Génétique
Comment le maïs est-il devenu une plante star ?

En une trentaine d'années, les rendements ont augmenté en moyenne de 1 à 1,4 q/ha/an en maïs grain et de 0,13 à 0,18 t/ha/an en maïs fourrage en environnement constant. (©Pixabay)
En une trentaine d'années, les rendements ont augmenté en moyenne de 1 à 1,4 q/ha/an en maïs grain et de 0,13 à 0,18 t/ha/an en maïs fourrage en environnement constant. (©Pixabay)

En 2021, sur ses parcelles non irriguées de Castaignos-Souslens (Landes), Daniel Peyraube a « dépassé les 120- 125 q/ha ». Rien à voir avec ce que faisait son père. « Quand il atteignait les 85-90 q/ha, c’était déjà le bout du monde ! Il n’a jamais fait 100 q/ha ! » assure le président de l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM). La génétique y est pour beaucoup. La hausse des rendements est d’ailleurs le principal objectif des sélectionneurs. Alors que la progression du rendement national tend à se tasser depuis les années 2000, le progrès génétique sur ce caractère reste soutenu, avec des pentes de 1 à 1,4 q/ha/an en maïs grain et 0,13 à 0,18 t/ha/an en maïs fourrage, selon une étude conduite par Arvalis-Institut du végétal.

Pour améliorer le potentiel de rendement, les semenciers ont mis au point des variétés permettant d’augmenter la densité de culture. « Ce fut un grand pas de franchi après l’hybridation, observe Jean Beigbeder, ancien responsable sélection maïs chez Syngenta et désormais vice-président de Pro-maïs, association pour l’étude et l’amélioration du maïs. Aujourd’hui, toutes les variétés sont adaptées aux semis haute densité. »

Précocité

Les sélectionneurs se sont aussi attachés à travailler sur la précocité, premier facteur d’adaptation à l’environnement. « Par le passé, plus les variétés étaient tardives, plus il y avait de rendements, or aujourd’hui ce n’est plus le cas, constate Daniel Peyraube sur son exploitation du Sud-Ouest. Quand j’ai débuté dans les années 1990, on pouvait récolter jusqu’à Noël. Aujourd’hui, ça se termine début novembre en maïs grain. » Il sème autour du 10 avril alors qu’à son installation, ce n’était pas avant début mai. « Globalement, on a gagné environ trois semaines depuis ces vingt ou trente dernières années », confirme Alain Charcosset, directeur de recherche maïs à l’Inrae.

Les progrès génétiques se sont traduits par un « ajustement du cycle de la plante » : la durée semis-floraison s’est allongée, compensée par un dessèchement du grain plus rapide, ce qui fait que la durée semis-récolte est restée la même. En conditions optimales, une floraison plus tardive permet l’augmentation du nombre de feuilles, donc « potentiellement une meilleure interception de la lumière, et donc plus de rendement et une modification du positionnement des feuilles au niveau de l’épi », résume l’expert. Le gain de vitesse de dessiccation, quant à lui, peut avoir l’effet bénéfique de réduire les coûts de séchage. Daniel Peyraube dit avoir diminué de cinq à six points d’humidité à la récolte. Autre avantage pour lui : « Quand on récolte un grain plus sec, il est entier, alors qu’à 35 d’humidité, il y a beaucoup de brisures et un maïs broyé par la moissonneuse, ça ne m’intéresse pas pour mes animaux. »

Stress biotique et abiotique

Autre progrès génétique : l’aptitude des cultures à s’adapter à des contraintes nouvelles comme les stress biotiques (bioagresseurs, maladies) ou abiotiques (déficits hydriques, températures extrêmes). Les variétés modernes sont « plus tolérantes à la sécheresse que les anciennes et le maïs est la plante la moins traitée », soutient Jean Beigbeder. « On a pu arriver aujourd’hui à produire en sec autant qu’il y a vingt ans avec irrigation, se félicite Xavier Thévenot, président de la section maïs et sorgho à l’Union française des semenciers (UFS). Cela montre l’extraordinaire évolution à la fois en matière de rendement et de résistance aux stress hydrique et thermique. » Alain Charcosset constate pour sa part : « En conditions de stress hydrique, le différentiel de rendement entre les variétés d’aujourd’hui et celles d’il y a vingt ans est du même ordre qu’en conditions optimales. »

Les progrès génétiques se sont également traduits par une meilleure tolérance aux maladies. Xavier Thévenot salue notamment « l’énorme travail réalisé depuis vingt ans » sur la résistance à l’helminthosporiose. « Les utilisations de fongicides sont devenues exceptionnelles grâce au gain génétique, indique-t-il. Le maïs est l’espèce qui a le plus faible IFT en grandes cultures. »

Digestibilité et qualité nutritionnelle

En ce qui concerne la qualité nutritionnelle, en maïs fourrage, la pente de progrès génétique en valeur énergétique exprimée par les unités fourragères laitières (UFL) par kilo de matière sèche est estimée de 0,02 à 0,04 UFL/kg MS/an pour l’ensemble des variétés expérimentées, selon une étude d’Arvalis-Institut du végétal. « On est resté sur une plante spécialisée en production d’énergie. On n’a pas réussi la diversification de l’amidon », constate Jean Beigbeder. « Beaucoup de travail a été fait sur la qualité nutritionnelle aussi bien en maïs grain qu’en maïs fourrage », tempère Xavier Thévenot. Gilbert Michel, éleveur laitier en Normandie, constate une évolution de la qualité de son ensilage tant sur la digestibilité qu’au niveau de son potentiel énergétique. « Si on avait un mauvais maïs, explique-t-il, on verrait immédiatement l’effet, l’acidose et donc la baisse de production laitière. »

Avoir un meilleur maïs permet de mieux valoriser l’herbe, assure l’administrateur de l’AGPM : « Ça peut sembler paradoxal, mais plus le maïs est de qualité, plus on peut faire consommer de l’herbe à nos vaches. » Si la génétique ne semble pas avoir permis de gain sur la protéine, Laurent Guerreiro, président du comité obtention de la section maïs de l’UFS, préfère voir le verre à moitié plein : « Normalement, quand on augmente le rendement, on dilue la protéine, or nous avons réussi à ne pas dégrader la quantité et la qualité de protéines. » La sélection génétique aurait aussi permis de gagner en digestibilité, en maïs grain comme en fourrage.

