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Face à ce constat, l'intérêt des agriculteurs concernant une meilleure valorisation de l'urine en agriculture a été étudié à travers plusieurs enquêtes. « Même si cette pratique est peu connue pour le moment, elle est globalement bien accueillie, indiquent Florent Levavasseur, ingénieur de recherche Inrae et Tristan Martin, doctorant en agronomie. Les agriculteurs ont toutefois pointé des besoins d'expérimentation sur ces urinofertilisants, tant sur leur valeur fertilisante que sur leur contamination en résidus médicamenteux ».
« Un kilogramme contenu dans un urinofertilisant a le même effet qu'un kilogramme d'engrais minéral »
Des essais agronomiques ont alors été mis en place sur le plateau de Saclay pour tester l'efficacité fertilisante de différents urinofertilisants sur blé, colza et maïs grain depuis deux ans. D'après les premiers résultats, « un kilogramme d'azote contenu dans un urinofertilisant a le même effet qu'un kilogramme d'engrais minéral, à la différence de l’azote des engrais organiques (lisiers) dont l’efficacité est moindre à court terme », présentent Florent Levavasseur et Tristan Martin. « En complément à l’étude de la valeur fertilisante, les émissions de gaz à effet de serre, la volatilisation ammoniacale et les résidus médicamenteux sont en cours d’analyse ».
« Une fois que l’urine a été séparée des autres composantes des eaux usées, il est possible de réaliser une multitude de traitements pour différents objectifs [...] : la première option est de stabiliser l’azote afin de diminuer la volatilisation ammoniacale (qui pollue l’air et entraîne une perte de la valeur fertilisante de l’urine) et d’atténuer les odeurs. La seconde possibilité est de réduire le volume épandu, qui varie de celui d’un lisier à celui d’un engrais minéral pour les fertilisants à base d’urine les plus concentrés. Enfin, le troisième traitement consiste à restreindre la contamination en microorganismes pathogènes ou résidus pharmaceutiques. Ces différents traitements aboutissent à divers fertilisants à base d’urine ou « urinofertilisants » aux caractéristiques variées (teneurs en nutriments, en contaminants, forme des éléments nutritifs…).
Des biofertilisants commercialisables d’ici 2021
Trois entrepreneurs girondins planchent également sur le sujet. Mathieu Préel, loueur de toilettes sèches, se trouvait confronté quotidiennement au recyclage de l’urine humaine. Pierre Huguier et Michael Roes, engagés dans la production de fertilisants pour l’agriculture bio, ont alors développé avec lui un procédé de transformation microbiologique pour « stabiliser, dépolluer et enrichir l’urine en micro-organismes d’intérêt agronomique ». La start-up Toopi Organics est ainsi née en février 2019 et compte aujourd'hui sept salariés. Leur procédé breveté est « low tech », c’est-à-dire « qu’il ne consomme que très peu d’énergie et permet d’utiliser l’urine comme matière première en faisant pousser des bactéries à fort intérêt agronomique. Il ne génère aucun déchet, tout est recyclé », explique la start-up. Toopi Organics vise ainsi « la collecte d’ 1 à 5 % des volumes produits, via des partenariats avec des loueurs de toilettes sèches, des laboratoires d’analyses médicales et des établissements recevant du public », présente Michael Roes, l’un des fondateurs. Objectif : « proposer aux agriculteurs une alternative écologique aux engrais minéraux, avec des intrants naturels plus efficaces et moins chers ».
Là aussi, les premiers résultats semblent prometteurs : « + 60 à 110 % pour la biomasse aérienne et racinaire sur maïs », selon les essais réalisés avec Bordeaux Sciences Agro. Les travaux menés en lien avec la chambre d'agriculture de Gironde ont montré aussi, sur vigne, « une nette augmentation du poids des feuilles (+ 40 %) et une meilleure résistance à la sécheresse (+ 22 %) ». Une vingtaine d'essais sont en cours, ce printemps, sur blé, betteraves et des cultures maraîchères, dans différentes régions, en lien avec des instituts techniques, des coopératives, des agriculteurs et des prestataires. Les équipes sont en attente d'une première autorisation de mise sur le marché pour une commercialisation d'ici 2021, et travaillent à étendre la gamme de biostimulants à base d'urine pour colza, tournesol et pommes de terre. En parallèle, la start-up, toute juste labellisée « green tech verte » par le ministère de la transition écologique, a annoncé mi-avril la levée de plus d’un million d’euros dans le cadre de son premier tour de table en capital. Récompensée par plus d’une dizaine de prix d’innovation en l’espace d’un an, la société envisage d'ouvrir d’ici fin 2020 une première unité de production en Gironde capable de transformer 750 000 litres d’urine par an.
Si ces premières avancées se montrent prometteuses et en faveur d'une agriculture durable, il reste encore du chemin... notamment vis-à-vis de l'acceptabilité générale. À suivre donc !