Terre-net (TN) : Qu'apportent, selon vous, ces témoignages à nos lecteurs ?
Christophe Dequidt (CD) : Parce qu'ils ont vécu une ou plusieurs des situations relatées, tous les lecteurs se retrouvent dans ces témoignages, les jeunes comme ceux qui le sont moins. À l'image du livre dont ils sont issus, ils s'avèrent pragmatiques et donnent des pistes de réflexion concrètes pour leur propre exploitation ou projet, pas des solutions toutes faites. Il s'agit d'un partage d'expériences, à partir de faits qui se sont réellement passés sur le terrain, et non de conseils théoriques !
TN : Quels sont les principaux points communs et différences entre ces 24 jeunes agriculteurs ?
CD : Leur point commun est leur capacité à écouter et s'adapter aux enjeux de plus en plus nombreux auxquels la société, notamment, leur demande de répondre. Tous ont conscience qu'ils ne peuvent plus exercer leur profession comme leurs grands-parents et leurs parents, mais ils abordent ce changement de paradigme de manière différente, leurs idées et leurs initiatives pour les concrétiser étant pour le moins diversifiées. En même temps, celles-ci se révèlent très complémentaires et cohérentes sans doute parce qu'elles sont animées par une même volonté : croire en l'agriculture et dans le métier d'agriculteur, et montrer qu'il est encore possible d'en vivre.
« Ces jeunes s'épanouissent dans leur métier »
TN : Pourquoi est-ce si important de relayer les motivations et les aspirations de cette nouvelle génération de producteurs ?
CD : Je n'aime pas tellement ce mot mais les agriculteurs sont de plus en plus souvent victimes d'agribashing. Parallèlement, ils entendent parler de manifs, de crises dans toutes les productions, de contraintes réglementaires qui s'accumulent, de concurrence déloyale, de suicides... Comment, avec de tels messages, donner envie à des jeunes de reprendre une ferme ? C'est pourquoi j'ai écrit le "Le tour de France des jeunes talents de l'agriculture", puis accepter de mettre en avant plusieurs de ces jeunes agriculteurs sur Terre-net/Web-agri. Je souhaitais communiquer de façon plus positive sur l'agriculture et prouver que des jeunes producteurs, motivés et innovants, y arrivent et s'épanouissent dans leur métier.
TN : Vous mettez en exergue, à chaque fois, pour nos lecteurs les éléments essentiels à retenir de chaque expérience. Lesquels ressortent le plus fréquemment ?
CD : J'en vois trois principalement. Les deux premiers sont intimement liés : l'importance de consolider financièrement l'exploitation et de se diversifier pour aller chercher d'autres sources de valeur ajoutée. Aujourd'hui, les agriculteurs ne peuvent plus être seulement des producteurs. Pas plus qu'ils ne peuvent faire abstraction des demandes sociétales, le troisième facteur déterminant selon moi actuellement pour les exploitants agricoles.
« Être persuadés qu'ils vont réussir »
TN : Quels conseils donneriez-vous à nos lecteurs jeunes agriculteurs ou qui ont un projet d'installation ?
CD : De ne surtout pas tomber dans le pessimisme ambiant. Les jeunes agriculteurs doivent être des gagneurs, être persuadés qu'ils vont réussir car beaucoup leur répètent le contraire ! Ils doivent également agir comme des chefs d'entreprise. C'est fini le temps où on était exploitant agricole de père en fils : il faut construire son propre projet, pas continuer celui de papa, ce qui ouvre le champ des possibles aux personnes non issus du milieu agricole et aux femmes également. En effet, le métier se féminise et attire de plus en plus de néo-ruraux. Et parce que les agriculteurs sont des chefs d'entreprise, leur formation doit être solide et aussi large que possible. De même, travailler ailleurs avant de s'installer, en France ou à l'étranger, ne peut qu'être bénéfique. Mieux vaut enfin savoir bien s'entourer, au niveau professionnel comme familial.
TN : Après ce "tour de France des jeunes talent de l'agriculture", allez-vous sillonner l'Europe pour voir si les préoccupations et difficultés des jeunes agriculteurs sont similaires partout ?
CD : Avant ce livre, j'en ai réalisé un autre, Le tour du monde des moissons, pour expliquer comment est pratiquée l'agriculture ailleurs sur la planète. On réalise alors que l'herbe est souvent plus verte en France. Or, avec la mondialisation, il est crucial de le rappeler. Il ne manquait plus qu'un troisième ouvrage, centré sur l'Europe et la politique agricole commune, pour constituer une sorte de triptyque. Pour l'instant, le travail est encore en cours mais j'ai déjà visité plusieurs pays, rencontré des jeunes agriculteurs et la plupart m'ont parlé de difficultés liées à la transmission, du foncier, du capital, du matériel, du savoir. J'ai découvert plusieurs dispositifs d'accompagnement intéressant, mis en place chez nos voisins, comme les prêts in fine, qui permettent de rembourser tous les intérêts en fin de carrière, ou le cautionnement par les industries de transformation. Partout enfin, les jeunes producteurs doivent être performants, innover et créer de la valeur ajoutée, leurs seules productions ne permettant pas de dégager un revenu suffisant. Et tous sont confrontés à l'agribashing. En Suède, au Danemark et en Irlande cependant, les exploitants agricoles sont parvenus à limiter ses effets en impliquant l'ensemble de la filière et les consommateurs.