C’est une gigantesque machine en forme de portique qui enjambe les rangs de maïs, blé ou tournesol. L’engin, développé par la société allemande Kalverkamp, s’appelle « Nexat » et a décroché la médaille d’or au salon Agritechnica en 2022. Ce porte-outil de 1 100 ch est capable d’effectuer tous les travaux liés à la production végétale, du travail du sol jusqu’à la récolte en passant par le semis, l’épandage de lisier et les traitements phytosanitaires. Il bénéficie d’une cabine, pour circuler sur la route, mais a été pensé comme une machine autonome. À la moisson, son débit se montre deux fois plus élevé que celui d’une moissonneuse-batteuse classique : entre 130 et 200 t à l’heure, promet le constructeur. Pour la pulvérisation, ses rampes peuvent atteindre 70 m de largeur.

Un outil gigantesque capable d’effectuer autant de travaux de manière autonome tout en offrant un débit de chantier important, voilà qui peut faire rêver… ou laisser songeur. Il est toutefois peu probable que le Nexat trouve sa place au sein des exploitations françaises, il s’avère plutôt conçu pour les grandes plaines comme on en trouve en Ukraine. Le principe du porte-outil autonome intéresse cependant les constructeurs. Lemken et Krone, par exemple, ont travaillé ensemble pour fabriquer un engin capable de travailler le sol et de réaliser des chantiers de fenaison sans opérateur. Leur « Combined Powers », c’est le nom du prototype dévoilé à la presse en février dernier, s’avère capable de déchaumer, labourer, faucher, faner et andainer. Mais pour les autres tâches, tel le semis, mieux vaut conserver son semoir et son tracteur. Le robot dispose d’un 4-cylindres diesel développant 230 ch. Sa puissance paraît adaptée aux travaux du sol, mais surdimensionnée pour les activités de fauchage. Son gabarit est bien inférieur à celui du Nexat, il mesure 5 m de long par 2,7 m de large. Le bémol : pour l’acheminer aux champs, il faut le transporter sur une remorque. Difficile, donc, de l’imaginer travaillant seul dans les exploitations dans un avenir proche. Mais les deux firmes allemandes assurent que Combined Powers a vocation à être commercialisé.
Du tracteur autonome au porte-outil polyvalent
Le bon vieux tracteur n’a donc pas dit son dernier mot. Plusieurs constructeurs misent sur un modèle autonome : New Holland, John Deere ou encore Case IH, qui avait créé la surprise en 2017 en exposant sa version sans cabine. Depuis, le concept a laissé sa place au Magnum, un tracteur autonome capable d’accompagner la moissonneuse-batteuse. Pratique, quand la main-d’œuvre se fait rare, mais encore loin de l’autonomie complète.
Le robot complètement autonome et polyvalent semble de plus en plus prendre la forme d’une machine de taille plus modeste. Il y a deux ans, à Outarville (Loiret), les visiteurs du salon Innov-agri avaient les yeux aimantés par un drôle de robot monté sur un train de chenilles, ressemblant plutôt à un char d’assaut. L’AgBot, conçu par la start-up néerlandaise AgXeed, garde une taille proche de celle d’un tracteur, il s’intègre mieux à l’itinéraire agronomique. Avec une vitesse d’avancement de 10 km/h et un débit de chantier de 50 ha par jour, il promet de gérer l’ensemble des travaux du sol avec une précision de 2 cm. Avec 350 l de carburant en réservoir, l’engin possède jusqu’à 20 h d’autonomie. La promesse est séduisante, plus que son prix… annoncé autour de 250 000 €. De quoi restreindre le nombre de clients, plutôt des exploitations de plus de 250 ha, des Cuma et des entreprises de travaux agricoles. « En termes de conception et de tâches, l’AgBot est cohérent, commente Gilbert Grenier, ancien professeur à Bordeaux Science agro, spécialiste en agriculture numérique et automatismes. Son rapport poids-puissance est intéressant, il ne relève pas du gigantisme d’un Nexat ou du Combined Powers. » Pour le développement et la commercialisation, AgXeed s’appuie sur la firme allemande Claas, avec qui elle a signé un partenariat.
Un robot qui gère seul la parcelle
Autre porte-outil polyvalent et autonome : le Robotti, mis au point par le Danois AgroIntelli et lui aussi présenté il y a deux ans à Innov-Agri. En forme de U, il est constitué d’un moteur de chaque côté avec un outil qui s’encastre au milieu et dont la largeur n’excède pas 3,3 m. L’équipement prépare le sol, sème, bine ou encore désherbe de façon localisée grâce à son système de reconnaissance des adventices. Le Robotti est équipé d’un réservoir de 330 l de carburant lui offrant 60 h d’autonomie, selon son constructeur.
Le robot électrique Orio de Naïo technologies se veut lui aussi un porte-outil polyvalent, de petite taille. Initialement développé pour le maraîchage et la vigne, il est désormais adapté aux grandes cultures. Les travaux de semis et de désherbage mécanique sont dans ses cordes, avec une très haute précision. Le frein se trouve au niveau du débit de chantier, de 5 ha maximum par jour. L’Orio s’avère donc adapté essentiellement aux petites structures. « On ne peut pas lui demander de désherber 150 ha de blé, en grandes cultures, il se développe surtout en betteraves sucrières, explique Flavien Roussel, responsable marketing de Naïo Technologies. Pour 15 à 20 ha de betteraves à biner, ça marche. À condition que l’agriculteur accepte son débit de chantier de 5 ha par jour. » L’engin, qui coûte 200 000 €, est adapté aux cultures à haute valeur ajoutée. « S’il y a 50 ha de pommes de terre à protéger dans la nuit contre je ne sais quel ravageur, ça, on ne sait pas faire », assume Flavien Roussel.
