Le semis de maïs s’affranchit de la tradition

Sur son exploitation des Landes, Mathieu Bonnehon, agriculteur et ingénieur chez Pioneer, compare des semis de maïs à écartement 40 ou 80 cm. (©Mathieu Bonnehon)

Le peuplement d’un champ de maïs semé avec un écartement traditionnel de 80 cm entre les rangs est-il le plus adapté pour optimiser les performances de la culture ? Beaucoup d’agriculteurs et d’agronomes se posent ou se sont posé cette question depuis déjà plusieurs décennies. Leur idée est d’offrir à chaque plante un accès optimal aux ressources (lumière, eau, nutriments) via le développement de son système racinaire et foliaire, et de limiter au maximum la concurrence entre elles pour ces ressources.

Arvalis a montré dans ses études que l’espace entre rangs et entre pieds de maïs conditionne l’interception de la lumière par les feuilles, ainsi que l’absorption de l’eau et des nutriments du sol. Un essai réalisé à Montardon (Pyrénées-Atlantiques), comparant deux dates de semis d’une variété précoce (29 mars et 28 avril 2017) avec deux écartements inter-rangs (40 et 80 cm) et trois densités (105 000, 120 000 et 135 000 plantes/ha), a révélé que le rendement augmente avec l’augmentation de la densité quand l’écartement inter-rangs est de 40 cm, alors qu’il plafonne avec un écartement de 80 cm (pour le semis du 28 avril, voir graphique). « La diminution de l’écartement inter-rangs apparaît comme un moyen de capter plus largement les éléments minéraux du sol en répartissant le système racinaire de manière plus homogène », commente l’institut. La lumière serait également mieux interceptée grâce à un indice foliaire plus élevé (surface de feuilles par surface de sol). D’après des travaux de l’Inrae, le maïs capterait 90 % de la lumière avec un indice foliaire optimal de 5.

Une thèse est en cours en collaboration avec Arvalis à Montardon et l’Inrae à Avignon. Elle devrait aboutir en 2024. Elle concerne l’optimisation des peuplements (densité, écartement) selon les variétés de maïs en lien avec les phénomènes de compétition pour la lumière. Son ambition est de trouver l’architecture idéale, par variété et dans un contexte pédoclimatique donné, en couplant un modèle de la structure 3D des plants de maïs avec un modèle simulant l’incidence des rayons du soleil sur la canopée. L’objectif final est d’améliorer les préconisations de répartition du semis, en fonction des caractéristiques de chaque hybride.

Trouver le peuplement idéal pour chaque variété à l’aide de la modélisation.
Reconstruction numérique en 3D d’un couvert de maïs à l’aide de la modélisation dans le cadre de la thèse de Mario Serouart en cours avec Arvalis et l’Inrae. À l’aide d’un tel outil, une infinité de scénarii de peuplement (écartements, densités) pourront être simulés. (© Arvalis/Inrae)

Réduire le désherbage voire l’irrigation

En plus d’être ingénieur pour le semencier Pioneer (groupe Corteva), Mathieu Bonnehon a repris il y a six ans la ferme familiale de 90 ha non irrigués en monoculture de maïs dans les Landes. « Je suis passé au semis direct dans des couverts d’hiver avec un écartement de 40 cm, en modifiant mon semoir Monosem de cinq rangs à 80 cm en semoir de neuf rangs à 40 cm, explique-t-il. Je fais des essais comparant les deux écartements. À 40 cm, je récolte deux rangs par bec cueilleur. Mon objectif n’était pas de gagner du rendement, mais plutôt de limiter le salissement. Après la destruction mécanique du couvert et le semis direct, j’applique un glyphosate puis un seul désherbage de rattrapage, contre deux auparavant, et mes champs sont plus propres. Grâce à la meilleure couverture du sol limitant son évaporation, je pense qu’on peut aussi réduire l’irrigation. »

Mathieu Bonnehon constate également un effet rendement : d’après ses observations chez les agriculteurs des Landes et des Pyrénées-Atlantiques ayant adopté un écartement réduit dans des situations pédoclimatiques plus ou moins favorables, le gain serait d’après lui de 10 q en moyenne pluriannuelle. Concernant l’augmentation de densité, il prévient toutefois : « On sème souvent plus dense en semis direct, mais attention, toutes les variétés ne répondent pas favorablement à écartement 40 cm. On peut générer un gabarit plus élevé fragilisant les plantes et subir de la verse. »

« Chaque variété a sa propre courbe de réponse »

