« On ne s’attendait pas à récolter si tôt ! La batteuse, on l’a révisée en catastrophe, à la dernière minute », une semaine à peine avant le début des récoltes. La précocité de la moisson 2025, la deuxième depuis qu’il s’est installé en agriculture, a surpris Alexis De Clerck. Les cultures ont changé en très peu de temps, devenant d’un coup bonnes à faucher, les unes après les autres, voire quasi simultanément. « En juin, il a fait fort chaud. Les escourgeons sont rapidement passés du vert au jaune. Il a fallu se dépêcher pour la révision de la batteuse ! », illustre-t-il.
Avant d’ajouter : « Puis, les colzas et les blés, c’est allé extrêmement vite. Nous avons mis en route mercredi 10 juillet. Jeudi, nous avons également battu du colza ; vendredi, samedi, dimanche, du blé. Il nous a manqué une heure de beau temps pour finir, juste 3 ha quand il a commencé à pleuvoir. Nous avons réussi à finir lundi soir. Terminer la moisson le 14 juillet dans l’Oise, c’est assez rare, surtout si l’on compare aux deux années précédentes ! »
Le jeune agriculteur est content des résultats, « très bons en escourgeon, 95 q de moyenne, l’ensemble de la récolte étant aux normes brassicoles, et en colza, avec 49 q », et « plutôt pas mal en pois de printemps, à 59 q ». « Le blé n’est pas exceptionnel, mais ça reste correct », poursuit-il. Il n’a pas encore tout calculé mais estime atteindre « entre 80 et 85 q ».
95 q en escourgeon, 49 q en colza et 80-85 q en blé
Les semis ont été réalisés en mauvaises conditions, un peu trop tard, parce qu’il aidait son père, polyculteur-éleveur laitier à l’ensilage, et qu’après il a pas mal plu. « Nous avons eu beaucoup d’eau – tout l’hiver, le blé n’a pas été terrible ; il n’avait pas bien tallé, il manquait des pieds – suivi de coups de chaleur au printemps. Dans les terres séchantes, les blés n’ont pas bien supporté », détaille-t-il. La qualité, elle, est au rendez-vous : « seulement deux bennes en dessous de 80 de PS ; le reste entre 80 et 83, et 12 de protéines. »
Rien à voir avec sa première moisson. « Mon installation agricole n’est pas tombée la bonne année. Une récolte 2024 catastrophique comme chez de nombreux collègues ». 66 q en escourgeon, 35 q en colza et 34 q en pois de printemps : Alexis s’attendait à pire. En blé, il ne s’en est pas trop mal sorti par rapport à la moyenne régionale. « J’ai réussi à faire 76 q sans savoir vraiment pourquoi alors que la moyenne de la coop était à 66 ! », lance Alexis. Le producteur de 34 ans relativise même « s’il n’aurait pas fallu une deuxième campagne de ce type ».
« Heureusement, finalement, que c’est arrivé la première année, les jeunes installés ont plusieurs abattements, MSA notamment, pour les impôts, les assurances… J’ai respecté mon prévisionnel sans décaler de prêts, j’ai même dégagé un peu plus d’EBE. » La DJA – 30 000 €, le montant maximum grâce aux bonus HCF, Cuma et MAEC – a permis de « boucher les trous » même si « elle n’est pas prévue pour » et si son versement a traîné un peu (elle a été versée en décembre 2024 après avoir relancé l’administration). Alexis a demandé une indemnisation pour pertes de récoltes, sans succès. En blé par exemple, il ne fallait pas dépasser 67 q, la moyenne de rendement départementale étant toujours plus basse que celle du secteur : « on est rarement gagnant. »
Une exploitation trouvée via l’ETA où il travaillait
Le jeune installé cultive 169 ha, 104 ha à Houssoye-le-Farcy, commune de Troissereux, et 65 ha à Oroër : 92 ha de blé, 36 ha de colza, 16 ha d’escourgeon, 5,5 ha de pois de printemps et 17 ha de betteraves sucrières (reprise du contrat du cédant chez Saint-Louis Sucre), le reste – 2,5 ha – en prairies et jachères. Comme son cédant. « Je n’ai pas voulu modifier, dès le départ, un assolement et une rotation qui fonctionnaient », justifie-t-il. Alexis a choisi de reprendre l’exploitation d’un tiers, ses parents, exploitants près de Grandvilliers, n’étant pas encore à la retraite et leur ferme pas dimensionnée pour 3 UTH.
Avant de moissonner chez lui, je ne le connaissais pas.
Il le dit lui-même : il a saisi cette opportunité lorsqu’elle s’est présentée de manière fortuite. Salarié depuis une douzaine d’années dans une ETA, dans l’attente de cette reprise familiale, il a effectué de la prestation de services, la moisson en particulier, dans plein d’exploitations de la région. Voilà comment il a rencontré Alain. Sans successeur – ses deux enfants n’étant pas dans l’agriculture –, il tenait à transmettre sa ferme à un jeune. « Avant de moissonner chez lui, je ne le connaissais pas. On a commencé à parler, on a sympathisé. Ça s'est fait comme ça », raconte Alexis.