Dans la catégorie des robots de taille modeste, le Farmdroïd est un peu à part. Ce porte-outil assure le semis et le désherbage, deux tâches seulement, mais il les fait en totale autonomie, et en continu. Ce robot qui est déjà commercialisé fonctionne grâce à de l’électricité fournie par ses panneaux solaires. Inutile de le recharger ! Son débit de chantier n’a pas d’importance, il a une vingtaine d’hectares à s’occuper maximum, qu’il parcourt en continu, potentiellement 24 h/24, à son rythme, c’est-à-dire entre 400 et 900 m/h. Initialement prévu pour la betterave sucrière, le Farmdroïd n’est évidemment pas adapté à la culture du blé. Des tests menés dans les Hauts-de-France se sont montrés très encourageants en 2022, mais au printemps dernier, il avait tendance à s’embourber et à se mettre en sécurité plusieurs fois par heure.
Des robots assignés à une seule tâche
Si la demande semble plutôt s’orienter vers des robots multitâches, certains constructeurs proposent des modèles mono-fonction. De quoi en laisser plus d’un dubitatif. « C’est plus difficile à rentabiliser », résume Davide Rizzo, chercheur en agronomie et expert en robotique agricole. La firme bavaroise Horsch a mis au point un semoir automoteur prenant la forme d’une plateforme autonome. L’engin, pas encore commercialisé, travaille seul sur une largeur de 24 m. « Cela me laisse perplexe, il faudrait avoir des milliers d’hectares pour acheter cela », remarque Davide Rizzo. En réalité, la machine n’est pas destinée au marché européen. Elle a été pensée pour répondre à la pénurie de main-d’œuvre au Brésil et pourrait être commercialisée en Australie et au Kazakhstan.
Autre choix singulier mais très novateur, celui de Fendt, avec son projet Xaver, une unité de semis entièrement automatisée. Ces petits robots à trois roues pesant chacun 150 kg à vide parcourent la parcelle en essaims, guidés par le Cloud. « Un essaim de six unités peut gérer environ 3 ha/h avec des temps de chargement d’environ 2 ha/h », met en avant la firme allemande. Gaëtan Severac, président de l’association organisatrice du Forum international de robotique agricole (Fira), pour sa part, ne croit pas trop à ce projet. « De trop petites machines ne permettent pas de passer dans les parcelles accidentées, il y a une limite physique à la taille des roues », juge-t-il. Et puis surtout, se pose la question de la rentabilité.
Principal défi à relever : la sécurité

Tailles des appareils, types de travaux qu’ils pourront effectuer, capacité ou non à circuler sur route… difficile de détecter l’orientation que prendra la robotique en grandes cultures. Pour Flavien Roussel, de Naïo Technologies, « plusieurs options vont avancer en même temps, on ne peut pas savoir laquelle va l’emporter ». La machine idéale pour des parcelles en France, selon Gaétan Severac, serait de taille intermédiaire, avec une largeur de travail de 3 à 6 m et capable de réaliser un volume de travail équivalent à celui d’un tracteur de 100 à 150 ch. « Le robot idéal n’est pas du tout un tracteur autonome, mais plutôt un engin multitâche beaucoup plus léger et aéré, au design optimisé pour les travaux qu’il a à effectuer », ajoute-t-il.
Le plus gros défi à relever dans les années à venir semble être celui de la sécurité : les machines doivent être capables de travailler sans surveillance, sinon quelle plus-value ? « Il manque juste un ou deux ans, avant de voir des solutions utilisables par les céréaliers débarquer dans les fermes, promet Gaëtan Severac. Les robots AgroIntelli, AgXeed et Naïo ont de l’avenir, il faut juste lever la contrainte technologique. » Ce défi de la sécurité est beaucoup plus simple à relever lorsqu’il s’agit de machines de taille modeste, ce qui leur confère un avantage, constate Stéphane Volant, chargé de mission nouvelles technologies et robotique à la FRCuma de Normandie. « Il y a davantage de promesses du côté des équipements légers et plus modulaires », confirme Ronan Lenain, responsable de l’équipe robotique et mobilité à l’Inrae de Clermont-Ferrand.
Trouver la rentabilité
« Ce qui va être déterminant pour l’essor de la robotique en grandes cultures dans les prochaines années, c’est le débit de chantier comparé au coût », table Flavien Roussel, avant d’ajouter : « Honnêtement, sur une culture de blé payée 200 €, je ne vois pas comment la robotique peut aider à casser les coûts. » Les céréales ont besoin de débits de chantier importants, le blé doit être implanté ou biné très rapidement, surtout si la fenêtre météo est courte. Faut-il une seule grosse machine ou bien plusieurs petites ? La taille des robots, en tout cas, semble augmenter. « Des machines électriques de plus en plus puissantes et de grande taille arrivent sur le marché », confirme Gaëtan Severac.
De son côté, Flavien Roussel anticipe : « L’essor de la robotique en grandes cultures va beaucoup dépendre des interdictions de matières actives de désherbage et du fait que le temps va manquer pour gérer les adventices. »