« Lorsque nous avons imaginé ce sujet, il y a un an et demi, nous avions en tête le manque d’eau, explique Alexis Portheault, président de l’Afcome, vice-président de la coopérative Natup et agriculteur dans l’Eure. Mais depuis, la question du surplus d’eau est, elle aussi, devenue pertinente, même si les modèles semblent montrer qu’elle sera moins fréquente. »
Du 6 au 8 novembre, à Lille, se sont réunis les responsables et directeurs d’approvisionnement, chefs marchés, directeurs commerciaux et acheteurs nutrition végétale des coopératives, négoces, unions d’approvisionnements et industries de la fertilisation. Au programme des discussions, cette année, les ressources en eau, leur importance stratégique, les aléas climatiques et les bonnes pratiques pour une fertilisation efficiente et peu polluante.
Produire plus en utilisant moins d’eau
« Il n’est pas possible de se passer d’eau en agriculture, rappelle Joan Girona, chercheur au programme agricole sur l’utilisation rationnelle de l’eau, de l’Institute of Agrifood Research and Technology (Irta, Espagne). Mais produire plus de nourriture en utilisant moins d’eau, c’est notre objectif. »
Le centre de recherches s’est appuyé sur les données publiées par la FAO : « Il est indiqué que 70 l d’eau sont nécessaires pour faire pousser une pomme. Nous avons reproduit l’expérience en conventionnel et sommes arrivés à un résultat proche, à 69 l, dont 55 dédiés à l’irrigation, détaille le chercheur. Puis nous avons activé plusieurs leviers pour réduire notre usage de l’eau, et nous sommes parvenus à un besoin de 31 l, dont seulement 17 l dédiés à l’irrigation, pour produire une pomme. »
Alors que l’Espagne mise beaucoup sur l’utilisation de goutte-à-goutte pour l’irrigation, le chercheur a pointé les bénéfices limités de cette technologie. « Son utilisation nous a permis de passer de 69 l à 63 l. Ce qui a fait la différence, ce sont des connaissances plus fines sur le fonctionnement de l’évapotranspiration, des technologies comme les capteurs d’humidité, les stations météo, et la capacité à stimuler un stress chez la plante. »
Stimuler le stress hydrique ou améliorer l’absorption de l’azote
Stresser la plante, pour obtenir de meilleurs rendements ou une résistance renforcée, est aussi la stratégie mise en œuvre par Elicit Plant, acteur majeur des biostimulants en France. La firme, fondée en Charente par un agriculteur, utilise les phytostérols pour modifier la perméabilité membranaire d’une plante, et améliorer sa capacité à retenir l’eau. Une réaction qui, dans la nature, intervient en cas de stress hydrique, mais qui, provoquée en amont d’un déficit hydrique, augmenterait la résistance des cultures.
Pour permettre à la plante d’atteindre son plein potentiel, et notamment d’absorber le maximum d’azote, BASF travaille de son côté sur les stabilisateurs d’azote. « Le souci c’est que 50 % seulement de l’azote atteint la plante, et le reste pollue les sols et les eaux », note Maarten Staal, de BASF. Les stabilisateurs d’azote s’attaquent aux enzymes et bactéries du sol qui contribuent à la formation des nitrates.
L’adoption de ces technologies est encore très faible, de l’ordre de 10 % à l’échelle mondiale, et avec une utilisation majoritaire aux États-Unis. Pourtant, d’après Maarten Staal, elles permettraient une hausse de rendement de 5 %, ce qui couvrirait leur propre coût.
Le pilotage des ressources en eau, bientôt lancé par be Api
Pour limiter les fuites d’azote et déplafonner les rendements, en adaptant l’épandage de nutriments aux besoins de la plante, l’agriculture de précision apparaît comme un outil efficace. Olivier Descroizette, directeur général de be Api, a présenté aux adhérents de l’Afcome cette pratique qui consiste à analyser des données terrain et à les associer à des technologies de pointe.
D’après le DG de be Api, le taux d’usage de l’agriculture de précision est compris entre 20 et 25 % en Europe, contre 50 à 60 % aux États-Unis, et 30 à 40 % en Australie, où elle est principalement axée sur l’irrigation. « Nous estimons que d’ici la campagne 2026/2027, les taux d’usage pourraient passer à 35-40 % en France » ajoute-t-il.
be Api est déployé chez 2 000 exploitants appartenant à 30 coopératives. 350 000 ha sont couverts, mais seuls 50 000 ha sont traités chaque année. L’objectif de be Api est de passer à 150 000 ha annuels d’ici 2030. Pour ce faire, l’entreprise développe de nouveaux outils, et notamment une offre sur l’eau, qui s’appuie sur les données des réserves utiles. Testée sur une centaine d’ha par des partenaires de be Api, elle pourrait être disponible pour les agriculteurs d’ici deux ans.
Les coopératives, déjà actives sur le sujet de l’eau
Ce focus sur l’eau a été globalement bien accueilli par les participants aux rencontres de l’Afcome. « Cela permet de confronter nos connaissances, et de découvrir de bonnes pratiques, estime Sébastien Pirart, responsable service vente appro pour Natup. Au sein de notre coopérative, nous menons déjà des actions en faveur de l’eau, en partenariat avec les agences de l’eau et les collectivités. Nous mettons en place des diagnostics, des expérimentations auprès de nos adhérents. »
Couverture des sols nus, pilotage et formations sont monnaie courante pour les agriculteurs. Seule limite : les bonnes pratiques liées à l’utilisation des produits phytosanitaires. « La séparation du conseil et de la vente est un frein pour poursuivre nos efforts dans ce domaine », regrette Sébastien Pirart.