Taxe carbone sur les engrais : « la seule solution, c’est le retrait »

Cédric Benoist secrétaire général adjoint de l'AGPB dénonce les impacts négatifs sur la filière céréalière de la mise en place de la taxe carbone sur les engrais
Cédric Benoist, secrétaire général adjoint de l'AGPB, dénonce les impacts négatifs, sur la filière céréalière, de la mise en place de la taxe carbone sur les engrais (©Adobe Stock/@Cédric Benoist)

Terre-net : À l’issue de la mobilisation des agriculteurs européens, hier à Bruxelles, la Commission européenne a annoncé le report d’un mois de l’accord entre l’UE-et les pays du Mercosur. Est-ce une bonne nouvelle ?

Cédric Benoist : Un mois de plus, en partie grâce au revirement de l’Italie, c’est une bonne chose. Même si on sait que certaines filières seraient plutôt positives à l’accord, les vins et spiritueux, la filière laitière, au Copa nous avons globalement l’unanimité pour dire que cet accord n’est pas possible et que l’on doit le rejeter.

TN : Est-ce que la mise en place de réelles clauses de sauvegarde pourrait infléchir votre position ?

C. B. : Quand on voit que dans le cadre du paquet de sanctions russes, il y avait des clauses de sauvegarde en cas de trop forte augmentation du prix des engrais, et que rien n’est activé alors qu’on a des hausses complètement dingues, moi je n’ai plus aucune confiance en ces choses-là. Même Trump, qui avait mis des taxes sur les engrais, les a enlevées pour faire baisser la pression sur les farmers américains, mais nous, année après année, on nous rajoute des taxes. Comment va-t-on pouvoir produire demain à ce prix-là ? Ce ne sera pas rentable.

TN : La mise en place du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), qui doit entrer en vigueur en janvier 2026, ne va pas arranger les choses…

C. B. : Je pense que le MACF a déjà été intégré dans les prix tels qu’ils sont aujourd’hui, par anticipation, car le marché n’aime pas les incertitudes. C’est d’autant plus problématique que l’on est en retard sur le taux d’approvisionnement du fait des difficultés de trésorerie. Il y a une déconnexion jamais vue dans l’histoire entre le prix des céréales et celui de l’engrais.

Je rappelle que trois facteurs déterminent le prix des engrais : le prix du gaz, qui n’a jamais été aussi bas ; le prix des céréales qui, quand il augmente, fait augmenter le pouvoir d’achat des agriculteurs ; et le déséquilibre entre l’offre et la demande au niveau mondial. En ce moment, on manque d’ammoniac sur le marché, ce qui contribue à un prix des engrais élevé, autour de 400-450 dollars la tonne d’urée aux États-Unis, par exemple.

TN : Pourquoi jugez-vous l’aménagement annoncé par la Commission comme un « enfumage » ?

C. B. : Cette annonce est simplement cosmétique. Car le CBAM (ndlr : acronyme du MCAF en anglais) est obtenu en multipliant la valeur du crédit carbone obligatoire, que l’on ne connaît pas aujourd’hui, par le produit de la quantité importée et l’intensité carbone, auquel on retire les émissions allouées gratuitement et les émissions déjà payées dans un autre pays.

Le calcul de la taxe du MACF
Le calcul de la taxe du MACF (© Terre-net Média)

Sur le sujet de l’intensité carbone : on n’avait pas à ce jour de certificat pour les usines situées en dehors de l’Union européenne, et il a été décidé qu’il y aurait des valeurs par défaut, avec une surcote de 30 %. La réduction annoncée dans la communication de Stéphane Séjourné, qui manifestement ne connaît rien à ce dossier, concerne uniquement cette surcote de 30 % de ces valeurs par défaut. C’est elle qui est réduite à 1 %.

Nous avons réalisé des projections. Avec un prix du carbone à 80/t, d’après la calculette de la DGEC, la solution azotée américaine, qui a représenté cette année 57 % des imports, sera taxée à 92 €/t.

Comme la fin des quotas gratuits se fait graduellement, à l’exercice 2030, on pourrait atteindre une valeur carbone à 140 €/t -c’est ce que nous dit l’Ademe-, et une valeur CBAM de 160 €/t sur la solution azotée. C’est la valeur totale que je payais pour une tonne d’engrais en 2019 !

Sur la masse globale du MACF, les engrais ne représentent que 2 à 3 %. On martèle que la seule solution, c’est le retrait. En tant qu’agriculteur, je ne me vois pas produire avec une CBAM à ce prix-là. Quel est l’avenir demain pour les céréaliers, et même la polyculture ?

TN : Allez-vous-réussir à convaincre les pouvoirs publics ?

C. B. : Je pense qu’on a convaincu l’Élysée, mais au niveau européen, il faut savoir quels Etats peuvent nous suivre. L’Irlande, l’Autriche, l’Italie doivent nous accompagner, mais on n’a pas la majorité pour l’instant. Il faut réussir à faire mettre ce sujet à l’ordre du jour des conseils des ministres de l’agriculture européens.

TN : Y a-t-il d’autres leviers pour améliorer les revenus des céréaliers, qui enchaînent les années difficiles ?

C. B. : Il faut qu’on change de logiciel. On était dans une mondialisation heureuse, mais l’avènement de Trump, Poutine, ou encore ce que fait la Chine, nous oblige à avoir plus de résilience en misant davantage sur le secteur agricole. Au niveau des producteurs, on réfléchit à des filets de sécurité, qui ne seraient pas des prix garantis, pour remettre des garde-fous sur les marchés. On essaye également d’activer la réserve de crise pour les céréaliers.

TN : Et sur les zones intermédiaires ?

C. B. : Nous voulons mieux cibler les soutiens aux zones intermédiaires. Nous sommes l’un des seuls pays en Europe à ne pas activer l’ICHN sur le secteur végétal. Si demain on n’a pas de soutien pour ces zones, ce sera un échec. La Pac doit aussi redonner des lettres de noblesse à la production.

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