La saison n’aura pas été mauvaise, pour les betteraviers adeptes du désherbage mécanique. « Chez nous, c’est propre, il n’y a pas eu d’eau, on n’a pas eu de grosse problématique d’enherbement », se réjouit Sébastien Lemoine, producteur bio à Gouzeaucourt (Nord). Les conditions étaient favorables au moment des semis, au printemps. « Il y avait une bonne humidité dans le sol, on a donc eu des levées rapides », ajoute-t-il. Des levées rapides, c’est ce que recherchent les producteurs, pour remporter la course contre les adventices.
Mais sur de grandes surfaces, sans robot de désherbage ni main-d’œuvre pour le rattrapage, se passer totalement de chimie est-il possible ? Moins d’1 % des producteurs y arrivent, ceux qui sont en bio. Cela suppose six à dix passages d’outils mécaniques ainsi qu’un rattrapage manuel, chronophage et coûteux, pour des rendements inférieurs. Pas rentable, quand on est en conventionnel. Face aux phénomènes de résistance qui apparaissent sur les graminées, réduire les applications de pesticides devient pourtant impérieux. Et puis les traitements chimiques sur dicotylédones, sans hygrométrie, se révèlent inefficaces. « Avec le printemps et le début d’été qu’on a eus cette année, les herbicides n’ont pas forcément super bien fonctionné, la bineuse avait une meilleure efficacité sur le dernier passage », observe Thomas Leborgne, chargé de mission agroéquipement et modes de production à l’Institut technique de la betterave (ITB).
À l’inverse, pour le premier passage, quand la culture n’est pas encore bien en place, épandre un herbicide risque moins de détruire des pieds qu’un passage de bineuse. Alors la solution, c’est sans doute de combiner chimique et mécanique. « La meilleure méthode, c’est de biner les betteraves avant et après le troisième passage », recommande Michael Denizet, agronome référent herbicides à la coopérative Cristal Union, qui rassemble près de 10 000 planteurs. Ajouter du mécanique au chimique améliore l’efficacité. Remplacer le pulvé par la bineuse ou la herse-étrille reste en revanche plus compliqué.
Anticiper, avant l’implantation
Passer au désherbage mécanique en betteraves ne se fait pas en un jour. « Il faut commencer par un décomptage du cerveau, s’amuse Olivier Vianne, producteur bio depuis vingt-cinq ans à Beautheil-Saints (Seine-et-Marne). Il faut y aller progressivement, faire des essais, arrêter de se faire peur. » On peut commencer par intégrer un passage de bineuse sur betteraves à la place du dernier traitement, puis du troisième. Pour éviter de se laisser déborder, la gestion de l’enherbement se raisonne avant l’implantation.
Allonger les rotations permet de réduire les risques. « Des rotations de cinq ans, c’est l’idéal », affirme Michael Denizet. Semer tardivement, autour de la mi-avril, permet d’atteindre le stade de couverture du rang plus rapidement. La culture, en se développant plus vite, se montre davantage résiliente face aux adventices. Attention, toutefois, aux risques de jaunisse de la betterave. Cette année, ceux qui avaient décalé leurs semis semblent y avoir été plus exposés. Dans la pratique, on sème surtout quand on peut, en fonction de la disponibilité du matériel et des conditions météorologiques.

Avant l’implantation, la préparation du sol s’avère primordiale. Elle passe, par exemple, par la réalisation de faux semis, fin février ou début mars, quand les conditions sont réunies. Le faux semis représente « une solution quand même assez efficace, peut-être le levier agronomique le plus accessible », soutient Thomas Leborgne. Sur son exploitation d’Écauville (Eure), Samuel Feugère en est persuadé. « Dans l’idéal, indique-t-il, chez moi, je fais le faux semis vers la fin mars et j’attends ensuite huit jours. On voit des filaments blancs qui apparaissent, des graines qui ont germé, c’est là qu’il faut faire un coup de préparation de sol et semer. » Encore faut-il que les conditions soient réunies. « Cette année, je n’ai pas pu en faire, on a eu un temps humide en début de printemps, travailler les sols était un peu compliqué », se désole Bastien Lombard, producteur à Saint-Memmie (Marne) et convaincu lui aussi des vertus de cette pratique. Ce n’est pas le cas d’Alain Gaudemer, à Auteuil-le-Roi (Yvelines), qui trouve que le faux semis assèche la terre.
« Je fais le faux semis vers la fin mars et j’attends ensuite huit jours. On voit des filaments blancs qui apparaissent, des graines qui ont germé, c’est là qu’il faut faire un coup de préparation de sol et semer. » Samuel Feugère, producteur à Écauville (Eure)
Une bonne préparation de la parcelle, propice au désherbage mécanique, c’est un sol nivelé, bien rappuyé, sans mottes, avec peu de cailloux, peu de dévers. Un terrain argileux ou battant nécessitera plus de technicité et des fenêtres d’intervention réduites. Passer la herse étrille lorsqu’il y a des mottes, c’est courir le risque d’arracher la culture en place.
