« Les à-coups climatiques, c’est vraiment ce qui nous fait peur », explique Martin Gosse de Gorre, en juin dernier alors que les Hauts-de-France viennent de subir un des printemps les plus secs de leur histoire.
Installé avec son père depuis 2016 à Ostreville dans le Pas-de-Calais sur 170 ha, le jeune trentenaire a le souci permanent de rendre son exploitation la plus résiliente possible face au changement climatique.
Dès 2018, il décide de convertir progressivement une partie de ses surfaces en bio. « Une décision pas facile à accepter pour mon père, il a été habitué à aller chercher le dernier quintal, alors que moi, je voulais produire avec moins », explique Martin.
C’est par tranche de 13 ha chaque année qu’il se lance dans cette conversion, jusqu’en 2022. « Si le marché s’était mieux porté, on aurait converti plus… Et on espère surtout ne pas avoir besoin d’arrêter », espère-t-il.
Non-labour et diversification des couverts
Triticale, pois, maïs, pomme de terre, chanvre, racines d’endives, moutarde, luzerne composent l’assolement de sa partie bio cette année. « Se diversifier, c’est aussi se sécuriser en cas de problèmes climatiques », ajoute Martin, qui a aussi testé ces dernières années des cultures venues du sud comme le tournesol en lien avec le Geda du Ternois. Il consacre chaque année 6 ha à ces tests de nouvelles cultures.
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« Le point négatif en bio, c’est le labour, concède-t-il. J’essaie, dans chaque parcelle bio, de laisser 6 m en non-labour pour comparer. Sur la partie conventionnelle, je suis en 100 % non-labour depuis 2020. J’ai des sols essentiellement de limons profonds mais battants donc mon objectif est d’augmenter mon taux de matière organique, de 2,2 % actuellement à 3 %. »
Pour cela, en plus du non-labour, il a diversifié ses couverts. D’un couvert composé exclusivement de moutarde, il est passé à une dizaine d’espèces. Le couvert est détruit par un rouleau hacheur ou par des moutons, puisqu’il a noué un partenariat avec un éleveur ovin. L’exploitation travaille également avec la communauté de communes pour récupérer les déchets verts, faire du compost et l’épandre sur ses champs.
7 km de haies et 4 ha d’agroforesterie
Pour lutter contre l’érosion et favoriser la biodiversité, Martin Gosse de Gorre plante chaque année de nouvelles haies. Il en comptabilise désormais 7 km sur son exploitation. Il a aussi implanté des bandes de miscanthus en 2018 pour limiter le ruissellement de l’eau.
Il y a deux ans, il a voulu se lancer dans un projet d’agroforesterie intraparcellaire avec toujours en tête l’objectif d’être plus résilient face au changement climatique, mais aussi pour se dégager un revenu supplémentaire.
Accompagné par Arnaud Deltour, technicien à la chambre d’agriculture, il a monté un projet financé par l’ONG Earthworm, en partenariat avec Nestlé. « L’achat, la plantation et l’entretien les trois premières années sont financés à 100 % », se réjouit l’agriculteur, qui estime le coût total du projet de plantation à 80 000 euros. « Si on n’avait pas eu de financement, on n’aurait pas été aussi vite et aussi fort dès le début. »
« On a planté des bandes d’arbres tous les 72 m. Cela représente 4 ha d’agroforesterie au total. On touche 60 ha de l’exploitation en 3 parcelles. On a choisi des arbres fruitiers, du bois plaquette, du bois d’œuvre et du bois pour la biodiversité. » Le bois plaquette sert à alimenter la chaudière de la maison et de l’exploitation et il espère à terme pouvoir monter une filière avec son Geda pour commercialiser le surplus.
« Avec ce projet, j’espère pouvoir créer un microclimat dans la parcelle pour éviter les à-coups climatiques et aussi j’ai à cœur de communiquer auprès des autres agriculteurs sur les bienfaits de l’agroforesterie. »
« Travailler en collectif, c'est ce qui m'anime »
Être résilient face au changement climatique, c’est aussi optimiser son matériel pour la SCEA de Forestel. Dans ce domaine, le père de Martin avait, dès les années 2000, acheté du matériel en commun avec un autre agriculteur. Son fils a accentué ce travail en collectif puisqu’il est en Cuma intégrale avec 5 autres agriculteurs sur 90 % de son matériel. « Il me reste en propriété le pulvé, le télescopique et des bennes », énumère-t-il. « L’objectif, c’est de lisser le coût de mécanisation voire de le diminuer, d’avoir du matériel récent et performant et surtout de bénéficier de l’entraide. »
« Travailler en collectif c’est ce qui m’anime et qui m’aide à avancer », confie Martin. L’exploitation est d’ailleurs certifiée ISO 14001. Une démarche collective entreprise en 2006 par son père qu’il a depuis poursuivie.
Cette certification est portée par l’association Terr’avenir, dont il est le président, qui regroupe 34 structures agricoles du Nord-Pas de Calais engagées dans la mise en place d’un système de management environnemental collectif. « Nous travaillons sur la stratégie d’entreprise. Nous regardons quels sont les risques au niveau environnement, social et sécurité pour nos salariés et nous apportons des solutions. C’est de l’amélioration en continu. Par exemple, j’ai mis en place une station de remplissage pour mon pulvé et cette année, je dois installer un débourbeur déshuileur pour nettoyer mes machines afin que l’eau ressorte plus propre dans l’environnement », illustre-t-il.
Dans le cadre de cette certification ISO 14001, un audit interne est effectué annuellement, et un audit externe tous les 3 ou 4 ans. Cette certification est collective : si l’un des adhérents la perd, c’est tout le groupe qui est impacté. « C’est un beau challenge ! », s’enthousiasme Martin. Depuis 2023, l’exploitation est aussi certifiée HVE, toujours en collectif.
L’avenir pour lui, c’est dans un premier temps l’installation de sa femme, Hélène, qui reprend les parts de son père. « Nous allons devoir apprendre à travailler en couple. C’est aussi le développement de l’agroforesterie et de sa valorisation, et un projet photovoltaïque si le prix de rachat reste intéressant. Et surtout aller plus loin dans l’agriculture de conservation des sols, jusqu’au semis direct, et au strip-till. Je teste d'ailleurs actuellement le strip-till en betteraves. »
Les projets ne manquent donc pas à la SCEA de Forestel, avec toujours en ligne de mire la résilience et la pérennité de l’exploitation face au changement climatique.