Fin 2023 et début 2024, la France et l’Europe ont connu d’importantes manifestations agricoles, auxquelles l’enquête fait écho : interrogés sur les cinq revendications les plus importantes de ce mouvement, les agriculteurs sont 57 % à demander plus de cohérence entre les réglementations, 50 % souhaitent une protection des marchés nationaux contre la concurrence extra-européenne et intra-européenne, et 50 % réclament un assouplissement des normes environnementales.
L’agriculture « cherche moins à conquérir le monde et davantage à protéger ses marchés et à simplifier les réglementations », constatent Pierre-Henri Bono, chercheur économètre à SciencesPo et François Purseigle, professeur en sociologie à l’Institut National Polytechnique et l’Ecole Nationale Supérieur Agronomique de Toulouse, qui ont présenté ce travail à l’occasion du Grand Oral agricole des candidats aux élections européennes organisé par Réussir-Agra, le Cevipof, la FNSEA, JA, Chambres d’agriculture France et la Coopération agricole.
Les auteurs de l’enquête constatent en parallèle une diminution des taux de participation aux sondages électoraux. Du 8 au 29 avril 2024, seulement 1 258 exploitants agricoles ont voté, tandis que 11 770 Français ont répondu et voté du 1er au 6 mars 2024.
Une faible influence des politiques de l’UE sur l’agriculture
En ce qui concerne l’influence des politiques menées au niveau de l’Union européenne sur un secteur donné, les agriculteurs comme les ruraux et l’ensemble des Français mettent en dernière position l’agriculture en France, témoignant d’un vrai déficit sur la confiance apportée à l'Europe en matière de politique agricole. C’est le "tourisme en France" qui occupe la première place, selon les répondants.
Quel soutien les agriculteurs attendent-ils de l’UE ?
Interrogés sur les stratégies qui seraient les plus efficaces pour protéger l’agriculture européenne, un grand nombre d’agriculteurs et d’agricultrices estiment que l’Europe est une entité de faible protection, génératrice de normes : 65 %, des répondants ont choisi la modalité « Protéger le marché européen » comme l’une des trois stratégies prioritaires à mettre en œuvre. 44,5 % ont choisi la modalité « Limiter les normes environnementales ». 39 % ont voté « Garantir des prix plancher aux agriculteurs et agricultrices ». Ils ne sont que 1,6 % à souhaiter l’élargissement de l’Union européenne à d’autres pays.
Un clivage environnement / croissance économique
Priorité à l’environnement ou à la croissance économique ? On voit apparaître des agriculteurs et des agricultrices plus polarisés que l’ensemble des Français ou que des ruraux sur cette question. Ce choix reste fortement lié au positionnement idéologique des répondants : 77 % des répondants qui se déclarent de gauche choisissent la priorité à l’environnement, tandis que 60 % des répondants qui se déclarent de droite, la priorité est donnée à la croissance.
Les agriculteurs, tentés par le RN ?
Alors qu’ils sont en moyenne plus à droite que l’ensemble des Français, les agriculteurs et agricultrices se déclarent moins tentés par le RN avec 26 % face à 30 % pour l’ensemble de la population. C’est LR qui en tire avantage avec 14 % contre 6,5 % d’intention de vote au global en France. Renaissance et ses alliés font jeu égal avec la liste LR. Pour les partis de gauche, les intentions de vote sont systématiquement plus faibles que celles de l’ensemble des Français et des ruraux, atteignant seulement 5 %. On note cependant une bonne performance de la liste EELV avec un résultat autour de 9 % que ce soit pour l’ensemble des Français, ou les agriculteurs et les ruraux. Chasseurs et Ruralité bénéficie d'un soutien plus élevé que prévu avec 8 %.
Ce sont les plus jeunes (40 ans et moins) qui accordent davantage leur préférence à la liste de Jordan Bardella avec 37 %. Si l’on ajoute les intentions de vote pour les listes Reconquête, Debout la France et des Patriotes, ce n’est pas moins avec 46 % des moins de 40 ans qui accorderaient leur vote à ce bloc d’extrême droite. Quelles que soient les catégories d’âge, les intentions de vote pour la liste LR sont largement supérieures à celles observées dans le reste de la société avec 14%. C’est parmi les plus âgés (56 ans et plus) que l’on rencontre le plus d’agriculteurs souhaitant apporter leur vote aux listes de gauche (hormis LFI) et notamment la liste EELV avec 11%.
Des tendances différentes selon le mode de production
Enfin, les modèles de productions clivent davantage les agriculteurs entre eux : ainsi, les certifiés bio voteraient davantage à gauche avec 12 % pour LFI, 25 % pour EELV et 11 % pour le PS/Place publique, contre respectivement 2 %, 2 % et 5 % d’intentions de vote chez les agriculteurs en conventionnel.
Ces derniers préfèrent les partis de droite et du centre, donnant leur préférence à LR (18 %, Renaissance (16 %) mais surtout le RN (29 %). Néanmoins, « la certification biologique de l’exploitation n’est pas exclusive du vote pour la gauche », indiquent les auteurs de l’enquête, puisque 18 % des bios indiquent vouloir voter pour la liste de Jordan Bardella et 4 % pour celle de Reconquête.
A noter, enfin, que 47 % des agriculteurs qui déclarent voter aux élections européennes le font d’abord pour des raisons autres qu’agricoles, expliquant aussi des intentions de vote qui ne sont pas toujours dirigées vers la liste la plus crédible sur le plan agricole, précise François Purseigle.