À Beautheil-Saints, Olivier Vianne ouvre la terre dès que le sol est suffisamment ressuyé. « Je prépare mon sol avec un passage à la herse rotative pour maintenir la structure, ensuite je sème mes betteraves, après les conventionnels, dès que la machine de la Cuma est disponible », explique-t-il. Samuel Feugère, lui, passe un Titan (Bonnel) pour émietter les mottes, huit jours après le faux semis. Cet outil combiné à rouleaux permet de niveler, tasser et émietter la terre. « Avec une préparation fine, on évite toute germination ultérieure », précise-t-il.
« La herse-étrille qu’il faut, c’est une Treffler »
Après l’implantation, la première intervention mécanique peut se faire à la herse étrille à condition que la météo l’autorise. S’il pleut, c’est impossible. Il s’agit de détruire les adventices au stade fil blanc puis cotylédon. « On les secoue, on les expose à la dessiccation, au soleil, pour avoir une efficacité au top », résume Thomas Leborgne, de l’ITB. La herse étrille permet d’avoir un bon débit de chantier et de travailler sur toute la largeur de l’outil, y compris sur le rang. Attention, cependant, à ne pas aller trop profondément. Il faut prendre le temps de bien la régler, l’agressivité des ressorts doit être adaptée au type de sol.
« Si je peux donner un conseil, la herse étrille qu’il faut, c’est une Treffler, la position et la tension des dents sont différentes, c’est celle qui respecte le plus la plante en place, et qui permet de passer plus tôt ». Sébastien Lemoine, producteur bio à Gouzeaucourt (Nord)
Bastien Lombard utilise la herse étrille avant et après le semis. « On a fait ça neuf jours après, à l’aveugle, un passage très léger, c’était une sacrée expérience, témoigne-t-il. On avait peur de tout casser. Et deux jours après, les betteraves avaient levé, comme si ça leur avait mis un coup de fouet. » Avant d’avoir son robot Farmdroïd, Sébastien Lemoine craignait toujours de bousculer ses cultures. La herse étrille, il la passait au stade deux feuilles, tout doucement. « Si je peux donner un conseil à ceux qui veulent s’équiper, annonce-t-il, il n’y a pas photo, la herse-étrille qu’il faut, c’est une Treffler, la position et la tension des dents sont différentes, c’est celle qui respecte le plus la plante en place, et qui permet de passer plus tôt. »
Semer ses betteraves un peu plus profond peut permettre d’éviter de tout saccager. « Il faut vraiment enterrer les betteraves, sinon on les bouge, alerte Étienne Cousin, céréalier aux Grandes-Chapelles (Aube). Moi, ça me fait drôle de passer la herse étrille dans les betteraves, je ne suis pas prêt encore… » Alors comme la quasi-totalité des betteraviers, il sort le pulvé. Et à vrai dire, quand on n’est pas téméraire, « mieux vaut réaliser les deux premiers traitements herbicides pour laisser le temps à la betterave de se développer jusqu’à des stades où il est possible d’utiliser des outils mécaniques sans détruire », recommande Thomas Leborgne.
« Passer souvent la bineuse, ne rien laisser grandir »
C’est alors qu’on peut sortir la bineuse, à partir du stade quatre feuilles, pas avant. Le sol ne doit pas être trop sec, mais plusieurs jours de temps sec sont nécessaires après le passage pour éviter le repiquage des adventices. La bineuse permet de travailler l’inter-rang, entre 2 et 4 cm de profondeur. Le binage doit être « aussi profond que nécessaire et aussi peu profond que possible, à adapter en fonction des types de sols », préconise l’ITB. Il s’agit de scalper, pas de labourer. Contrairement au pulvérisateur, la bineuse intervient en plein après-midi, en plein soleil.
Celle d’Olivier Vianne, une Garford, est équipée de caméras. Il la sort dès qu’elle est capable de reconnaître les feuilles, c’est-à-dire très tôt, dès le stade deux feuilles. « Il faut faire des essais, et dès qu’elle se met à reconnaître, il faut y aller, tout simplement, c’est ce binage-là qu’il ne faut pas rater », raconte le betteravier bio seine-et-marnais. Ensuite, si ça relève, il passe un coup de houe rotative, puis au stade quatre à six feuilles, c’est au tour de la roto-étrille, un outil très agressif. « Avec un très bon réglage et une vitesse de 2 à 3 km/h, on arrive à arracher des talles de vulpin », remarque-t-il. À partir du stade huit feuilles, passer devient impossible « parce que cela casse les racines ».
