L'événement le plus marquant des derniers jours est « le retour d'une prime de risque géopolitique autour de l'Ukraine », estime Sébastien Poncelet, analyste chez Argus Media France.
Mardi, le président russe Vladimir Poutine a affirmé que la Russie allait élargir « sa gamme de frappes contre les navires qui entrent dans les ports ukrainiens », après des attaques par Kiev de deux pétroliers liés à Moscou dans les eaux territoriales turques en mer Noire.
« Nous envisagerons des mesures de rétorsion à l'encontre des navires des pays qui aident l'Ukraine », a déclaré M. Poutine, estimant aussi que « la mesure la plus radicale consisterait à couper l'Ukraine de la mer ».
Les autorités russes accusent l'Ukraine d'avoir visé un troisième navire, battant pavillon russe et chargé d'huile de tournesol, ce que Kiev nie.
Ce « pic de tensions » a « poussé les opérateurs à racheter des céréales », note le cabinet Inter-Courtage.
« Poids du conflit »
Et cette escalade a suffi à faire rebondir le blé à plus de 192 euros la tonne mercredi sur l'échéance la plus proche sur Euronext, effaçant les pertes des derniers jours. Le mouvement a aussi légèrement profité au maïs et au colza.
Le marché réagit toutefois dans des proportions bien moindres qu'il y a deux-trois ans, quand les exportations de Kiev étaient très entravées sur la mer Noire et via le Bosphore.
Mais la situation très difficile de l'Ukraine inquiète et, au-delà de la fièvre des derniers jours, a des répercussions profondes sur le marché des grains.
« Les infrastructures ukrainiennes commencent réellement à souffrir du poids du conflit, que ce soient les voies de transport pour les grains, le manque d'électricité, indispensable pour remplir et vider les silos, les séchoirs, etc... », explique Sébastien Poncelet.
La lenteur de la chaîne logistique, ainsi que les faibles stocks à écouler, entraînent un ralentissement des exportations ukrainiennes. Un ralentissement aggravé par des intempéries qui retardent la moisson du maïs - d'ordinaire achevée fin novembre.
Ce retard de la récolte de maïs en Ukraine, première source d'importation du grain jaune dans l'UE, soutient les prix de la graminée sur le marché européen. Et ce en dépit d'une production mondiale qui s'annonce record en maïs.
L'orge s'envole
Le marché des céréales est aussi bousculé par le prix de l'orge fourragère, qui est aujourd'hui plus chère que le blé.
Une situation rare, liée à la diminution ces dernières années des productions d'orge en Ukraine comme en Russie, alors que cette saison, les besoins sont importants en Turquie après une très mauvaise récolte, explique M. Poncelet.
L'orge française, y compris brassicole, est donc très demandée en Afrique du Nord et Moyen-Orient, en attendant les récoltes de l'hémisphère sud (notamment australienne).
Si la concurrence internationale reste rude pour le blé, la céréale du pain française, dont la production est conséquente cette année, « trouve une béquille avec une demande intra-européenne soutenue » : une demande notamment pour l'alimentation du bétail, du fait des tensions sur l'orge et le maïs, note Sébastien Poncelet.
De l'autre côté de l'Atlantique, les cours sont également orientés à la hausse et les regards, inquiets, toujours tournés vers la Chine.
Après l'annonce d'un « deal » par la Maison Blanche, selon lequel Pékin allait acheter 12 millions de tonnes de soja américain d'ici la fin 2025, les achats se font au compte-goutte.
« Il n'y a pas eu d'achats de soja depuis la semaine dernière et beaucoup de gens commencent à être un peu sceptiques », indique Dewey Strickler, analyste d'Ag Watch Market Advisors, qui estime que « les Chinois ont probablement acheté trois à quatre millions de tonnes de soja », encore loin des 12 millions escomptés.
Rich Nelson, analyste pour la maison de courtage Allendale, s'inquiète du rythme des exportations américaines, qui pourraient à terme être « inférieures aux objectifs » du gouvernement alors que « certains pays sont actuellement moins chers » (à l'exportation) que les Etats-Unis.