Adaptation au changement climatique

De nombreux défis restent à relever, à commencer par l’adaptation au changement climatique. « Aujourd’hui, on a des accidents climatiques en fin de cycle, des forts coups de vent. Il faut trouver des variétés résistantes à cela », indique Valérie Uyttewaal, experte de l’évaluation des variétés de l’espèce maïs au Geves. Beaucoup de sélectionneurs placent donc encore la verse au sein de leurs grands axes de recherche. Les progrès génétiques ont été « extrêmement significatifs jusqu’aux années 2000 sur la tenue de tige, observe Nathalie Mangel, responsable de l’évaluation variétale des maïs en post-inscription chez Arvalis-Institut du végétal. Aujourd’hui, les niveaux de résistance à la verse sont très bons, et difficiles à dépasser. » Mais le critère de bonne tenue de tige reste primordial lors du choix des variétés. L’adaptation au changement climatique, c’est aussi améliorer l’efficience de l’eau, c’est-à-dire le ratio entre les rendements à produire et la quantité d’eau à consommer.

C’est également la tolérance au stress hydrique, sujet prépondérant, ou encore aux températures extrêmes : fortes chaleurs l’été au moment des floraisons, fraîcheur au printemps juste après les semis. « Il s’agit de trouver comment contourner le problème, explique Valérie Uyttewaal. Cela passe notamment par la vigueur au démarrage. Plus la variété se développe vite, plus elle sortira rapidement de cette phase critique de sensibilité au froid et aux attaques de ravageurs en début de cycle. » Améliorer la vigueur au départ semble un défi d’autant plus important que les agriculteurs souhaitent implanter leurs maïs de plus en plus tôt. Confirmation sur le terrain avec Gilles Crocq, consultant cultures et fourrages à Seenovia, qui constate quelques craintes chez les exploitants qu’il accompagne : « Ils aimeraient bien semer plus tôt pour esquiver les risques de déficit hydrique, mais plus on sème tôt, plus on augmente le risque de pression des ravageurs, donc ils hésitent de plus en plus à anticiper leurs semis. »

Vers plus de stabilité de rendements

Les avancées concernant le rendement seront-elles désormais plus difficiles ? « Factuellement, le progrès génétique continue à peu près au même rythme qu’il y a vingt ans, explique Alain Charcosset, mais avec un investissement plus important et des méthodes plus efficaces. Davantage de variétés sont évaluées, en utilisant la sélection génomique. » Laurent Guerreiro estime quant à lui qu’aujourd’hui, « l’inscription au catalogue se fait plutôt sur une image Formule 1, c’est-à-dire sur les rendements maximaux. Maintenant, il nous faut aller développer un nouveau champ d’inscription sur des variétés qui auront un potentiel peut-être légèrement inférieur, mais avec une stabilité de rendements d’une année sur l’autre, parce que l’agriculteur préfère miser plutôt sur la sécurité, avoir un maïs résilient ». Les variétés de maïs de demain devront donc s’adapter à des conditions météo diverses, cet aspect est décidément récurrent.

Depuis le début de l’année, le Geves, qui a pour mission d’expertiser les variétés avant leur inscription au catalogue, a instauré un bonus à la stabilité pour le sorgho. « On regarde comment se comportent les variétés en conditions difficiles, et même si elles ont un rendement inférieur aux copines en conditions optimisées, on va les favoriser, appliquer un petit bonus à leur cotation », explique Valérie Uyttewaal. Voilà qui pourrait s’appliquer au maïs. Il s’agirait de garantir à l’agriculteur que la variété qu’il a choisie ait à peu près le même comportement selon que les conditions soient très favorables ou limitantes. « Il s’agit d’un facteur qui a toujours un peu intéressé, mais évaluer la stabilité est compliqué. C’est un sujet de méthodologie que l’on fait avancer », précise l’experte du Geves.

Teneurs en protéines du maïs

Il semble y avoir également des attentes sur la teneur en protéines. « Pendant longtemps, c’est surtout l’amidon qui était recherché ; les protéines et l’huile ont été laissées de côté. Mais il y a eu des programmes très intéressants aux États-Unis pour faire du maïs à 25 % de protéines (contre 10 à 11 %), on en est donc capable aujourd’hui », remarque Alain Charcosset. « Après une phase de méthodologie, on pourrait mettre en place un protocole d’évaluation et des analyses conduisant à la publication du taux de protéines dans les variétés. C’est un sujet qui va être remis sur le haut de la pile », confirme Valérie Uyttewaal. Les semenciers, de leur côté, aspirent surtout à un allègement des contraintes réglementaires. « On souhaite un cadre en Europe qui soit adapté », soupire le président de la section maïs de l’UFS qui juge « très difficile de faire de la recherche en France ».

Inscription à notre newsletter

Déja 10 réactions