Samuel Feugère, de son côté, bine « tant que le rang est visible », sur ses parcelles normandes. « Il faut qu’une partie de la terre reste visible, sinon la caméra est perdue », précise-t-il. Chez Sébastien Lemoine, la bineuse est de sortie quand il en a fini avec sa herse-étrille. « Il faut passer souvent, ne jamais laisser les adventices grandir, sinon c’est galère parce que vous avez beau les couper, si le système racinaire est déjà développé, cela va repartir, donc il faut passer la bineuse le plus tôt et le plus souvent possible », prévient-il. S’il y a alternance de soleil et de pluie, il faut y aller tous les huit à dix jours. Le betteravier bio des Hauts-de-France utilise des doigts Kress pour retirer les mauvaises herbes également entre les plants.
Combiner chimique et mécanique
Les agriculteurs en conventionnel qui font un peu de désherbage mécanique conservent leur pulvérisateur pour traiter le rang. « Biner l’inter-rang et mettre de l’herbicide sur le rang avec des rampes de localisation ou des buses, c’est une combinaison intéressante qui permet de réduire fortement l’IFT, jusqu’à 60 % », estime Thomas Leborgne. C’est plus de temps à passer sur son tracteur, mais quelques économies d’herbicide. En Champagne, à Thibie (Marne), voilà quelques années que l’ancien président de Cristal Union, Daniel Collard, pratique cette méthode. Il a fabriqué une rampe lui-même et pulvérise sur 20 cm.
« Je fais deux traitements localisés puis un binage, puis un traitement localisé au stade 10-12 feuilles et un deuxième binage dans la foulée. Théoriquement, si ce n’est pas trop sale, le désherbage est alors terminé », explique-t-il. Il termine par un buttage avec sa bineuse, huit à dix jours après. Cette pratique lui permet de réduire globalement de 50 % les doses d’herbicide. « On a plutôt moins d’herbe que les autres, parce que cela fait vingt ou trente ans que l’on entretient bien nos parcelles », se félicite l’agriculteur aujourd’hui retraité, qui accompagne sa fille. Les rendements ont aussi de quoi faire des envieux, à l’en croire, « entre 95 et 100 t en moyenne, 115 l’an dernier ».

Dans ses terres de Champagne, Étienne Cousin s’adapte selon les années. En général, il procède à un premier passage au moment du semis, avec un herbicide racinaire (Quinmerac) sur le rang à un tiers de dose. Ensuite, il sort le pulvérisateur. « Je fais mes deux premiers passages avec mon Horsh 38 m en localisé, avec seulement 60 % de la dose, développe le céréalier. Et je me suis rendu compte que quand il pleut 30 ou 40 mm, le fait de ne mettre que 60 % de la dose réduit les problèmes de phytotoxicité sur mes betteraves. »
Après ces deux passages, au stade quatre à six feuilles, en mai, il fait un binage, ce qui n’empêche pas un nouveau tour de pulvé dix jours plus tard, au stade huit à dix feuilles. « Il faut systématiquement retraiter, insiste-t-il. Puis, tant que ça lève, on traite, et si ce n’est pas propre sur l’inter-rang, entre le quatrième et le cinquième passage, je remets un coup de bineuse. Plus on avance dans le temps, plus le passage de la bineuse est rapide. À la fin, on avance à 7-8 km/h. »
Un rattrapage souvent coûteux
Avec de la chimie, pas besoin de rattrapage, normalement. En tout mécanique, c’est autre chose. Pour éviter d’être débordé par les chénopodes, la betterave doit à tout prix couvrir rapidement, dès la mi-juin. Mais on ne contrôle pas la météo. Le désherbage manuel demeure coûteux, il ne peut être pratiqué qu’en bio et sur des surfaces raisonnables. Olivier Vianne refuse d’y faire appel, il passe l’écimeuse à pneus. « C’est très efficace si le sol est suffisamment humide, détaille-t-il, cela permet de rattraper quelques erreurs, mais les chénopodes doivent être suffisamment ligneux, sinon ça casse. »
Le problème, c’est que la plante produit de la lignine une fois qu’elle a produit ses graines. Un peu tard, donc. Intervenir jusqu’au stade vert laiteux est préférable, avant formation et maturité des graines. Sinon, celles des chénopodes peuvent ensuite réinfester la parcelle. Le passage de l’écimeuse s’avère par ailleurs coûteux, autour de 150 € de l’heure, pour un débit de chantier n’excédant pas toujours 1 ha/h. Il y a aussi l’écimeuse récupératrice ou récolteuse, qui permet, elle, d’intervenir à des stades plus avancés des adventices, après la montée en graines, et d’évacuer le stock semencier de la parcelle. Elle ne permet évidemment pas de sauver la culture en place…
Pas facile, donc, de ranger le pulvé dans le hangar. « Le désherbage mécanique reste compliqué, le binage c’est une aide mais ça ne fait pas tout et il faut avoir de bonnes conditions météo », souffle Samuel Feugère. Mais « plus ça va, plus on augmente les doses et plus on a de mauvaises herbes, on finit par se trouver dans une impasse », se désespère le céréalier d’Écauville, qui exploite 200 ha en conventionnel et une centaine en bio, sur ses terres normandes.