Pierrette Desrosiers, psycoach agricole
Dans sa ferme, les clés pour être « bien dans ses bottes »

 

[Interview vidéo] Pierrette Desrosiers livre quelques clés pour être heureux dans sa ferme

Terre-net Média : Vous êtes en tournée en France pour donner six conférences sur le bien-être au travail à un auditoire d’agriculteurs. Qu’enseignez-vous aux producteurs que vous rencontrez ?

Pierrette Desrosiers : Le bien-être passe par un ensemble de pratiques. Je ne veux pas simplement parler du mal-être. Car, pour un individu, agriculteur ou non, l’objectif n’est pas seulement de ne pas souffrir ou ne pas être en détresse. L’objectif est d’être capable de jouir de la vie, de développer son potentiel et sa productivité.

Choisir, c’est prioriser et dire oui aux choses vraiment utiles.

Tnm : Vous dites que l'environnement des agriculteurs est de plus en plus stressant. Avez-vous des exemples précis ?

Pierrette Desrosiers : Dans mes interventions, je parle souvent des nouvelles technologies. Elles peuvent nous être très utiles. Mais elles peuvent aussi nous nuire. A quoi cela nous sert de surveiller nos mails 25 fois par jour ? Les nouvelles technologies utilisées pour communiquer nous font dépenser une énergie folle souvent improductive. La majorité d’entre nous a besoin entre 7 et 8 heures de sommeil. Il faut réapprendre à dormir suffisamment, à bien manger, à s’investir dans nos relations familiales et, plus largement, dans nos relations importantes. Il faut prendre le temps de se ressourcer, ne serait-ce que quelques minutes de temps en temps dans la journée.

Tnm : Le célibat subi par bon nombre d’agriculteurs participe-t-il à l’augmentation du stress ?

Pierrette Desrosiers : Oui, évidemment. L’agriculteur ou l’agricultrice célibataire vit d’abord un sentiment d’échec personnel. Cette situation stresse encore plus la personne quand elle se dit qu’elle n’aura peut-être jamais d’enfants et qu’elle devra tout faire elle-même : les travaux de l’exploitation, mais aussi toutes les tâches domestiques qu’un couple partage à deux. Pour toutes ces raisons, le célibat est souvent difficile à vivre.

La présence d’un conjoint préserve souvent un agriculteur de la détresse voire du suicide. Car le conjoint est là pour l’écouter et l’épauler. Un agriculteur, comme toute personne, ne veut pas montrer aux autres qu’il est en situation de faiblesse. Il ne va donc pas facilement se confier à un voisin ou à un ami sur ses difficultés.

Tnm : Comment se prémunir contre la montée du stress au travail et le risque de détresse psychologique ?

Pierrette Desrosiers : Il faut prendre conscience de ses propres symptômes, mais aussi des facteurs de stress. Il faut prendre conscience des comportements et des actions qui sont inutiles. Il faut prendre conscience des stratégies qui peuvent être mises en place pour les éviter. Il faut se donner les moyens de faire des pauses, pour garder à l’esprit que nous avons du pouvoir sur notre vie grâce aux choix que nous pouvons faire. Certes il y a des choses sur lesquelles nous ne pouvons agir. Les agriculteurs subiront toujours la météo. Mais ils peuvent décider de leur manière de réagir sur leurs dépenses ou sur la manière dont ils gèrent leur temps.

Plus globalement, il n’est pas toujours possible d’agir sur les événements. Mais il est possible d’agir sur la manière de réagir face à ces derniers. Il est possible de choisir de s’arrêter quelques minutes à tout moment pour mieux évaluer la situation.

Mais c’est plus difficile qu’auparavant. Car les choix qui s’offrent à nous, dans cette société de consommation, sont beaucoup plus nombreux qu’il y a cinquante ans.

Moi j’amène trois questions aux participants par rapport à ce qu’ils pensent et ce qu’ils font : Est-ce vrai ? Est-ce bon ? Est-ce utile ? Il faut finalement être capable de s’autoréguler, face aux nombreuses possibilités auxquelles nous sommes confrontés.

Tnm : Au Québec, vous intervenez dans le monde agricole et « coachez » des agriculteurs depuis plus de dix ans. Percevez-vous un mal-être croissant chez les agriculteurs ?

Pierrette Desrosiers : Oui, à cause de la pression qui arrive de partout : des enjeux économiques de plus en plus importants,  des politiques, de la pression sociétale. Les facteurs sont multiples.

Il y a soixante ans, l’enjeu était de survivre avec son exploitation. Cette époque est révolue et les valeurs ont changé. Il faut être de plus en plus compétitif. Comme tout le monde, les agriculteurs vivent dans une société de consommation et sont influencés par les valeurs qu’impose cette société. Si l’échelle de valeurs a changé, notre comportement n’a pas évolué : au temps des rois, il fallait avoir la plus grosse table et le plus grand château. Aujourd’hui, au Québec comme en France, il faut avoir le plus gros tracteur.

 

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