Les ONG CCFD-Terre Solidaire et Foodwatch, regrettent l’absence de la question des spéculateurs dans le débat portant sur la hausse des prix alimentaires. Réunies à Paris le 13 juin, deux jours avant la Journée contre la faim, elles fustigent le poids des activités spéculatives sur l’inflation. Les ONG tirent leurs conclusions d’une analyse des données de l’AMF relatives à l’évolution du poids des acteurs financiers sur les cours du blé Matif (Marché à terme international de France) entre janvier 2020 et septembre 2022. Selon cette source, une spéculation excessive a lourdement pesé sur le prix des matières premières agricoles à cette période, en raison des lacunes de régulation des marchés. En outre, le manque de transparence des données sur ces activités compliquerait particulièrement l’identification des acteurs impliqués et les volumes échangés quotidiennement.
🔴 Nouveaux chiffres à l’appui, le @ccfd_tsolidaire et @foodwatchfr montrent que la #spéculation invisible pour le grand public tire bel et bien les ficelles du marché des matières premières agricoles, donc les prix de nos aliments, vers le haut.
— foodwatch France (@foodwatchfr) June 13, 2023
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Les marchés à terme permettent de couvrir les ventes des matières premières à un prix fixé pour une date ultérieure, assurant les agriculteurs contre fluctuations des récoltes saisonnières. Il s’agit donc d’un mécanisme essentiel pour la vente et les achats de biens alimentaires. Les ONG dénoncent en revanche une dérégulation et une financiarisation excessive des matières premières agricoles
Le rôle déterminant des spéculateurs absent des débats
« Nous avons souhaité lever le voile sur le rôle des acteurs sur les marchés de l’échange des biens alimentaires, particulièrement des céréales, et plus spécifiquement sur le blé. On voit bien qu’il y’a un grand absent dans les discussions politiques, sociales et médiatiques, c’est l’activité des spéculateurs qui opèrent sur les marchés financiers », explique Jean-François Dubost chargé du plaidoyer pour le Comité Catholique contre la faim et pour le développement-Terre Solidaire.
L’invasion de l’Ukraine a contribué une hausse record des cours du blé à 440 euros la tonne à la mi-mai et a ravivé le spectre de l’insécurité alimentaire. Néanmoins, en dépit de la baisse des cours du blé, le marché est toujours marqué par une forte volatilité des prix touchant les consommateurs et notamment les pays tributaires des importations. Selon un rapport des experts sur l’alimentation durable IPES-Food, « la portée et l’ampleur de la volatilité actuelle des prix ne peuvent être expliquée que partiellement par les fondamentaux du marché. En effet, il ressort de cette étude que la compensation des déficits en blé de cette année par d’autres pays écarte le risque de pénurie mondiale à l’heure actuelle.
« En juin 2022 dans une analyse conduite par la CCFD-Terre nous avons pu constater que 8 opérations sur 10 étaient effectuées à des buts spéculatives. La conséquence est une extrême volatilité du prix de ces céréales avec un incidence directe sur le prix des biens alimentaires et plus dramatiquement encore sur la capacité de personnes, souvent de pays en développement, totalement dépendants des importations de céréales et notamment du blé voient le prix de l’alimentation flamber « précise Jean François Dubost.
L’importance de la régulation des marchés
En conséquence, CCFD-Terre Solidaire et Foodwatch réclament davantage de transparence pour les échanges effectués sur cette plateforme. Les rapports hebdomadaires fournis par Euronext avec les positions d’achat et de vente de blé, ainsi que les activités de couverture et de spéculation sont encore trop opaques selon les deux ONG. En effet à ce jour, il n’est pas possible d’obtenir les données de la volatilité quotidienne ou d’identifier clairement les clients finaux selon Lorine Azoulai, également chargée du plaidoyer chez CCFD-Terre Solidaire. Par ailleurs la part de la spéculation dans les prix finaux payés par le consommateur est également difficilement quantifiable.
Une meilleure régulation de ce système serait en conséquence possible grâce à un plafonnement des positions et une limitation de l’accès au marché aux acteurs pratiquant une spéculation excessive. L’autre piste évoquée avec Foodwatch repose sur une réforme de la directive européenne MIFID 2 encadrant les activités des marchés financiers. « On parle de milliards de dollars de profit privés au détriment de la sécurité des populations. Il faut mettre des règles du jeu obligatoires au niveau européen », déplore Karine Jacquemart de Foodwatch
Enfin, l’idée de la mise en place de stocks tampons a également été abordée afin de prévenir l’exagération des positions des spéculateurs. « Il y’a une exagération du fait de l’étroitesse des stocks disponibles quand la volatilité est très grande. Il est nécessaire de remettre en place des stocks stratégiques qui permettraient de jouer un effet de dissuasion sur la tentation des opérateurs financiers à spéculer », argumente Pierre Duclos, analyste des marchés céréaliers.
« Cette situation ne convient à personne : ni aux populations qui souffrent de la faim, ni aux industriels ou aux agriculteurs perdus par la volatilité des prix, ni aux traders qui perdent leur capacité d’anticipation », conclut l’ancien trader.