Celle-ci disposait de plusieurs atouts. Le principal : le parcellaire. La surface exploitée est conséquente et les deux sites sont distants d’une dizaine de kilomètres, ce qui l’a « un peu freiné au début » – avec le matériel, confortable, et la vitesse des tracteurs, « ce n’est au final pas une corvée » – mais ils ont été remembrés, l’un suite au passage d’une autoroute, l’autre d’une déviation. Résultat : peu de parcelles, très grandes et regroupées. « Sur Houssoye-le-Farcy, il n’y en a que trois de 40, 35 et 20 ha, derrière le bâtiment où est stocké le matériel, je n’ai pas de route à faire », se réjouit l’agriculteur. « Quand je moissonne, j’accroche et décroche la coupe une seule fois ! »
Le principal atout : le parcellaire
Il a également la chance, il le reconnaît, que le cédant n’ait pas, comme certains, levé le pied les derniers temps, pour des raisons économiques et pour se ménager. « Il n’a jamais vendu de paille, il a continué à l’enfouir, pour maintenir le taux de matière organique. De même que d’épandre de l’engrais de fond. Les terres ont toujours été entretenues : les analyses de sol sont bonnes, je n’ai pas eu de mauvaise surprise. Y compris l’an dernier, compliqué, avec l’humidité, les maladies, etc. »
Le matériel n’est pas récent, d’où un coût de reprise moins élevé mais, lui aussi, en bon état. Tracteur, remorque, déchaumeur, charrue, semoir… il y a tout ce qu’il faut et aucune panne à déplorer. Seuls quelques équipements spécifiques qui coûtent cher en Cuma tels qu’un combiné de préparation du sol pour betterave, un broyeur, une épareuse, un taille-haie. Alexis a repris le bâtiment de stockage d’engins agricoles et le corps de ferme – dans lequel il envisageait d’aménager des logements mais qu’il a vendu par manque de temps – ainsi que 50 ares de prairies derrière pour accéder aux voies de circulation.
Son installation est effective depuis le 1er septembre 2023. Pendant quelques mois, il reste embauché en parallèle à l’ETA que le gérant lui a d’ailleurs proposé de reprendre avec un collègue. « On est sans cesse parti. Encore plus difficile d’avoir une vie de famille qu’en étant agriculteur » : le futur installé décline l’offre. Il en est toutefois conscient : à travers les divers chantiers à effectuer, cette expérience professionnelle a consolidé ses savoir-faire agricoles, lui a montré une diversité de pratiques et fait rencontrer les exploitants des environs.
« Le cédant a joué le jeu »
Durant cette période de double activité, le cédant déchaume à sa place et fait toutes ses semences. Lors de la moisson, ils avaient réfléchi ensemble l’assolement. Parce qu’il n’avait pas souvent traité chez son père, ni avec l’ETA, Alain est venu avec lui les premières fois. Il l’a aussi épaulé pour les démarches administratives, les relations avec les propriétaires particulièrement, une dizaine au total (la totalité de la SAU est louée en fermage, les trois quarts au cédant et à sa famille. « Il les avaient tous prévenus oralement, puis leur avait envoyé un courrier. Je n’ai eu de problème avec aucun. »
Le parcours d’installation a duré un an. « Je ne pensais pas que ce serait si long, avec autant d’étapes, de formalités, de papiers : les autorisations d’exploiter, le stage 21 h, etc. Heureusement, j’ai été bien accompagné par la chambre d’agriculture. » Le jeune exploitant n’avait pas non plus anticipé les frais de notaire dans son prévisionnel, « une sacrée somme avec le nombre de propriétaires, l’achat du bâtiment et du corps de ferme ». Car, outre deux-trois accords oraux pour de petites surfaces, il s’agit de baux de 18 ans notariés.
Quant au prix de cession, il est proche de la valeur du marché. Trois prêts bancaires ont financé la reprise : un sur sept ans pour le matériel, un sur 10 ans pour les DPB et un sur 15 ans pour le bâtiment et le corps de ferme (autofinancement des frais de notaire). « Pile au moment où les taux remontaient, variant entre 2,8 et 3,5 %. Un an avant, ils étaient inférieurs à 1 %. » Pilotables, leur durée peut être allongée ou raccourcie. « Malgré la moisson décevante de l’année passée, je n’y ai pas eu recours. »
Ses conseils aux jeunes installé(e) s en agriculture : trouver un bon comptable, prendre le temps de comparer les devis des assurances – il y a des économies possibles – et surtout de visiter plusieurs exploitations. « J’en ai vu deux ou trois, ça ne s’est pas concrétisé mais, au moins, je n’ai pas de regret. » Pour le moment, Alexis et son père travaillent ensemble, et partagent du matériel comme la moissonneuse qu’ils ont achetées à deux à l’ETA lorsque le gérant l’a cédée et vendu les machines. « Je suis dans une zone plus précoce, d’une semaine environ, nos travaux s’échelonnent sans se télescoper. »
Fin 2027, au départ en retraite de son père, Alexis s’associera avec sa mère qui a encore quelques années à faire, avant de reprendre la ferme familiale, sa sœur n’ayant pas du tout ce projet. Pour faire face à la charge de travail, il projette de recruter un salarié. Se posera alors la question de maintenir ou non les vaches laitières, sachant qu’il conservera certainement l’engraissement des taurillons. L’objectif étant de travailler avec sa conjointe, installée depuis mai 2024 à Roy-Boissy (commune où le couple habite), à une vingtaine de kilomètres, avec ses parents et sans doute, à leur retraite, son frère. « Tout en gardant les deux structures, mais pas les vaches laitières sur les deux sites. Il faudra décider entre arrêter celles de mon père ou les rapatrier à Roy-Boissy. »