Irrigation
Mise en place des OUGC : une véritable avancée pour les irrigants ?

L'OUGC gère la répartition d'un volume global d'eau entre tous les préleveurs. (©Pixabay)
L'OUGC gère la répartition d'un volume global d'eau entre tous les préleveurs. (©Pixabay)

L’eau est un bien commun dont le partage s’avère de plus en plus complexe. Pour y répondre, des outils juridiques ne cessent d’être proposés, tendant à se superposer. Parmi le bouquet de lois régissant les volumes utilisables en agriculture, celle sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) a instauré en 2006 le principe des organismes uniques de gestion collective (OUGC) et des autorisations uniques de prélèvements (AUP). Une cinquantaine d’OUGC existent désormais en France, en particulier sur les zones de répartition des eaux où le déséquilibre entre la ressource et les besoins est important.

Un atout pour les irrigants

Hervé Moynier est chargé de l'OUGC du Buëch à la chambre d’agriculture des Hautes-Alpes. À ses yeux, la mise en place de l’organisme unique « a permis de faire d'une contrainte un atout ». S’il est bien question de limiter les prélèvements pour l’agriculture, l’OUGC « a amené des perspectives et a permis d'aller plus loin dans une approche collective de la gestion de l'eau ». La durée conséquente de l’AUP peut notamment faciliter des investissements sur le long terme et le regroupement des irrigants favorise des projets communs en hydraulique ainsi que la mutualisation des moyens financiers.

Chargée de mission Eau pour les chambres d’agriculture du bassin Adour-Garonne, Claire Vingut met en avant un autre bénéfice : dans le cadre des demandes d’AUP, les études menées par les OUGC apportent de précieuses connaissances sur les points de prélèvements (localisation, utilisation…). « Ce sont des éléments que les DDT n’avaient pas de façon aussi fine et dont nous disposons aujourd’hui non plus à l’échelle des départements mais à celle des bassins versants » explique-t-elle.

Sébastien Schaeffer, président du syndicat et OUGC Cogest’Eau (Charente), évoque également l’intérêt de ces données dans les débats : « Nous avions la connaissance du terrain, mais pas d’études qui confirmaient nos demandes et notre fonctionnement. Aujourd’hui, ça a changé. » Hervé Moynier note lui aussi des « discussions plus apaisées », les règles de gestion de crise « s’appuyant dorénavant sur des réalités hydrologiques plus que sur des indicateurs. »

Des études lourdes et couteuses

L’apport de connaissances a néanmoins un coût : les études d’impact nécessaires au dossier d’AUP peuvent dépasser les 400 K euros. Financées au départ à hauteur de 70 % par les agences de l’eau, elles le sont généralement aujourd’hui à 50 %. Le reste est à la charge des irrigants. « Nous insistons sur le fait que le pétitionnaire doit continuer à avoir les capacités de demander ces autorisations, alerte Claire Vingut. Il faut s’interroger sur la faisabilité des évaluations pouvant être demandées. » Elle n’est pas la seule à soulever ce point de vigilance : « Il nous ait demandé une étude d'impact qui soit aussi complète que pour la création d'un parking de 1 000 m2… et ce sur un territoire qui représente le tiers du département de la Charente ! » déplore Sébastien Schaeffer.

« Non seulement les études sont très coûteuses, mais nous savons qu'il y aura une bataille à mener pour conserver nos volumes prélevables », s’inquiète pour sa part Yohan Delage, président de l’association du Grand Karst de la Rochefoucauld (Charente). En 2031, l’OUGC devra en effet faire renouveler son AUP en prenant en compte de nouveaux débits d’objectifs et de crise peu favorables à l’irrigation. Tout du moins, si l’AUP court jusque-là…

un canal d’irrigation gravitaire en montagne
 (©Chambre d'agriculture 05)

Des AUP juridiquement fragiles

Plusieurs AUP ont été annulées en raison de volumes prélevables jugés incompatibles avec la bonne gestion des milieux aquatiques. C’est ce qui est arrivé à l’établissement public du Marais Poitevin, ou encore à la coopérative Cogest’Eau. « Nos opposants n’arrivent pas à comprendre que sur notre territoire nous irriguons généralement à hauteur de 50 ou 60 % des volumes autorisés, du fait d’une gestion plus restrictive que ne le prévoit la loi » regrette Sébastien Schaeffer. Il rappelle, par ailleurs que les OUGC ne travaillent pas en vase clos : en période d’étiage, Cogest’Eau se réunit chaque mardi avec d'autres acteurs de l'eau, tels la DDT, la fédération de pêche, l'Office français de la biodiversité ou encore le gestionnaire de l'eau potable. Sont alors discutés les volumes pouvant réellement être prélevés pour l'agriculture, et ce « bassin par bassin, en comparant ce dont nous avons besoin et l'état des milieux » précise-t-il.

Si des associations environnementales peuvent attaquer des AUP, les irrigants sont également en mesure de les contester comme de les défendre. Il y a deux ans, l'OUGC Irrigadour a ainsi fait appel d'une décision du tribunal administratif de Pau qui avait annulé l'AUP et fixé des volumes intérieurs. Les irrigants ont pu ainsi obtenir un sursis pour la campagne 2021.

Une gestion de l’eau… ou de son absence ?

En période estivale, les AUP sont bousculées - cette fois de façon temporaire - par les arrêtés sécheresses. Ces derniers peuvent restreindre voire annuler les volumes autorisés, donnant lieu à de nombreux contentieux. Maître Laurent Verdier, avocat au barreau de Paris, dépeignait ainsi lors du 37e congrès de l’AFDR une gestion de l’eau laissant de plus en plus place à celle de la sécheresse. « La question n’est peut-être plus de savoir quels volumes doivent être autorisés pour l’irrigation mais quels volumes pourront effectivement être utilisés. Et ce sont les arrêtés sécheresse qui, dans les faits, le détermineront », souligne-t-il.

L’avocat pointait par ailleurs le fait que des arrêtés sécheresses en 2022 ont conféré à des OUGC des missions de police de l’eau : elles devaient collecter les volumes effectivement prélevés et les transmettre à la préfecture en cas de dépassement. Cette pression de l’administration sur les OUGC ne manque pas d’inquiéter et d’interroger sur leur évolution future. Les OUGC, ces « objets juridiques non identifiés » comme les a appelés le Conseil d’Etat, semblent devoir encore trouver leur place dans le ciel mouvementé du droit français.

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