Avec l’espoir de semences plus résistantes aux maladies et aux ravageurs, les nouvelles techniques génomiques (NTG), new genomic techniques (NGT) ou new breeding techniques (NBT) s’imposent comme une solution pour permettre aux agriculteurs de faire face au changement climatique tout en respectant l’engagement européen de réduire de 50 % le recours aux pesticides d’ici 2030. Elles se présentent aussi comme des outils susceptibles d’accroître la durabilité et la résilience de notre système alimentaire. Cependant, même si des avancées sont constatées depuis quatre ans, leur déploiement sur le Vieux Continent est toujours freiné par la législation européenne, encore en discussion.
Pour mémoire, dans une décision du 25 juillet 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a assimilé les produits issus des NTG à des organismes génétiquement modifiés, tombant donc sous le coup de la directive OGM de 2001. Avant toute commercialisation, cette procédure particulièrement contraignante (autorisation, étude d’impact sanitaire, traçabilité, étiquetage, surveillance…) vise à protéger la santé humaine et l’environnement, mais restreint le marché à quelques multinationales.
Mutagenèse orientée, cisgenèse ou transgenèse
Aujourd’hui, des nuances se font entendre. Contrairement aux OGM transgéniques, les NTG ne découlent pas de l’implantation d’un gène étranger dans le génome d’un organisme vivant (transgenèse), mais d’une mutagenèse qui consiste à activer ou inhiber certains caractères existants. Un évènement qui pourrait aussi s’effectuer naturellement ou par croisements, mais de façon beaucoup moins rapide. Les NTG peuvent également recourir à la cisgenèse (transfert de gènes d’une même espèce ou compatibles). Autant d’éléments pris en compte par la CJUE le 7 février 2023.

Il y a un an, le 5 juillet 2023, la Commission européenne proposait un règlement visant à assouplir les règles de mise en culture de certaines plantes issues des NTG dès lors qu’elles sont associées à une moindre utilisation de produits phytosanitaires ou à un objectif d’adaptation au changement climatique. Loin de faire l’unanimité dans son détail, cette proposition fut toutefois validée par le Parlement européen, les 7 février et 24 mars 2024, avec le principe de deux catégories. La NTG1 regrouperait les végétaux qui auraient pu être obtenus naturellement ou de manière conventionnelle et seraient exemptés de la directive OGM, à l’inverse des végétaux de la NTG2, ne remplissant pas ces conditions ou ayant fait l’objet d’interventions plus complexes. Un seuil de 20 modifications est proposé, au-delà duquel les variétés seraient jugées non équivalentes au conventionnel et resteraient soumises au régime OGM, avec notamment l’étiquetage obligatoire. Mais à ce stade, rien n’est entériné. Avant d’aboutir sur un texte définitif, la balle est dans le camp des États membres, qui restent divisés sur de nombreux points.
Dans un rapport rendu, le 6 mars, l’Agence nationale de sécurité sanitaire préconise « une évaluation adaptée au cas par cas, dans une approche graduée des risques », et recommande « un dispositif global de suivi de ces plantes et des produits dérivés ». Elle met aussi en exergue, les notions de propriété intellectuelle liée aux brevets, les risques de concentration du secteur, la nécessité d’une traçabilité et l’importance de soutenir la recherche publique pour garantir le développement d’innovations au service d’un système agricole et alimentaire plus durable.
« Oui, mais… » des semenciers
Ces avancées constituent un motif de satisfaction pour l’Union française des semenciers (UFS), qui exprime toutefois quelques bémols. « Si le principe d’une réglementation adaptée est acquis, il reste néanmoins deux points de difficulté à corriger », précise-t-elle dans un communiqué de presse. Elle évoque l’exigence de traçabilité et d’étiquetage des NTG jusqu’au produit final, qu’elle qualifie d’inadaptée pour les produits alimentaires : « Prévoir un étiquetage jusqu’au consommateur final est impossible à mettre en place techniquement et entraînerait des coûts considérables pour les filières agricoles et agroalimentaires, ce qui n’est pas souhaitable dans un contexte inflationniste. » De même, elle émet des réserves quant à l’interdiction de la brevetabilité pour les plantes NGT1.
