Alors que pour les générations précédentes cuisiner voulait dire partager, pour les Millennials, génération ultra-connectée née entre 1982 et 2000 qui a aujourd’hui entre 25 et 43 ans, partager passe souvent avant l’envie de cuisiner. « Les jeunes consomment davantage l’idée d’un plat que le plat lui-même », souligne Florence Rossillion, directrice de l’interprofession. Des vidéos du quotidien sur TikTok aux contenus plus léchés sur Instagram, les chefs, influenceurs et amateurs de bonne cuisine, alimentent les écrans avec leurs recettes. « Le repas devient une mise en scène, une expérience visuelle et culturelle avant d’être une nécessité. Les réseaux sociaux permettent de briser les frontières, amplifiant le phénomène de mondialisation qui a profondément transformé nos assiettes. » Les Millenials ont en effet un accès instantané à des milliers de recettes dont certaines deviennent de véritables « bangers » (hit ou tendances incontournables). « Ainsi, les jeunes façonnent une nouvelle ère alimentaire : plats photogéniques, livraisons express et recettes saines (healthy) rivalisent avec l’héritage des repas faits maison. »
Dans cette quête d’esthétique et de praticité, quelle est la place des pommes de terre ? C’était le thème de la conférence « Génération Insta-food : où sont les pommes de terre ? » animée par Léa Roussineau, courtière en pommes de terre (SNCPT), lors de l’assemblée générale du CNIPT qui s’est déroulée le 7 janvier à Paris.
Les enfants de leur temps
Richard Delerins (1er g.), notamment anthropologue, chercheur et co-fondateur de Food 2.0 Lab, a su captiver son auditoire. « Les Millennials sont la génération la plus nombreuse ayant jamais vécu sur Terre. Depuis deux ans, ils représentent plus de la moitié de la population active dans la plupart des pays développés et seront les trois quarts des actifs dans dix ans en France. Ils sont les consommateurs d’aujourd’hui et surtout de demain. Leurs habitudes, leurs valeurs, leurs goûts sont déterminants pour comprendre les nouvelles dynamiques de consommation. Ils sont aussi la première génération à avoir plus de valeurs intra qu’inter-générationnelles. Autrement dit, ils sont plus les enfants de leur temps que ceux de leurs parents. »
Il souligne aussi que cette génération est la plus mixée d’un point de vue notamment génétique, ethnique, culturel et linguistique. « Ces brassages humains, qui existent dans tous les pays, pas seulement en Europe ou aux États-Unis, sont extrêmement importants pour comprendre la redistribution des valeurs et de leurs rapports à eux-mêmes. » C’est aussi la première génération qui a accès à son ADN et constate sa propre diversité. La libération du genre la caractérise également. « Le genre est un choix, qui n’est plus binaire, qui peut être variable, et exprimé de façon beaucoup plus libre. »
Première génération à avoir inventé le selfie, elle prend aussi en photo ou vidéo tout ce qu’elle mange (appelé Foodporn), ou a acheté au supermarché (Grocery Haul).
Quels sont alors les conséquences de ces caractéristiques sur leurs comportements alimentaires ? Selon Richard Delerins, elles sont au nombre de quatre.
L’individuation, le fait d’exister en tant qu’individu, dans les pratiques alimentaires recompose la commensalité, l’acte de manger ensemble, de partager la même table. « Manger seul, même au restaurant, voire en ligne, est de plus en plus courant. »
Le caractère intra-générationnel de diffusion des comportements alimentaires n’est plus uniquement déterminé par ce qui se produit en France. « Le poké bowl venu d’Hawaï a envahi la planète en trois ans. »
Les modes de culinarisation sont différents. La cuisine à la française qui valorise le raffinement et la complexité se fait par le feu et la transformation des aliments, alors que la version anglo-saxonne qui se retrouve dans de nombreux pays du monde préfère la simplicité, la naturalité par une version rapide d’assemblage de produits.
Enfin, la dimension émotionnelle dans l’acte alimentaire est de plus en plus forte et se traduit par une utilisation importante d’émoticônes et emoji dans les communications et jusque dans les menus des chefs.
« Aujourd’hui, la pomme de terre est prise dans un univers extrêmement complexe avec du packaging, des blogueurs, des réseaux sociaux… Dans cette diversité, il vous faut trouver d’où vient l’innovation parmi 16 espaces définis tels que la Gastro Street Food, les marques, l’environnement, les publications scientifiques, la Pop culture… » Richard Delerins suggère ainsi de « décommoditiser » la pomme de terre (la sortir des commodités) afin de la vendre par exemple sous une marque ou encore de l’aligner avec des pratiques d’individuation des comportements, la proposer à l’unité micro-ondables comme aux États-Unis, pour séduire ces Millenials.
Cible 2.0
Guillaume Théaudière (3e g.), planneur stratégique à l’agence médias Monolith, s’est intéressé à la consommation médias des Millennials, et comment les toucher. « Cible 2.0, le digital est pour cette génération plus qu’un média, c’est un outil de vie. Leur attention est fragmentée et sur-sollicitée. Alors que la durée d’attention moyenne sur un écran était de 150 secondes en 2004, elle est passée à 47 s en 2020, selon une étude américaine ». Cette surexposition se traduit par une fatigue informationnelle. Selon lui, les médias traditionnels sont confrontés à une perte de confiance et d’audience. Les réseaux sociaux deviennent la principale source d’information. Les influenceurs remplacent les journalistes. Les algorithmes déterminent ce qu’ils voient et lisent… Pour toucher ces consommateurs, Guillaume Théaudière conseille notamment « d’utiliser les réseaux sociaux comme canal principal de communication, de s’associer à des influenceurs qui partagent leurs valeurs, d’adopter un ton décalé, loin des communications corporate traditionnelles ». Réaction chuchotée dans la salle : « le minitel aussi a eu son quart d’heure de produit d’avenir qui s’imposait chez les djeun’s ». Pas facile de comprendre cette génération…
Vicky Bismuth (2e g.), une influenceuse disposant d’une communauté de 18 000 abonnés, et nutritionniste, après avoir rappelé les atouts nutritionnels de la pomme de terre, a pour sa part partagé son expérience sur l’appétence des Millennials pour les recettes sur les réseaux sociaux et leur rapport à l’alimentation. Pour elle, « la pomme de terre est un aliment intemporel qui s’intègre parfaitement dans les tendances modernes grâce à sa polyvalence, sa simplicité et ses qualité nutritionnelles ». Ouf !