« Vous avez de la chance d’être dans cette région », lance Serge Zaka, agroclimatologue au public présent lors de la table ronde « Comment s’adapter au climat de 2050 dans les Hauts-de-France ? », organisée par Terre-net.fr lors d’Innov-Agri Nord le 4 juin dernier.
Le climat va changer dans la région dans les 25 ans à venir, avec une plus grande variabilité des pluies — des épisodes de plus en plus pluvieux et des périodes de fort déficit en eau — des températures moyennes en hausse et un manque de froid. Mais « il n’y aura pas que du négatif », poursuit le médiatique chasseur d’orages.
Dans les prévisions hydrogéologiques, les nappes phréatiques seront généralement pleines à la sortie de l’hiver dans la région, et diminueront en été. « En moyenne sur l’année, elles seront plus hautes qu’actuellement, c’est la seule région de France où ce sera le cas et il faudra en tirer parti ! », s’enthousiasme le scientifique. L’irrigation sera donc une solution durable pour la région.
Si les rendements en betteraves et en pomme de terre devraient baisser de 10 à 15 % à horizon 2050, ceux du blé ont un potentiel de hausse de 5 % en raison de la hausse du CO2 et de l’eau présente dans le sol qui favoriseront la photosynthèse. Le maïs irrigué devrait accroître son rendement de 10 à 15 % et le non irrigué le voir baisser de 20 %.
Et surtout, la hausse des températures devrait aussi permettre le développement de nouvelles cultures qui remontent du sud du pays, comme le tournesol, le soja, les vignes, des fruits et légumes comme la pêche ou la cerise.
Soja, tournesol, vigne…
Certains agriculteurs les testent déjà sur leur exploitation à l’instar d’Apolline de Wilde. En s’installant sur la ferme familiale à Grandlup-et-Fay, dans l’Aisne, elle a voulu se diversifier en plantant des vignes. Elle s’est pour cela rapprochée du collectif des 130, créé par le négoce agricole Ternoveo.
Benoît Vaillant, installé à Cambrai dans le Nord, a aussi testé différentes cultures. Après plusieurs printemps et étés secs, il décide d’intégrer dans son assolement des cultures résistant aux conditions sèches. Il se lance dans le soja en 2021 et le tournesol en 2023. « Mon soja en 2021, je l’ai récolté trop tôt. En 2022, je n’ai fait que 9 q/ha mais en 2023, 36 q ! L’excès d’eau en 2024 n’a pas permis à la culture de décoller alors que cette année les conditions sont optimales pour le moment… Voilà, je suis toujours en phase de test mais je tiens bon », glisse-t-il dans un sourire.
Le résultat économique n’est pas à l’attendu, mais « c’est le plaisir de découvrir quelque chose. Tous les ans, je fais 1,5 à 4 ha de ma surface », complète le jeune agriculteur.
Adapter son exploitation dès maintenant au climat de 2050 en essayant des nouvelles cultures, comme Apolline et Benoît, c’est la bonne approche pour Serge Zaka. « Ce n’est pas en 2050 qu’on va commencer à produire les cultures adaptées à 2050. C’est un investissement de connaissance du terroir pour l’avenir, même si économiquement le résultat n’est pas là. Si personne ne fait d’essais maintenant, aucune filière ne va émerger dans le territoire. » Créer des filières, travailler sur des IGP, AOC, cela prend des années.
Créer des filières, l’enjeu des prochaines années
David Boucher, responsable agronomique de la ferme pilote Carré, pointe l’absence de volonté des pouvoirs publics de « monter de vraies filières ». « On a la technique pour faire du soja dans la région. On accompagne notamment des agriculteurs sur 150 à 160 ha dans l’Oise. Depuis 20 ans, on nous dit de faire des protéagineux, on sait en faire ! Mais tant qu’on n’aura pas des filières qui paient et qui garantissent une marge brute tous les ans, alors on n’avancera pas… », s’impatiente-t-il.
Un constat partagé par Benoît Vaillant : « Quand le soja est dans ma benne, je ne sais pas quoi en faire… j’ai trouvé un débouché en Belgique pour le moment ».
Absence de filières, résultats économiques parfois décevants, conditions climatiques compliquées… Les obstacles sont nombreux. Mais il faut persévérer, car une année ne fait pas l’autre, explique David Boucher. « Il faut tester des choses sur sa ferme. Il ne s’agit pas de renverser la table, mais d’actionner des petits leviers, ça peut être d’essayer de nouvelles variétés en blé, se lancer sur quelques hectares dans une nouvelle culture… »
« C’est quand tout va bien qu’il faut faire évoluer les choses », abonde Serge Zaka. « Le changement climatique est moins impactant en Hauts-de-France que dans le sud de la France mais ce n’est pas pour cela qu’il ne faut rien faire. Vous avez le temps de réfléchir aux filières d’avenir dans le territoire, aux opportunités économiques. Il faut oser, tester et investir encore plus dans la connaissance du terrain. »
Tester et persévérer
C’est ce que le groupe Carré prône. « Nous encouragerons les agriculteurs à prendre chaque année un bout de parcelle pour tester. C’est comme investir dans la R&D. Une exploitation agricole, c’est comme un paquebot, changer de cap, ça prend du temps, on ne le fait pas sur une année. Et le changement climatique, c’est comme un iceberg devant nous, soit on fonce droit dedans, soit on tente de l’éviter », image l’agronome de chez Carré.
« Le changement climatique dans les Hauts-de-France, c’est davantage d’aléas sur les cultures existantes mais de nouvelles opportunités pour de nouvelles cultures. Il y a du positif pour la région ! », résume Serge Zaka avant de rendre le micro et d’achever cette table ronde.
