« De plus en plus d’agriculteurs commencent à s’intéresser au marché du carbone »

Illustration des crédits carbone du carbon farming du développement durable
La dynamique du carbon farming s’accélère à travers l’Europe et le cadre réglementaire s’éclaircit. (©tanakorn, AdobeStock)

« Une dynamique s’opère sur le terrain : de plus en plus d’agriculteurs commencent à prendre le virage agroécologique et à s’intéresser au marché du carbone », constate Axel de Martene, directeur de la Climate Agriculture Alliance (CAA), un collectif de start-up actives sur le marché européen du carbone agricole.

En quelques années, le carbon farming – l’ensemble des pratiques agricoles permettant de fixer le carbone dans les sols – s’est de fait imposé comme un levier majeur de la transition agroécologique. Lors du dernier Salon de l’agriculture, plusieurs représentants de la CAA ont témoigné de cette accélération, tant sur le terrain qu’au niveau réglementaire.

En 2022, les premiers membres de l’alliance suivaient près de 1 000 fermes engagées dans des programmes de résilience des filières. En 2025, les vingt-deux structures désormais impliquées en accompagnent plus de 28 000, couvrant au total 8,2 Mha dans vingt pays.

Les lignes bougent aussi sur le plan politique. « : Les institutions européennes prennent la mesure de ce que l’agriculture peut apporter comme solution au changement climatique, ça s’est traduit par plusieurs réglementations », souligne Thibaut Savoye (Carbone Farmers).

Le règlement CRCF notamment (Carbon Removals and Carbon Farming), adopté fin 2024, devrait « clarifier le cadre » autour de la mesure et de la certification des émissions et de la séquestration de carbone agricole. Autres signaux encourageants : les « ambitions fortes » de la nouvelle gouvernance de la Commission européenne en termes de financement de la transition, qui irriguent déjà les discussions autour de la Pac post-2027 et pourraient mener à l’intégration de l’agriculture dans le marché réglementé du carbone européen (EU ETS).

CRSD et CS3D, deux textes imposant aux entreprises un reporting standardisé de leurs émissions sur toute leur chaîne de valeur, sont en train d’évoluer et pourraient aussi impacter les acteurs du carbon farming. « Ces directives européennes ne sont pas sexy, mais elles ont de multiples bénéfices », lance Mathieu Toulemonde (Agoterra). Notamment, en poussant les entreprises à examiner ce qui se passe dans leurs chaînes d’approvisionnement et constater qu’ « il y a des choses à faire ! ».

De son côté, le référentiel international SBTI-FLAG, qui veut permettre aux entreprises liées à l’amont agricole d’accorder leur stratégie de décarbonation à l’Accord de Paris sur le climat, est « bien engagé ».

« Le SBTI et la CRSD sont des accélérateurs », grâce auxquels « on passe de projets pilotes il y a quelques années à des projets où on retrouve des milliers d’agriculteurs, témoigne François Thierart (MyEasyFarm). On a par exemple remonté les données de 8 000 agriculteurs pour calculer le scope 3 (émissions indirectes) d’une entreprise ! ».

Car « en moyenne, la majorité des émissions d’un groupe agroindustriel ne vient pas de ses usines ou du transport, mais de la production de blé ou de betterave. Pour tenir leurs engagements, ils sont obligés d’embarquer leur supply-chain (dans leur stratégie de décarbonation, NDLR), c’est-à-dire les agriculteurs ».

Démontrer l’intégrité pour susciter la confiance

À l’heure où la dynamique du carbon farming s’accélère à travers l’Europe et où le cadre réglementaire s’éclaircit, « on est vraiment à un moment clé pour structurer les aspects liés à la crédibilité du marché », estime Axel de Martene.

Car le secteur souffre d’une image écornée pas plusieurs scandales, avec notamment « des crédits carbone qui n’existaient que sur le papier, reprend François Thierart. L’un des objectifs de l’alliance est justement de garantir des crédits locaux, fiables et vérifiables, qui se basent sur des données numériques, infalsifiables ».