« La séquence du génome du blé, c’est l’équivalent de la distance Paris-Sydney, soit 16 000 km », Pierre Barret, Inrae
S’il voit d’un bon œil cette notion de catégories NTG1 et NTG2, Pierre Barret, ingénieur de recherche dans l’unité Génétique, diversité et écophysiologie des céréales à l’Inrae de Clermont-Ferrand, est plus réservé sur la possibilité de traçabilité. « C’est assez compliqué sur les céréales. La séquence du génome du blé, c’est l’équivalent de la distance Paris-Sydney, soit 16 000 km. On est capable de cibler 2 cm et d’introduire une modification. Il y a une base tous les millimètres, c’est comme changer une lettre dans un livre. C’est totalement indiscernable si l’on n’est pas en possession du livre original », précise le scientifique.
Principe et mise en œuvre

Concrètement, les NTG ont été renforcées par la mise au point, en 2012, d’un système universel d’édition du génome, le Crispr-Cas9, parfois qualifié de « ciseaux moléculaires ». Une découverte qui, huit ans plus tard, valait un prix Nobel de chimie à ses auteures, Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna. Dans les faits, la protéine Cas9 est capable de couper le génome, simplement et rapidement là où elle est guidée. Il suffit de bien connaître les gênes et leurs fonctions pour intervenir et modifier leurs séquences. Peu coûteuse, l’ingénierie du génome est ainsi devenue facilement accessible à tous les laboratoires. L’univers du végétal s’en est saisi, même si Pierre Barret constate qu’à 99 %, les NTG sont orientées sur la médecine humaine.
S’il est considéré comme le plus efficace des ciseaux génétiques, le Crispr-Cas9 n’est pas le seul. « On se laisse la possibilité d’en utiliser plusieurs. Je crois que, là aussi, il faut de la diversité d’outils, remarque Sébastien Chatre, directeur de RAGT 2n. Les NBT sont un outil, pas une solution en soi. Dans la caisse à outils de la sélection, il y a plein de possibilités et celle-là est assez récente. »
Outil et gain de temps
« Il faut voir ces technologies comme un outil permettant d’aller plus vite dans la sélection. Ce n’est surtout pas une baguette magique, précise Rémi Bastien, directeur général de Limagrain Vegetable Seeds et vice-président de l’UFS. Cet outil permet d’être beaucoup plus précis au niveau des gênes. Une fois qu’on a identifié une résistance, et à quel gène ça correspond, on est capable d’éditer [procéder à la modification]. Selon les espèces, on peut gagner un à quatre ans. »
« Les NBT peuvent nous permettre, si l’on a un gène identifié pour une caractéristique donnée, de l’éteindre ou de l’allumer, explique Sébastien Chatre. Ce sont des situations qui peuvent se produire naturellement en faisant des croisements et en brassant la diversité génétique, mais qui sont bien évidemment plus aléatoires et plus compliquées à obtenir qu’avec des ciseaux génétiques. Mais si je n’ai pas de gêne candidat sur une cible donnée, ce n’est pas parce que j’ai accès à l’outil NBT que je peux faire quelque chose. Dans notre métier de sélectionneur, on va chercher, par exemple, des gènes de résistance à des maladies. Trouver des gènes de résistance, c’est un peu l’histoire de la sélection. »
« L’édition du génome, quand elle est maîtrisée, peut se faire en un an au laboratoire, détaille Marie Rigouzzo, référente biotechnologies chez Phyteis (organisation professionnelle regroupant des entreprises phytopharmaceutiques). C’est là où vous gagnez beaucoup de temps, mais après, vous devez régénérer votre plante, vous allez l’instaurer dans une variété élite, c’est-à-dire que la modification que vous avez faite, vous allez l’incorporer à la semence la plus performante que vous avez et il va falloir vérifier que tout se passe bien en champ, en faire la preuve auprès du CTPS [organisme de contrôle des variétés du catalogue] qui va dire “OK, vous avez annoncé ça, ça marche bien et vos semences sont conformes”. Une fois que tout ça est fait, il faut multiplier le matériel végétal pour le proposer à l’agriculteur. Tout ce cycle, qui se passe à l’extérieur, prend au moins six ans, comme pour tout programme d’amélioration. »
Quelles perspectives ?
