« La revitalisation des sols, c’est le fait de restaurer des fonctions qui ont été affaiblies voire anéanties par nos pratiques culturales : la transformation efficace des matières organiques (MO) fraîches en humus, et par conséquent, la nutrition de la plante, mais aussi tout un tas de fonctions ignorées », explique Francis Bucaille, agriculteur dans la Nièvre et co-fondateur de Gaïago. Spécialisée dans ce domaine depuis 2014, l'entreprise bretonne souhaite accompagner les agriculteurs dans la transition agroécologique.
« Pour aller plus vite, il faut financer cette transition »
C'est notamment dans cette optique que Gaïago met en avant son prébiotique Nutrigéo, qui « améliore la structure et la fertilité des sols en moins de six mois ». Parmi les bénéfices agronomiques observés : « une décomposition des résidus de culture accélérée, un taux de MO augmentée et de meilleure qualité (humus stable), une amélioration de la porosité du sol, une meilleure gestion des réserves en eau... ». « En revitalisant les sols agricoles, c’est-à-dire en leur redonnant de la vie et en augmentant la MO naturellement présente, ils sont plus fertiles et stockent massivement et durablement du carbone. »
Or « il existe aujourd’hui un véritable enjeu sur le stockage du carbone, en tant que levier dans la lutte contre le dérèglement climatique. Pour aller plus vite dans ce sens, il faut "financer" cette transition », estime Charles Vaury, co-fondateur et directeur de la transition de Gaïago. De là, est née l'idée du projet Gaïago carbone : « les agriculteurs volontaires se lancent pour cinq ans dans ce programme de revitalisation et sont rémunérés en fonction du carbone stocké », précise Vanessa Lefebvre, cheffe de l'initiative carbone.
Comment ça marche ?
Plus d'une centaine d’agriculteurs sont déjà inscrits dans la démarche en France, en Belgique et en Allemagne. Parmi eux, Julien Mahieu, qui a repris l'exploitation de son grand-père à Achiet-le-Grand (Pas-de-Calais). Déjà sensible à ces questions, il souhaite « avant tout améliorer la vie des sols et ne plus voir de zones compactées dans ses champs ». Concrètement, avec ce programme, l'agriculteur s'engage à appliquer du Nutrigeo une fois/an pendant cinq ans : 25 l/ha pour les cultures annuelles et les prairies ou 40 l/ha pour les cultures spécialisées (vigne, arboriculture, maraîchage et pommes de terre). En grandes cultures, cela représente un coût d'environ 100 €/ha/an.
Si Julien Mahieu a choisi de le faire au printemps, l'application est également possible en fin d'été/automne. Les conditions préconisées par Gaïago : une température minimum du sol de 6°C et un sol humide. Pour mesurer la quantité de carbone stockée, une analyse de sol est réalisée au lancement du programme, puis à trois et cinq ans, par Aurea, laboratoire d’analyse et de conseil agro-environnemental selon le protocole FAO.
L'agriculteur du Pas-de-Calais a entendu parler de cette initiative par sa coopérative, Unéal. Gaïago s'appuie, en effet, sur un réseau de 90 distributeurs agricoles partenaires pour faire connaître la démarche sur le terrain. « Unéal a déjà déployé Nutrigeo sur 1 000 ha, chez environ 60 adhérents la campagne dernière, note Jean-Jacques Dubois, directeur pour la région Artois. Nous avons observé des changements importants sur des terres "malmenées" : une meilleure décomposition des résidus et une porosité des sols améliorée ». Pour lui, « ce sont l'agronomie et la génétique qui vont sauver l'agriculture ».
Une opportunité pour 50 % de la SAU française
Cela s'adresse avant tout « aux sols dégradés », Gaïago a précisé des critères d'éligibilité spécifiques pour les parcelles :
- « sol compacté/hydromorphe » ;
- « taux de MO bas (< 2,5 %) » ;
- « pas de prairies permanentes » ;
- « pH supérieur à 6 » ;
- « pas d’autres programmes carbone » ;
- « pas d’utilisation de Nutrigeo antérieure » ;
- « pour les grandes cultures : 20 ha min ».
D'après Olivier Antonin, directeur commercial et lui aussi agriculteur, cela concerne « environ 50 % de la SAU française ». Dans ces conditions et en association avec des pratiques agricoles régénératrices, l'entreprise met alors en avant une séquestration possible de 3 t de CO2 eq supplémentaire/ha/an en moyenne (mesures prises sur le terrain depuis quatre ans). 1 t CO2 eq stockée correspond à 1 crédit carbone certifié par le label international Gold Standard.
Pour Julien Mahieu, Gaïago carbone est « un beau projet et une opportunité de valoriser les services rendus par l'agriculture ». Il se documente depuis quelques temps sur les crédits carbone, mais ne voulait pas « modifier toutes ses pratiques culturales ». L'agriculteur cultive du blé tendre et de l'escourgeon en multiplication de semences, des betteraves sucrières, des pommes de terre et d'autres légumes de plein champ : épinards, haricots, choux-fleurs, brocolis, carottes. Il croit en ce programme et a décidé d'engager l'ensemble de son exploitation. À côté, c'est une démarche globale entreprise depuis plusieurs années : le producteur a souhaité arrêter les apports de fumier, car il « ne sait pas vraiment quand ça minéralise » et s'est tourné plutôt vers des composts de déchets verts. Il réfléchit aussi à la gestion des résidus de culture et opte pour des mélanges double espèce en ce qui concerne les couverts végétaux, etc.
« Revaloriser l'image de l'agriculture
Pour commercialiser les crédits carbone générés par le programme, Gaïago a créé une entreprise à mission dédiée : « 100 % des bénéfices seront reversés aux agriculteurs engagés ». L'entreprise assure une rémunération de 30 € minimum/crédit carbone certifié. « Ils seront mis en vente sur le marché volontaire par deux partenaires revendeurs : South Pole et Terra Terre », indique Vanessa Lefebvre.
« En 2020, seul 1 % des crédits carbone achetés par des entreprises françaises sont générés en France. C'est de ce constat qu'est partie l'aventure Terra Terre, pour apporter plus de sens à ces démarches et revaloriser l'image de l'agriculture, explique son fondateur, Mathieu Toulemonde. Les entreprises qui achètent des crédits carbone via Terra Terre doivent répondre à deux critères : travailler à moins de 100 km de l'exploitation concernée et s'engager dans un bilan carbone. Il y a énormément de pédagogie à faire : on organise, par exemple, des visites d'exploitation avec les entreprises pour que cette démarche soit plus concrète, plus terre-à-terre, d'où le nom de l'entreprise ».
« Ce qui m’a parlé avec Gaïago carbone, c'est l'approche agronomique, on va d’abord parler de régénération des sols. De plus, les données agronomiques sont partagées via une plateforme connectée pour plus de simplicité. » Les distributeurs agricoles ont également accès à cette plateforme, conçue en lien avec FarmLeap, pour « suivre les dossiers, les performances de stockage et animer des questions avec leur communauté d’agriculteurs ».