Protectionnisme : « On lui a taillé un costume trop grand pour lui »

« Le caractère vital, le rôle social, humain et territorial de l’agriculture et de l’alimentation nécessitent plus de remparts qu’ailleurs », juge Sébastien Jean. (©Pixabay)
« Le caractère vital, le rôle social, humain et territorial de l’agriculture et de l’alimentation nécessitent plus de remparts qu’ailleurs », juge Sébastien Jean. (©Pixabay)

...Les discours et les pratiques sont à la relocalisation, à la préférence nationale, aux restrictions d’exportations. De fait, un nouveau débat semble se faire jour, moins doctrinaire, où la lutte contre le protectionnisme ne constituerait plus « une ligne Maginot intellectuelle ». Vous ne connaissez rien à l’économie ? Pas grave, parions que vous allez mieux comprendre à travers l’histoire du protectionnisme, riche de paradoxes et de rebondissements, de vices et de vertus, grâce aux explications de Sébastien Jean, professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers (Cnam), titulaire de la chaire Jean-Baptiste Say d’économie industrielle.

Il y a d’abord cette interrogation : d’où vient cette sale image que se traîne le protectionnisme en Europe et dans l’Occident en général, longtemps relégué aux marges du patriotisme exacerbé, voire d’une certaine xénophobie, accent trumpiste en prime ? Après tout, cette politique interventionniste d’un État ou d’un groupe d’États vise avant tout à protéger la production interne de la concurrence étrangère.

Alors pourquoi cette mauvaise réputation ? Pour Sébastien Jean, celle-ci prend d’abord sa source « dans le traumatisme des années 1930, de ces errements restés en mémoire et qui ont motivé la construction de l’ordre d’après-guerre. Un ordre qui n’était pas celui du libre-échange, car demeuraient encore beaucoup de restrictions commerciales et de régulations économiques assumées, mais qui était fondé sur l’idée que le protectionnisme pratiqué notamment par les Américains avait été très néfaste, discriminant, générateur de représailles ».

Une analyse justifiée ? « On lui a taillé un costume trop grand pour lui, en le désignant comme facteur aggravant majeur de la crise des années trente ! Or cette dernière était d’abord une crise financière, qu’illustre le krach de 1929 à la Bourse de New York quand a explosé la bulle spéculative, puis bancaire. Mais, aux yeux des Américains, la situation a été considérablement aggravée par l’adoption, en juin 1930, de mesures protectionnistes, la loi Hawley-Smoot, qui a augmenté les droits de douane à l’importation de quelque 20 000 produits… »

Un renchérissement des taxes qui passent à 47 % sur les produits concernés (près de 40 % des produits importés), sachant que, jusque-là, elles se situaient quand même à 39 %, donc à un niveau élevé. Mais la déflation a augmenté leur niveau proportionnel, le portant à près de 60 %.

Une « stupidité économique », affirme alors l’industriel Henry Ford. De fait, cette politique de l’« America First » génère une forte riposte des pays étrangers qui, à leur tour, élèvent leurs droits de douane à l’encontre des produits venus d’outre-Atlantique. Une spirale que bon nombre d’économistes ont rappelée à Donald Trump en 2018, sous forme de mise en garde, lorsque ce dernier a fièrement annoncé une surtaxe de l’acier chinois à hauteur de 25 %.

Mais là n’est pas tout. Car s’ajoute à cette mémoire longue un épisode plus récent, le virage libéral des années 1980. Notre économiste le rappelle, « il a ringardisé le protectionnisme, devenu "has been" dès lors que le libéralisme a été perçu comme la nouvelle modernité ». Ouvrir grand les frontières au commerce allait booster le développement des pays pauvres et la croissance mondiale au bénéfice de tous. Avec, en arrière-fond, l’idée du « doux commerce », selon l’expression de Montesquieu, à même d’amollir les velléités de conflits entre nations.

Délétère, tocard, hargneux… Pour achever de tailler un véritable costard au protectionnisme, reste cet autre argument : élever les droits de douane, c’est renchérir les produits entrants et dans la foulée générer un surcroît d’inflation. Une préoccupation très actuelle. Ainsi lisait-on, dans « Les Échos » du 17 mai dernier, un article clairement intitulé : « Ce protectionnisme agricole qui dope l’inflation alimentaire ».

Pour Sébastien Jean, « l’analyse économique classique est claire : taxer les produits importés profite certes aux producteurs locaux, ainsi protégés des prix bas de la concurrence étrangère, mais coûte aux consommateurs. C’est une taxe à la consommation de biens étrangers. Ainsi, les droits de douane imposés aux Chinois par Donald Trump ont été payés par les consommateurs américains. En clair, s’il y avait aujourd’hui des mesures protectionnistes, cela aggraverait la vague inflationniste. C’est le commerce international qui est plutôt un facteur de modération des prix. Sans oublier que le protectionnisme favorise aussi les situations de rente et les monopoles en interne. »

Des grandes puissances nées grâce au protectionnisme…

Vouloir protéger sa production intérieure en restreignant la porosité des frontières aux biens du monde entier serait-il alors pure folie ? Sébastien Jean reformule : « La vraie question est : dans quelle mesure, avec quels objectifs et par quels moyens ? Car, de fait, le commerce international a toujours été très encadré, faisant l’objet de restrictions, de monopoles et de taxes. » Eh oui, contrairement à ce que l’on croit souvent, la pensée protectionniste n’est pas née lors de...

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