Dans les manifestations d'agriculteurs à travers l'UE, les importations ukrainiennes font figure d'épouvantail, accusées de plomber les prix et d'entretenir une concurrence « déloyale ».
Pour Taras Kachka, vice-ministre ukrainien au Commerce, il devient impératif de combler le fossé : « Nous avons un avenir commun. Notre agriculture fonctionne en symbiose (avec celle de l'UE), il n'y a pas de partenaire plus proche », alors que Kiev aspire à adhérer au bloc et importe massivement engrais et technologies agricoles de l'UE, martèle-t-il.
Après le feu vert des Etats membres, une commission du Parlement européen se prononcera jeudi sur la prolongation pour un an, à partir de juin, de l'exemption de droits de douane accordée depuis mi-2022 aux importations ukrainiennes après l'invasion russe.
« Cela nous a aidés à maintenir nos exportations, permettant à notre communauté agricole de survivre, particulièrement les petites et moyennes exploitations, dans les mois imprévisibles de 2022-2023 », souligne M. Kachka.
« Urgent de débloquer cette frontière »
Au prix cependant d'un afflux de produits agricoles ukrainiens en Europe (+11 % en janvier-septembre 2023 selon Bruxelles).
Le sujet est explosif en Pologne, où des agriculteurs bloquent la frontière ukrainienne et renversent des cargaisons, Varsovie n'excluant plus d'interrompre temporairement les échanges bilatéraux.
« Il est absolument urgent de débloquer cette frontière, c'est une ligne de vie pour nous ! », se désole Taras Kachka. « Elle est tout aussi essentielle pour la Pologne » qui exporte à plein vers l'Ukraine (produits manufacturés, engrais...), « un blocage nuira à l'économie polonaise autant qu'à la nôtre », prévient-il.
Varsovie avait imposé unilatéralement courant 2023 un embargo sur les céréales ukrainiennes en-dehors des règles de l'UE, amenant Kiev à saisir l'Organisation mondiale du commerce.
« C'est derrière nous », balaye M. Kachka. « Nous avons actuellement un très bon dialogue, constructif », assure-t-il, même si aucune sortie de crise n'émerge.
La Commission européenne a proposé des « mesures correctives » en cas de « perturbations importantes » du marché, tandis que les importations de volailles, oeufs et sucre seront désormais taxées si elles dépassent leurs niveaux de 2022-2023.
« Nous ne soutenons pas cela, mais dans ces circonstances politiques, nous sommes prêts à des restrictions raisonnables », soupire M. Kachka. « L'Ukraine mérite une discussion ouverte » sur « les conditions réelles de concurrence », insiste-t-il.
A rebours des accusations d'importants volumes de céréales inondant les marchés dans l'UE, il assure que l'Ukraine s'est au contraire « résolument maintenue » sur ses marchés traditionnels « où c'était possible » comme au Soudan ou en Somalie, mais concède aussi un « appétit accru » en Europe, notamment en Espagne, pour le blé ukrainien.
« Ce n'est pas David contre Goliath »
Concernant les « perturbations » dans les Etats voisins, Kiev a donné des gages en soumettant les acheminements vers ces pays à des « licences d'exportation ». Taras Kachka mise désormais sur la « plateforme de coordination » de l'UE, qui a récemment repris ses rencontres, pour « établir les faits ».
Peu importe : pour les agriculteurs européens, ses vastes terres arables font de l'Ukraine, même en guerre, une force exportatrice redoutable, loin des standards de l'UE et bénéficiant d'économies d'échelles grâce à la taille moyenne colossale de ses exploitations.
🇺🇦 Dynamique agricole 🌾
— Arthur Portier (@PortierArthur) March 5, 2024
Forte montée en puissance des exportations de matières premières agricoles en Ukraine. Via Odessa, un record est établi avec plus de 5 Mt sur février ‼️@agritel_argus #oatt pic.twitter.com/GmOxjZrPEd
Pour Taras Kachka, les chiffres camouflent une multitude de petits producteurs (86 % des exploitations selon Kiev), tandis qu'« on trouve beaucoup de grosses exploitations de volailles en Pologne » : « ce n'est pas David contre Goliath », réplique-t-il.
Les agriculteurs ukrainiens importent une partie de leurs engrais de Pologne au prix fort, travaillent sous la menace des bombardements et, faute de stockage, « sont contraints de vendre leurs productions aux pires prix, tandis que leur homologues polonais ont le luxe d'attendre de meilleurs cours », insiste-t-il.
En vertu de l'accord d'association de 2017, l'Ukraine s'est « beaucoup rapprochée d'une pleine application des normes européennes : pesticides, engrais ou même bien-être animal », fait-il aussi valoir - ce que contestent les organisations agricoles de l'UE.