées, mais aucune n'a donné de résultats fiables techniquement et économiquement pour le moment. On a juste besoin d'un délai supplémentaire. »
En attendant, le producteur se dit favorable à un usage dérogatoire de l'acétamipride, qui « offrerait une protection efficace sur les 40 premiers jours du cycle et pourrait ensuite être suivie par l'action des auxiliaires en fin de rémanence, jusqu'à la couverture du sol ».