C’est aussi le constat du semencier Dekalb (groupe Bayer). « Nous travaillons depuis dix ans sur la réponse des variétés à la densité de semis, résume Pauline Boussin-Fort, chef de marché maïs. Concernant la réduction de l’écartement, la demande est venue des agriculteurs. » C’est pourquoi, depuis 2019, le semencier a également mené des essais sur la réponse de la génétique à l’écartement réduit. Et comme son concurrent Pioneer, il a constaté que toutes les variétés n’y sont pas adaptées. « À écartement réduit, les bols racinaires sont plus efficients, car mieux répartis : il y a donc moins de concurrence entre eux, explique Vivien Dulau-Lastermières, ingénieur chez Dekalb. En revanche, il peut y avoir davantage de compétition au niveau du feuillage pour aller chercher la lumière, et donc un allongement de la tige. »

Pour sa gamme d’hybrides compatibles avec un écartement réduit, Dekalb sélectionne donc ceux ayant un solide ancrage racinaire et une bonne tenue de tige afin d’éviter le risque de verse. Le port des feuilles est également pris en compte, car le port retombant est pénalisé par l’écartement réduit. L’hybride doit aussi conserver sa longueur d’épi et son nombre de grains. « Certaines plantes connaissant un stress lié à l’écartement réduit peuvent être impactées au niveau de la floraison », souligne Vivien Dulau-Lastermières. Enfin, à tout hybride compatible est associée une recommandation en termes de densité de semis. « Il n’y a pas de règle générale pour passer de 80 à 40 cm d’écartement concernant la densité, insiste Pauline Boussin-Fort. Chaque variété a sa propre courbe de réponse. »

Côté rendement, Dekalb a observé un déplafonnement « pour certains hybrides et à certaines conditions, notamment que les intrants suivent ! » Cette stratégie n’étant pas tellement dans l’air du temps, le semencier considère plutôt l’opportunité de faire plus de rendement avec autant d’intrants, ou autant de rendement avec moins d’intrants. « La réponse positive de certaines variétés à l’écartement réduit peut être utile pour sécuriser le rendement dans le contexte de changement climatique, concluent les deux experts. On peut espérer une meilleure résilience vis-à-vis de la disponibilité en eau ainsi qu’un besoin réduit en herbicides. Toutefois, il faut aussi veiller au risque fongique en lien avec une plus grande moiteur dans le feuillage. »

Un semoir polyvalent pour toutes les cultures

En parallèle des aspects agronomiques et environnementaux, la question de réduire l’écartement au semis de maïs se pose aussi sous l’angle de l’optimisation des investissements en matériel. « En dehors de l’impact visible sur le salissement, les avantages en termes de rendement et d’économie d’eau sont difficiles à quantifier, estime Kévin Gallien, conseiller machinisme à la Fédération des Cuma du Loiret. Ce qui motive surtout les agriculteurs à investir dans un semoir à écartement 50 cm, c’est la polyvalence de l’outil. Car il peut être utilisé pour le maïs, mais aussi pour la betterave, le colza, le tournesol et le soja. Les machines étant de plus en plus coûteuses, investir dans un semoir spécifique au maïs n’est plus pertinent. De plus, le contexte beaucoup plus volatil des marchés rend les assolements moins figés. Les agriculteurs s’adaptent à chaque nouvelle campagne. »

Ces préoccupations économiques expliquent aussi, selon le conseiller, le développement du semis monograine en 50 cm pour la culture du colza. « Le colza n’est plus une culture à négliger, déclare-t-il. Étant donné le coût des intrants, il faut que ça marche ! Or la précision et la régularité obtenues avec un semoir monograine permettent d’assurer la réussite et l’homogénéité de la levée, avec moins de besoins en eau. »

Concernant le maïs à écartement réduit, reste toutefois le frein du matériel de récolte, dont une grande partie est encore adaptée à l’écartement traditionnel de 80 cm. « Malgré le surcoût, certains agriculteurs s’équipent en becs cueilleurs à 50 cm parce qu’ils ont la surface suffisante ou récoltent aussi chez des voisins, constate Kévin Gallien. Des Cuma et ETA commencent également à être équipées. Enfin, certains investissent dans des semoirs intermédiaires permettant de régler hydrauliquement l’écartement des rangs. » Des agriculteurs optent pour un écartement inter-rangs à 40 cm de façon à récolter deux rangs par bec cueilleur. Et dans la série « système D », certains sèment à écartement 40 cm à l’aide de deux passages avec un semoir classique à 80 cm.

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