« Heureusement, le carbone agricole n’a pas fait l’objet de scandale dans nos pays, mais ce n’est qu’à condition de s’améliorer continuellement », avance Chuck de Liedekerke (Soil capital). En particulier sur la question de la comptabilisation : comment s’assurer qu’un agriculteur n’est pas inscrit dans deux programmes différents ? Ou qu’un certificat carbone n’est pas vendu à deux personnes différentes ?

La CAA a donc mis en place FarmVault, un registre sécurisé et mutualisé. « On a réussi à faire collaborer des concurrents pour créer un outil en avance sur la législation européenne. Il garantit l’intégrité de la démarche », souligne Chuck de Liedekerke. Le registre est crypté, confidentiel, et ouvert à tous les acteurs souhaitant y intégrer leurs données.

« Avec l’Alliance, on veut envoyer un message fort sur la traçabilité et la transparence qu’on est capables d’offrir au marché, de la parcelle au silo de l’usine de transformation », insiste Thibaut Savoye, appelant les filières à s’emparer du sujet, tout comme les consommateurs.

Conférence sur les marchés du carbone agricole au Salon de l'agriculture 2025
De gauche à droite, Axel de Martene (Climate Agriculture Alliance),Thibaut Savoye (Carbone Farmers), Chuck De Liedekerke (Soil Capital), François Thierart (MyEasyFarm) et Mathieu Toulemonde (Agoterra) sont intervenus au Salon de l'agriculture 2025. (© Terre-net Média)

Qui doit payer la transition ?

Au-delà de l’intégrité et de la confiance, plusieurs obstacles freinent le développement du marché. Le premier est réglementaire : le GHG Protocol, référence internationale en matière de comptabilité carbone, tarde à publier ses recommandations. « On les attend depuis deux ans », déplore Mathieu Toulemonde.

Vient ensuite la question du financement. « Des industriels pionniers se lancent à grande échelle, avec des cahiers des charges précis en termes de traçabilité, de mesure d’impact, d’outils, de certification, mais ne veulent pas être les seuls à payer toute la transition de leur chaîne de valeur. »

« Il y a un problème de répartition de la valeur, abonde François Thierart : qui paie ? Le consommateur, l’agroindustriel, l’agriculteur ? Sur des produits à haute valeur ajoutée, comme l’alcool pour la parfumerie, ce n’est pas un problème de faire payer le consommateur. Mais si on augmente le prix du kilo de sucre, il ira voir ailleurs ».

Autre frein : le manque de sensibilisation. « Les agriculteurs ne mesurent pas toujours leur impact environnemental, ni les gains possibles de pratiques plus durables », poursuit-il, appelant à un effort d’éducation de toute la chaîne à des pratiques plus durables, incluant les technico-commerciaux et les conseillers des coopératives et des chambres d’agriculture.

L’accompagnement financier des agriculteurs qui se lancent dans une transition vers une agriculture plus durable apparaît crucial, car « c’est sur plusieurs années qu’on voit qu’il n’y a pas de perte de rentabilité, et même un gain de rentabilité et une valeur du sol qui devient plus importante », ajoute François Thierart.

La question de la rémunération impose le besoin d’indicateurs économiques clairs. Thibaut Savoye précise : « Ce qui sécurise un agriculteur dans sa capacité de transition, c’est de savoir ce qu’une pratique va lui coûter, et ce qu’elle lui rapportera en crédits carbone. On intègre ces éléments dans nos tableaux de bord ».

Pour Chuck de Liedekerke, le vrai risque est politique : « Face à la colère agricole, certains prônent une marche arrière du Green Deal. Mais c’est une erreur, les agriculteurs ne manifestent pas contre la fertilité des sols. Ils manifestent parce qu’ils ne gagnent pas assez leur vie ! »

Or, investir dans des pratiques durables dans un monde de plus en plus contraint par le climat et la raréfaction des ressources fossiles, c’est selon lui « une façon d’améliorer notre sécurité alimentaire, la compétitivité de nos productions alimentaires, et le niveau de vie des agriculteurs ! »

D’autant que l’Europe est attendue sur ce terrain, note François Thierart : « Aux États-Unis, en Amérique latine, tout le monde regarde l’Europe la France. On est vus comme les plus avancés sur les sujets agroécologiques. On doit montrer l’exemple ! »

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