Si l’on sait que les biotechnologies représentent 10 à 20 % des efforts de R & D des semenciers, la part concernant les NTG n’est pas communiquée. Pour des raisons de confidentialité, savoir qui fait quoi n’est pas simple, mais en Europe, la plupart des semenciers planchent sur le sujet. Certains en internes, d’autres via des prestataires extérieurs, parfois en dehors de l’Union européenne. « Dans les travaux de l’édition du génome, il y a des gens qui travaillent – souvent des start-up, mais aussi les semenciers – sur l’outil qui va permettre de faire la transformation, et puis il y a les semenciers qui, eux, vont prendre l’outil en question pour développer une nouvelle variété de semence », indique Marie Rigouzzo, en précisant que le séquençage est un prérequis et que les semenciers ont désormais une connaissance très fine du potentiel de leurs collections.
« Il y a un certain nombre de sociétés qui se préparent à développer des produits au niveau mondial, constate Rémi Bastien. L’amélioration des facteurs qualitatifs, nutritionnels, c’est une des voies possibles. On constate que beaucoup de choses peuvent être faites sur des résistances naturelles aux maladies, aux virus et, éventuellement, à des insectes. On est vraiment en amont aujourd’hui, en tout cas en Europe. Dans le meilleur des cas, les premières variétés issues des NBT n’arriveront pas en Europe avant cinq ans compte tenu des délais de mise en place de la nouvelle législation et de l’inscription des variétés. »
L’Europe face à ses inquiétudes
Pendant ce temps, d’après un état des lieux publié en janvier par CropLife Europe (association européenne pour la protection des cultures), la moitié des travaux réalisés sur les NTG émane de Chine et près de 20 % des États-Unis. L’Europe (France, Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas…) pèse moins de 15 %. Quatre blés édités en Chine ont été autorisés. Des études avancées portent sur du blé sans gluten et la tolérance à la sécheresse.
En Europe, la tomate est de loin la plus étudiée pour la rendre plus résistante aux maladies et réduire le recours aux pesticides, augmenter sa maturation, son rendement, ses qualités nutritionnelles et sa fertilité. Viennent ensuite le riz, l’orge, la pomme de terre, le blé, le maïs, le colza, le tabac, le peuplier et la pomme. Les traits édités les plus étudiés sont, dans l’ordre, la tolérance au stress biotique, l’augmentation du rendement et de la croissance, l’amélioration de la qualité des aliments, l’utilisation industrielle, la durée de conservation, les tolérances au stress abiotique et aux herbicides. Des travaux seraient également menés sur la suppression des allergènes.

Si la précédente Commission européenne a longuement travaillé sur un texte permettant d’assouplir la législation encadrant les NTG, les Etats membres n’ont à ce stade pas trouvé d’accord et la question continue de diviser l’Europe. En avançant le principe de précaution, les opposants réclament une évaluation complète des risques (environnementaux, socio-économiques, sanitaires…) et exigent des méthodes de détection et de traçabilité ainsi qu’un étiquetage obligatoire jusqu’aux produits finaux pour informer et laisser le choix aux consommateurs. Certains pays s’inquiètent pour leurs marchés à l’export, d’autres d’une coexistence avec l’agriculture biologique, de la non-interdiction des variétés résistantes aux herbicides ou des risques d’une multiplication de brevets avec une privatisation du vivant aux dépens des agriculteurs.